Jean-Claude Caër, En route pour Haida Gwaii

Publié le 20 février 2012 par Angèle Paoli
Jean-Claude Caër, En route pour Haida Gwaii,
Obsidiane, 2011.


Topique : Voyage et récits de voyage



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LE CHANT SALISH DE JEAN-CLAUDE CAËR

  Partir. Partir encore. Se déplacer d’Est en Ouest, traverser les grands espaces de l’Amérique du Nord, se perdre dans les forêts de feu, rejoindre les Penobscots, les Souriquois et les Etchemins, avec eux se fondre et disparaître dans les immensité des terres indiennes. Tel est le désir qui « dilate le cœur de l’homme », court d’un poème à l’autre tout au long du recueil de Jean-Claude Caër, En route pour Haida Gwaii. Tel est aussi le désir qui s’accroche à celui qui pénètre dans l’univers poétique du poète-voyageur breton. Partir, sans plus attendre, suivre les traces ouvertes par Jean-Claude Caër, jusqu’aux îles d’Haida Gwaii.

  Et, à la question posée par le poète dans l’un des poèmes de la section « Épars » :

« Si le Christ vient à cette heure (maintenant)
et te dit suis-moi à l’instant
abandonne tout
le suivras-tu
à peine le filet ramené au rivage
(laissant là tes poissons) ? »


  D’instinct, sans une ombre d’hésitation, répondre OUI.

  Partir ? « Pour aller où » ? Et « vers qui » ?

  Prendre la route pour Haida Gwaii. Même si le doute lancinant accompagne sans cesse le désir du départ.

  « Qu’allais-je faire ici sur la côte Pacifique... ? » ou encore « Et moi-même que suis-je venu faire dans ce monde crépusculaire... ? »

  Avec ce toponyme mystérieux d’Haida Gwaii, le poète breton fait remonter dans ses filets un livre talismanique que le voyageur en terre étrangère pourra déposer un jour au pied des mats indiens de « Totem Poles » ; ou ailleurs, sur d’autres terres, là où ses pas le porteront. Sur les bords du Gange, à Tanger, en Transylvanie, au Japon, sur les traces de Bashô, « Par l’étroit chemin du fond »... Lorsque sa traversée touchera à sa fin, il pourra déposer là son bien précieux comme un caillou rond : un petit livre de poèmes. En route pour Haida Gwaii.

  Talismans ? Attentif à la présence silencieuse du sacré et à celle des morts, attentif aux moindres « pattes d’oiseaux », le pèlerin affectionne les menus objets ramassés le long de sa route. « Petits cailloux en forme de baleine », « plume d’aigle » et « pierre noire » qu’il fourre au fond de ses poches et roule entre ses doigts. En cours de route, ces trouvailles se chargent de pouvoirs protecteurs et allègent leur propriétaire de son désarroi et de ses angoisses. Car « La mort toujours nous appelle et nous hante ». Le marcheur solitaire rassemble ces objets qui l’accompagnent et composent sa vie, ― « bâton de pèlerin trouvé sur la plage » et « ce peuple de pierres » patiemment agencées. « Petites présences » salvatrices qui rejoignent les grands mats totémiques de Haida Gwaii.


  Haida Gwaii ? Vers quelles contrées les poèmes de Jean-Claude Caër nous conduisent-ils ? Il faut attendre la dernière section du recueil pour atteindre Haida Gwaii, entrer dans le souffle de son histoire. Queen Charlotte Islands. Et partager avec le poète, l’acmé de sa quête. Parcours initiatique, la lecture des poèmes conduit le lecteur des côtes du Finistère Nord à la côte Atlantique de l’Amérique du Nord et de là, en greyhound ou en voiture, jusqu’à la côte du Pacifique. De la contrée du Maine et du Massachusetts ― dans la section intitulée « Mémoires du Maine » ―, à Vancouver, et, de Vancouver, en route pour Haida Gwaii. Entre les deux extrêmes Est/Ouest, quinze autres poèmes d’une autre facture, répartis en deux sections : « Sept poèmes » et « Épars », jalonnent le parcours, comme autant de cairns nécessaires pour l’appréhender et le comprendre.

  Traversé de doutes et de souffrances – la distance qui accentue la séparation d’avec l’aimée, la maladie de la mère, le vieillissement, la disparition des peuples ― le poète vit son trajet « comme une épreuve physique et mentale ». Épreuve soutenue en chemin par la mémoire de tous ceux, écrivains, poètes, artistes (le vidéaste Bill Viola, le peintre Alexandre Hollan ou Béla Bartók), personnages importants de l’histoire de l’Amérique, chefs indiens et marins, qui peuplent l’arrière-pays affectif et mental du poète breton. Jack Kerouac, le « frère de sang », Thoreau et Hawthorne, Emily Dickinson, Louisa May Alcott, Marguerite Yourcenar, Sylvia Plath, Olson et Auden, Lowry et Zukofsky. Mais aussi Nicolas Hughes, le fils de Sylvia Plath et de Ted Hughes... Tous ces noms ― personnes et lieux ― tissent ensemble un univers foisonnant, une cartographie personnelle envoûtante, marquée par le sceau de la disparition :

  « À Walden Pond la hutte de Thoreau a disparu.
Point zéro ».


  Et à Lowell, personne ne se souvient plus de Kerouac :

  « À Lowell, près du cimetière personne ne connaît ton nom.
Vivant, je t’aurai raté, mort, tu m’échappes encore. »


  Avec les archipels « d’îles éclatées » et leurs thuyas géants, leurs mats héraldiques dressés dans « ce monde liquide », les noms « soutiennent la langue du poème ». Ensemble ils font naître le « chant salish », « immense potlatch » tendu pour résister aux désastres du temps.
  Et si tout doit s’effacer de cet envoûtement, il reste encore au poète le pouvoir de se fondre dans « ce rêve liquide », et « se jetant dans le grand vide », de rejoindre la prophétie de Taliesin :

  « J’étais aigle, j’étais saumon dans la rivière... »

  Fusion cosmique qui abolit le voyage et la séparation :

  « Ma mère la pluie me couvre de son manteau gris
Ma mère me cache dans son manteau de pluie. »


Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli



■ Jean-Claude Caër
sur Terres de femmes

Mémoires du Maine


■ Voir aussi ▼

→ (sur le site des Éditions Obsidiane) une page consacrée à Jean-Claude Caër
→ (dans le n° 3 de la revue électronique Secousse) d’autres extraits d’En route pour Haida Gwaii
→ (sur Exigence Littérature) une lecture (8 décembre 2011) d'En route pour Haida Gwaii par Françoise Urban-Menninger
→ (sur Mediapart) une lecture (3 janvier 2012) d'En route pour Haida Gwaii par Bernard Demandre (+ extraits)
→ (sur remue.net) une lecture (18 décembre 2011) d'En route pour Haida Gwaii par Jacques Josse




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