Il y a des personnages de roman dont on tombe amoureux.
En ce qui me concerne, je dirais qu’il y en a plusieurs dont un, il faut bien commencer par un,
il se nomme Napoléon Bonaparte.
Non pas le Corse, dont la personnalité est certes fascinante, notez-là une légère pointe de chauvinisme, mais un métis Australien à la peau sombre, élégant et bien fait, les yeux bleus, dont l’intelligence se situe bien au-dessus de la moyenne.
Rien d’étonnant à cela, être métis ou femme nécessite pour s’imposer une intelligence et une capacité de travail bien supérieures au niveau de celui des meilleurs qui n’ont pas eu ce handicap d’être nés métis ou femme.
Notez bien que je n’utilise pas la conjonction « et » entre le mot métis et le mot femme, la cause serait désespérée.
L’inspecteur Napoléon Bonaparte, dit Bony, est doté, pour museler un complexe d’infériorité qui remonte de ses profondeurs aborigènes sur un océan de blancs, d’une prétention qui n’a rien à envier à Hercule Poirot, le maniérisme et la Belgique en moins.
J’aurais pu vous parler du personnage d’Hercule Poirot, personnage infatué parlant de lui à la troisième personne parce que très fier de ses petites cellules grises.
Mais inutile de faire l’apologie de Poirot ou de Miss Marple, Agatha Christie, tout le monde connaît.
Bony donc, est un personnage fier, et son charme agit plus assurément qu’une potion magique.
Vous le suivez quelques pages et la magie opère, vous ne pouvez plus le quitter.
Avec lui on traverse le bush, on pénètre la dimension étrange et contrastée du continent Australien.
On découvre avec un respect non dénué d’humour l’histoire des tribus aborigènes que la civilisation judéo-chrétienne a réduit à la misère et à qui, comme sur d’autres continents, on a volé la terre.
Celui qui a donné naissance à Bony c’est Arthur Upfield.
Photo DR
Né en 1888 à Gosport (Angleterre), il est envoyé à l’âge de 19 ans en Australie où il découvre le bush, ces immenses étendues semi-désertiques et la vie sauvage.
En Egypte et en France où il sert durant la guerre, dès 1918 il ressent l’appel du bush et décide de retourner en Australie. Pendant dix ans, il va sillonner le continent, exerçant divers métiers de fortune.
En 1927, il rencontre un certain Léon Tracker, un métis aborigène devenu un des meilleurs traqueurs de la police d’Etat du Queensland.
Au moment de se quitter les deux amis échangent quelques livres, dont une biographie de Napoléon Bonarparte qui échoie à Upfield. De cette rencontre va naître l’inspecteur Napoléon Bonaparte, héros d’une série de livres tous aussi passionnants les uns que les autres.
Arthur Upfield décède en 1964 dans sa maison du Queensland, il est considéré aujourd’hui comme le père du polar ethnologique.
(1)
Je vous propose deux extraits de son livre « L’os est pointé » 10-18 grands détectives.
Le premier :
Bony qui mène son enquête dans le bush vient de grimper dans un arbre car il a aperçu des signaux de fumée.
«Un corbeau arriva du sud, décrivit un cercle autour du bloodwood*, croassa deux fois et se posa dans un mulga**, juste derrière la clôture, se postant tête penchée sur le côté pour surveiller cet étrange animal qui pouvait tuer d’un bruit et jeter pierres et bâtons.
Bony resta encore un petit moment sur son perchoir, laissant son regard errer tantôt à l’est, le long de la clôture, vers le portail et le campement provisoire des Noirs, tantôt au nord-ouest, où se trouvait le lac et la maison d’habitation de Meena.
Il espérait apercevoir de la fumée s’élever par là, et comme il n’en vit pas, son opinion sur le but des signaux envoyés par Jimmy Partner et ses amis s’en trouva confortée.
- Prends un drame, ajoute une pincée de comédie, remue avec la cuiller de la tranquillité, et tu obtiendras le gâteau de la vie, dit-il au corbeau à l’affût. Un drame sans comédie ou une comédie sans drame donne la pâte lourde de la fantasmagorie.
Tout à l’heure on nous a fait le pari d’avaler des lapins, même avec la fourrure, et maintenant voici qu’on transmet des nouvelles par un moyen oublié du monde, sauf des peuples dits primitifs. »
*Eucalyptus
**espèce d’acacia (acacia aneura) (désigne aussi la végétation semi-aride)
Le second :
Un personnage du roman, John Gordon parle à Bony des aborigènes (il est avec sa mère la troisième génération de protecteurs d’une tribu avoisinante) :
« Ils ont bénéficié d’une authentique civilisation pendant des lustres.
Avant que les blancs, les Jaunes, et d’autres Noirs ne soient capables de converser, ces aborigènes australiens parlaient intelligemment.
Ils pratiquaient le socialisme chrétien des siècles avant la naissance du Christ.
Ils ont développé une structure sociale apparemment compliquée, mais en réalité très simple, qui fonctionne presque parfaitement. Ils n’enfantent pas de fous ou de débiles.
Ils ignoraient l’obscénité et la maladie avant l’arrivée de l’homme blanc en Australie. Et maintenant, voilà que l’ombre de la civilisation les guette, même s’ils l’ignorent encore.
La civilisation est venue les abattre, les empoisonner comme des chiens sauvages. Ensuite, dans ses journaux satiriques, elle a dépeint les victimes de sa malédiction sous les traits de faibles d’esprit, pour se donner une excuse, elle les a raillés en les qualifiant de sauvages nus, les a enfermés dans des réserves et des quartiers séparés. Elle leur a retiré leurs produits naturels et les nourrit de boîte de conserve toxiques bien étiquetées. »
Quand je lis cela, je me sens moi aussi une âme d’aborigène et je me demande bien au nom de quel dieu, à quel titre dit supérieur, on peut nous réduire et nous faire douter de nous-même jusqu’à nous priver de cette liberté essentielle, la vie dans le respect de la nature !
Et, pour finir caustique :
quid des civilisations qui seraient supérieures à d’autres !
comme le disent certains…certains « penseurs ? »
Adamante
(1) Extrait de la biographie de l'auteur prise dans "L'os est pointé"- 10-18 Grands détectives
traduit de l'anglais par Michèle Valencia.