El grano de oro.
Le grain d’or. Des planches de bois clouées entre elles. Une vieille pétoire Yamaha fixée à l’arrière. La peinture est limée un peu partout. Au fond, il y a dix centimètres de flotte qui stagne. Régulièrement, Zé-Luis prend un vieux bidon découpé au couteau, le plonge dans ces dix centimètres, le remplit, le vide par dessus bord et recommence. De l’autre main, il maintient le cap et tourne la poignée de gaz.
Zé-Luis. La vie du mec, c’est dehors, sur son grain d’or. La peau cramée par le soleil. Un vieux caleçon de bain auréolé de sueur et de sel, un t-shirt décédé depuis des années, une banane fripée autour de la taille. À l’intérieur, son paquet souple de Belmont, clopes locales, son briquet et deux trois bricoles.
Zé-Luis pourrait être le meilleur ennemi de tout occidental écolo-démago un peu trop à cheval. Parce que sa Belmont, il aime la cramer le cul posé sur sa barque à moteur, au milieu de l’océan. Et que son mégot, il le balance d’une pichenette. Au milieu de l’océan.
Merci de ne pas porter plainte.
Zé-Luis propose, contre une maigre contribution financière, de balader qui veut dans un bout de paradis, à deux à l’heure. Le bout de paradis, c’est le parc national de Mochima, archipel d’îles et de bouts de terre sauvages, peu sacagés par l’homme. Si ce n’est, bien sûr, les quelques déchets plastiques qui sont venus se perdre. Personne n’est parfait.
“À droite, un caillou. À gauche, un autre caillou. Mais plus grand.”
Zé-Luis, c’est le meilleur guide du monde. Il raconte peu. Il te laisse une chance de t’en prendre plein la gueule, en silence.
Excellente méthode.
Il coupe le moteur et jette l’ancre. Il suffit de mettre la tête sous l’eau. Et c’est un ailleurs, de corail et de milliers de mini-poissons qui se dandinent, qui s’offre aux mirettes. Bizarrement, c’est difficile de chialer avec un masque et un tuba.
Le grain d’or repart, un peu plus tard, lentement. Direction la parenthèse vulgaire. Une petite plage au bord d’un des gros cailloux. Avec des gens par centaines, des tentes pour les abriter, des yachts avec des garçons et des filles qui préféretn garder leur distance avec autrui mais qui partagent leurs goûts musicaux douteux avec la populace. Du m’as-tu-vu tropézien au milieu de nul part… Au milieu de ce merdier qui pue le Monoï, il y a le boui-boui. Une baraque avec une cuisine. Et sur la carte, une feuille format lettre US plastifiée, il n’y a rien que du bon.
Asopado. une putain de soupe génate qui ferait passer n’importe quel bobun parisien pour un café gourmand. Mignon mais guère nourrissant. Un asopado, c’est du carburant pour sieste dans un hamac.
Et la vie est parfois bien faite. Il y en a un fixé entre deux poteaux de la terrasse du boui-boui.
En rouvrant les yeux, Zé-Luis motive le départ. Direction l’antithèse, toujours à deux à l’heure. Un tout petit bout de plage, un banc de sable. Désert. Un endroit suspendu quelque part entre nul part et ailleurs. À une cinquantaine de mètres, un voilier silencieux et immobile.
Le meilleur endroit du monde pour boire un dernier verre. Lumière rasante et fraîcheur qui tombe.
Retour à Santa Fé. Il faudra plus d’une heure.
Sur le grain d’or de Zé-Luis, le meileur truc, le kiff pur comme la neige, c’est de fermer les yeux. En pleine journée, pour sentir le chaud du soleil. Et les chatouilles des gouttes d’eau projetées. Et le picotement du sel sur les joues. Et l’humidité du t-shirt qui se fait éponge. À la nuit tombée, sur le retour, alors que Zé-Luis vrille la poignée de gaz, il faut garder les yeux bien ouverts. Avec la brise et la vitesse des planches de bois cloutées qui flottent et filent sur l’eau, les gouttes deviennent des seaux qui viennent rincer tout le monde à bord. Et l’espace d’une seconde, celles et ceux qui se font saucer deviennent des boules à facettes. Parce que la nuit, les planctons phosphorescents sont dans la place.
Peaux et vêtements trempés brillent et s’éteignent.
Un truc con qui émerveille.
Pur comme la neige.