Ce vendredi 24 février avait lieu au théâtre du Chatelet la 37e cérémonie des César, présentée par Antoine de Caunes.
Comme trop souvent dans ces soirées des César, l’animation s’est résumée à une succession de bouffonneries en demi-teinte, où l’inventivité de certaines remises jonglait avec l’humour de potache qui gouvernait les autres.
Et au milieu de ce défilé de strass et paillettes où l’on vient à regretter que le fond n’égale pas la forme, le plus grand regret est probablement pour le grand gagnant. A voir en effet la succession de l’équipe sur scène, le niveau lamentable des interventions et le vrai faux génie, l’évidence s’impose : The Artist n’avait pas sa place sur le trône.
Six César pourtant. Dont deux des plus prestigieux. Mais pour quelle débâcle, pour quelle avalanche pitoyable de prestations ! Mais reprenons depuis le début, depuis le film. The Artist est une fausse bonne idée ; avant d’être un film, The Artist est un concept. Ce n’est même pas un film, c’est une publicité. Inventive certes, renouvelée, un coup de nostalgie dans le présent, mais une de ces nostalgies de façade, un décor en carton pâte qui sonne désespérément creux. The Artist, tout comme les OSS 117 du même réalisateur, Michel Hazanavicius, ou le 99 Francs où Jean Dujardin tenait déjà la vedette, c’est un film chromé, plein de brillantine, une couverture alléchante pour un produit sans saveur. Un film où, à trop vouloir donner de la gueule, il n’y a plus d’âme, plus de cœur.
En un mot, The Artist, c’est le sourire de Jean Dujardin. Et rien de plus.
Black Swan tenait du même genre, à ceci près que Darren Aronofsky, quand il fait du concept, sait le chiader, l’explorer, l’exploiter. Par la justesse de ses acteurs, de sa musique, de sa réalisation. Un peu comme David Fincher jouant avec brio du rythme de sa caméra, Aronofsky construit son œuvre de façon millimétrée, et quitte à ne pas produire un grand film, réussit à produire une grande œuvre. Parce que son cygne noir a une âme.
The Artist n’est en tout et pour tout qu’un visuel. Une arnaque. Une page blanche sur laquelle est inscrite une idée, une idée que l’on fait passer pour un scénario à elle toute seule. Et cette arnaque ne se contente pas de se faire en salle, mais se fait aussi arnaque de remise de prix, puisque le film se permet injustement de concourir comme film français et américain sous un prétexte assez discutable…
Alors quand dans de telles conditions, ce film qui se retrouve entouré d’une relative aura de tricherie, partagé entre César et Oscar, reçoit 6 récompenses, et quand pour la majorité, les lauréats alignent un manque de finesse insolant, c’est le public qui grince des dents. C’est le public qui a des regrets puisque le monde du cinéma ne les a pas pour lui.
Lorsque, après avoir langoureusement suçoté son réalisateur de mari, Bérénice Béjo reçoit le César de la meilleure actrice, elle ne trouve rien d’autre à déclarer, dans un accès de nombrilisme gerbant, qu’elle « voulait l’avoir ». Comme tous les autres discours de remerciements de la part des lauréats pour le même film, on se dit que l’affiche vaut le contenu, et on regrette que le tout se vende aussi bien auprès d’un parterre (public et pairs) aussi naïf.
En plus d’être des objets moches, les César se mettent à sonner creux. Et lorsqu’en conclusion de la cérémonie, The Artist reçoit le prix du meilleur film, dégoûté, je coupe le poste de télévision.
Heureusement, il reste, au milieu de cette cérémonie illusoire de l’illusion, derrière le récit fictif de l’écran, et derrière la mise en scène outrancière de la cérémonie quelques clins d’œil, quelques jeux de scène, quelques lauréats pour distribuer de cette féérie, en persistant au-delà de la pellicule à vouloir transmettre un peu de magie, un peu de rage, un peu d’émotion. Bref, à faire vibrer.
POLISSE
Alexandre Astier égal à lui-même dans son brillant jeu d’acteur, Nicole Garcia et de rapides mots assassins et puissants de vérité, Kad Merad pour une pitrerie express sans les fioritures de tant d’autres,…
Et, plus que tout, il y a ces remises de prix qui, elles, vont droit au but, emplies de cette même force qu’une séquence souvenir rappelle à notre souvenir, alors qu’Annie Girardot en larmes lançait « Je ne sais pas si j’ai manqué au cinéma français, mais à moi le cinéma français a manqué… follement. Eperdument. Douloureusement ». Pas de larmes pour le coup. Mais l’invective tout en finesse lorsque Le cochon de Gaza est récompensé comme meilleur premier film et que le réalisateur lâche un « Merci à ceux qui y ont cru. Et à ceux qui n’y ont pas cru, ils ont renforcé nos convictions » lourd de sous-entendus.
A un autre moment, le plaisir de voir un documentaire comme Tous au Larzac récompensé, le grandiose Une séparation couronné par un prix de plus de meilleur film étranger (à voir ABSOLUMENT – Merci Gabriela pour le coup !), ou encore l’humilité de la très grande Carmen Maura lorsqu’elle vient prendre « une petite part du cinéma français », au-delà de son statut ibérique exalté par le génie d’Almodovar, récompensée pour son rôle dans Les femmes du 6e étage.
LE COCHON DE GAZA
Et puis voilà, il y a ce très grand film français que j’ai vu il y a peu, Polisse, trop peu récompensé malgré sa force de frappe, force de frappe qui n’a d’ailleurs pas cessée d’être tangible tout au long de la soirée, par les nominations régulières trop peu suivies de récompenses, par l’équipe du film si souvent mise en avant, par les applaudissements à chaque fois que le nom était mentionné.
Et surtout, il y a ces fameux Intouchables, film ce soir laissé en retrait, si délaissé malgré les nominations, comme si les visites du grand public devait lui épargner le succès des trophées. Ce film qui probablement compte comme l’un des plus grands films français des 10 dernières années, à mon sens depuis L’auberge espagnole qui, même si celui-ci avait bien moins attiré en salle, fait partie de ces œuvres du 7e art hors du temps, hors des générations, à l’humour infatigable et au message si vivant…
Et les mots d’Omar Sy, les plus poignants de la soirée grâce à leur simplicité et à son élan du cœur, font vibrer cette remise du César du meilleur acteur plus que méritée (tout au plus regrettera-t-on qu’il n’ait pas été victime d’un ex-æquo avec son compère François Cluzet).
On pensera enfin à deux films dont je ne peux parler faute de les avoir vus mais qui semblent largement mériter le détour, L’exercice de l’Etat et L’Appollonide et qui repartent eux aussi chargés de leurs décorations, avec en prime Michel Blanc direct et humble, un grand monsieur du cinéma enfin récompensé.
INTOUCHABLES
Merci à eux qui sauvent ce qui peut l’être de cette magie trop distillée pour le coup par le mensonge semi-hollywoodien et l’illusion publicitaire… Merci à Omar Sy pour son explosion de joie méritée, et merci à Guillaume Canet qui en deux mots a laissé entendre que ceux qui recevaient le plus haut prix ce soir n’en étaient pas forcément les détenteurs légitimes…
L T – 24/02/2012