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J'ai aimé lire:Juan Manuel de Prada: "La tempête"

Publié le 26 février 2012 par Lauravanelcoytte

J'ai aimé lire:Juan Manuel Prada: tempête

La Tempête
Juan Manuel de Prada
Seuil, 317 pages


Alejandro Ballesteros, maître-assistant en histoire de l'art et vieux célibataire, dont on apprendra sur le tard qu'il n'a que vingt-neuf ans, débarque à Venise dans l'espoir de clore son étude sur La Tempête, chef d'œuvre de Giorgione auquel il vient de consacrer cinq années de labeur et toute sa jeunesse désormais enfuie.


A peine est-il installé qu'un homme touché au cœur vient mourir dans ses bras, l'embarquant dans une sombre histoire de tableau volé, d'amour, de faussaires et de mort. Nul ne change impunément ses habitudes, nul ne se mêle à la vie des autres sans en subir l'inévitable contamination: venu d'une ville espagnole indéterminée, sans passé connu (on sait juste qu'il est le sous-fifre d'un ponte de l'Université), Ballesteros voit sa passivité constitutive mise en pièces par l'irruption brutale de la vie dans son existence, jusqu'alors confinée à un état stationnaire de non-être. Dans cette Venise hivernale, Atlantide au bord du gouffre où l'humidité perce déjà entre chaque pierre, toutes les femmes sont soudain désirables, des plus belles au plus improbables; ainsi cette matrone à la chair grumeleuse et au cul mou et asymétrique, ou cette femme du monde aux allures de ptérodactyle, péniblement rafistolée à grands renforts de silicone et de liposuccions. Comme si, en cette période de carnaval, l'imminence de la fin autorisait à laisser libre cours à ses pulsions, Ballesteros épanche son désir morbide de femmes trop mûres, dont on aimerait croire qu'il est le fruit du désamour maternel (mais on ne sait rien de sa mère, pas plus que du reste de sa famille ou de son entourage). Il rencontrera pourtant l'amour chez la mystérieuse Chiara, agneau sacrificiel qui croit devoir donner sa vie pour sauver sa ville, et finira par écarter toute possibilité d'avenir pour le héros, qu'elle fera entrer dans la vie pour l'y abandonner sans ressources.
Sans se soucier des conventions de genre, Juan Manuel de Prada déploie une intrigue grotesquement policière dans une langue circonvolutive et parfois empesée. Il mime ainsi la grandiloquence de son héros, éclose dans la solitude du célibat, et le temps suspendu, englué, qui pèse sur cette Venise maléfique que les touristes ignorent, peuplée de morts-vivants et régie par d'étranges coutumes qui la protègent à jamais des agressions extérieures. Alors que Ballesteros se détourne de l'intelligence intellectuelle pour embrasser celle du sentiment, il se confronte enfin à l'essence de l'art en contemplant l'original de La Tempête pour la première fois. Il comprend alors qu'elle exige une forme de communion amoureuse, et non d'être disséquée comme un cadavre entre les mains du taxidermiste. Faut-il convenir qu'il n'y a peut-être pas de clef à ce tableau déroutant, qu'il se donne pour ce qu'il est et ne dupe que la vanité du critique, avide de le résoudre en une simple équation ? L'art est la religion du sentiment, mais les apparences sont trompeuses et les perceptions du héros avariées; on doute alors qu'il faille considérer son apprentissage comme un manifeste esthétique, niant la fécondité de l'approche critique pour enfermer l'art dans l'idolâtrie de l'image. Manipulant avec virtuosité les poncifs littéraires et stylistiques qui continuent d'exercer leur fascination lors même qu'on croit les avoir dépassés, le roman trouve sa plus grande force dans l'émotion que suscite ce héros funambule, qui naîtra pour échouer au bord de la vie.

http://www.fluctuat.net/livres/chroniques/latempete.htm

La Tempête’ a obtenu le prix Planeta en 1997.

La vérité est une substance fuyante et fluctuante

Biographie Juan Manuel de Prada

Jeune écrivain espagnol, Juan Manuel de Prada a débuté une carrière prometteuse avec un premier roman remarqué, 'Les Masques du héros', puis une deuxième oeuvre consacrée, 'La Tempête' (prix Planeta en 1997). 'Le Silence du patineur', qui regroupe des textes écrits entre 1988 et 1994 présente, dans un état d'achèvement stupéfiant, toutes les facettes d'un univers créatif particulièrement riche. Comme tous les grands écrivains, Juan Manuel de Prada décline à l'envie ses obsessions d'artiste : les poètes décadents, les rites de passage de l'adolescence à l'âge adulte, la littérature elle-même, la perversion.

http://www.evene.fr/


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