La nuit a quelque chose d’intrinsèquement cru : on ôte le maquillage ou on le laisse couler, c’est selon. Les vêtements tombent, les verres se finissent.
La nuit, ça peut être une question de vocabulaire qui vous fait revoir vos positions. J’’aime cette heure de minuit. blanche, nue, où tout recommencera bientôt mais pas encore. Comme si minuit ce n’était pas tout à fait la fin ni tout à fait un début. C’est l’heure où il ne faudrait pas jouer à chiche avec moi. L’invincibilité imbécile du no man’s land de minuit qui me pousse à refaire mon monde. C’est l’heure à laquelle je regrette, j’envisage, je me promets. En journée, j’essaye de ne pas me laisser envahir – j’y parviens souvent.
La journée me vole, me dérobe et m’oblige à être continuelle actrice : sourire. Distribuer les bons mots parce que c’est tellement plus évident de n’être pas sérieux, c’est plus simple de se cacher derrière des répliques qui fusent et de contrôler son univers. La nuit me rend à moi. À mes errances, à mes égarements, à mes promesses. Aux chemins de traverse, ceux que j’ai trop peur d’emprunter quand tout est clair. A cette zone de fragilité que j’enfouis le plus profond possible.
A minuit, la musique que j’écoute prend un autre sens : elle n’est plus juste là pour occuper l’espace, ou le temps. Elle devient le prolongement de mes doigts, m’aide à écrire, à pleurer et à rire. Comme si les notes prenaient plus facilement corps quand les lumières sont éteintes, que le son qui coule des enceintes devenait à la fois liquide et solide. De la matière pour dire les choses, peut être plus tard. Elle comble aussi le silence insupportable: quoi de plus angoissant que le vide ?
J’ai toujours aimé la nuit. C’est le meilleur moment pour se raconter des histoires: gosse, c’était mon truc. Rester éveillée le plus tard possible, frauder le couvre-feu. Lire sous la couette formant une tente, écrire parfois avec rage ou plaisir. Et surtout, écouter de la musique. Au début, je me faisais souvent pincer : mes petites joies nocturnes étaient trop facilement repérables. Même si je prenais toutes les précautions du monde pour manipuler l’interrupteur quand j’entendais le pas maternel dans l’escalier, le clic infime me semblait monstrueux : je n’avais pas pigé que ce qui me trahissait, c’était surtout le rai de lumière filtrant sous la porte. Puis j’ai compris. Et la musique a pris toute la place. Me priver de lumière, ok, mais pas de musique. Le baladeur CD orange Sony, dont je réglais le son au minimum, planquée sous couette et coussins m’offrait des balades interdites faites de riffs, de voix graves et de textes sombres. Mélopées tristes de mecs cassés, fumées qu’on devine, des failles par dizaines. Ça n’a pas changé. J’aime toujours autant m’imprégner de sons dans le noir. Jusqu’à ce que mes paupières en tombent. Que l’heure magique soit filée jusqu’au bout. Qu’il ne soit déjà plus temps de regretter, mais d’avancer.
Minuit n’existe pas : il n’est que ce qu’on en fait.
Sand est folle, quelque part. À la marge, de beaucoup de choses, de fait et par choix. Je crois. J’aime ça parce que c’est à la marge que naît la créativité, quand on ose s’aventurer hors des lieux communs et des lisières un peu trop familières. Cette folie-là est un enchevêtrement, un défi. Il y a d’un côté la tentation de s’enfermer dans notre névrose, et de l’autre l’envie de parier sur la suite. Il y a de la vie, là-dedans. Ça me plaît.
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