Love me
Écrit sur un débardeur. Lettres blanches dans un rond rouge sur le noir du tissu. En bas à gauche.
There’s a limit to your love
Elle a dix-huit ans. À peine. Barely legal. Une peau si fine, si fragile. Lui serrer la main pour la saluer, c’est prendre peur. Peur de déchirer cette soie.
Trois cent vingt-sept fois dans la journée, elle passe ses doigts dans ses cheveux fins. Fins comme sa peau de soie. Ses doigts s’enfoncent, creusent des tranchées du haut du front jusqu’à la nuque. Puis s’échappent, vaquer à d’autres occupations toutes aussi fondamentales. Saisir une bouteille de bière. Replacer ses lunettes XXL devant ses p’tits yeux lentillés en vert. Repositionner le haut de son maillot sur sa poitrine déformée par des implants de silicone. Essuyer ses lèvres dessinées à l’encre de collagène, salies par une gorgée de bière bue trop rapidement.
Dix-huit ans. À peine.
De temps en temps, ses index, ornés d’impeccables faux ongles vernis en usine, se collent à ses tempes puis glissent. Et coincent ses mèches folles derrière ses oreilles. Ses autres doigts dansent et suivent le mouvement.
Like a waterfall in slow motion
En fin de journée, sur les planches de bois clouées motorisées de Zé-Luis, la troupe en ballade passe progressivement en mode survie. Après la plage, la bière, le rhum, les conneries et les rires, tout le monde se recroqueville et se protège. Quelques derniers clichés du coucher de soleil. Entre la brise qui s’est levée et la relative vitesse du grano de oro, la barque de Zé-Luis, c’est la douche. Tout le monde en boule, planqué sous des serviettes de bain, des pulls et des gilets - trempés. Dans moins d’une demie-heure, chaque victime d’un seau d’eau dans les gencives brillera. Planctons phosphorescents. Mais là, dans la toute dernière lueur du jour, Barely legal s’allonge et laisse pendre ses cheveux par dessus bord. Quelques minutes à gigoter avant de trouver la position idéale. Et se laisser porter. De temps en temps, il s’approche et fait un geste. Et là, un truc ressort.
Like a map with no ocean
Un son qui trotte dans la tête depuis deux semaines. Quelque soit le lieu, l’ambiance, le moment ou la pulsation cardiaque, il vient déformer la grille de lecture du monde. Un truc étiré. Étendu. Sévèrement ancré dans la tronche, sans raison connue ni explication valable. Face à elle, ce truc se déverse dans la cervelle et vient tordre les tripes.
There’s a limit to your love
La version de James Blake. Saturée et lanscinante.
Soudain elle brille. Les planctons.
Se rouler en boule dans un vieux pull. Fermer les yeux.
Le bleu est indélébile.