Nous voici en 2012 : il ne nous reste que quelques mois à vivre. Ce n’est qu’une rumeur, mais sa seule persistance me fait redouter que ce monde court au suicide par autosuggestion.
Relayer des lieux communs sans recul critique, c’est du conformisme. Les relayer au détriment de ses propres intérêts, j’appelle cela de la bêtise. Or c’est aujourd’hui l’usage commun de la grande majorité des médias européens. Et je ne parle plus du calendrier maya. Je m’en suis aperçu en voyant qu’au fil du temps, mes sources d’informations fiables sont devenues de plus en plus exotiques, allant des Amériques rebelles à ce monde oriental ou slave que les ex-civilisateurs et les ex-évangélisateurs ignorent avec un mépris indéfectible, car congénital.
Si l’on avait dit à Voltaire qu’un jour le débat d’idées serait plus nourri en Russie, dans les Guyanes ou aux Indes que dans la patrie des droits de l’homme, il aurait crié : « Apocalypse ! ». Eh bien, nous y sommes ! Pendant qu’en France l’on traque les déviants et que des ministres, des élus, des artistes passent à la trappe pour un mot de travers, pendant qu’en Suisse les esprits s’absorbent dans une laborieuse microgestion des effets en fuyant toute réflexion sur les causes, le reste du monde contemple avec stupeffroi l’écroulement du monde euro-atlantique et prépare la décolonisation finale. Des décennies après le retrait des armées, voici que les conceptions et les illusions des colons européens s’apprêtent, elles aussi, à quitter la scène, emportées par leur retentissante défaite à domicile.
De quoi parlons-nous ? Le catalogue de ces âneries suicidaires et sacrées est pléthorique, allant de la « construction européenne » dictée par les financiers, aujourd’hui comme hier fossoyeurs de l’Europe, aux taxes climatiques qui ne sauveront que la bureaucratie, en passant par les impasses de l’égalitarisme à tout cran dont l’URSS elle-même avait fini par saisir le ridicule. Sans oublier le trend majeur : une application infantilisante du principe de précaution à tous les secteurs de l’activité, soumettant bientôt le moindre de nos gestes à une évaluation juridique des risques et des responsabilités. Sauf dans un domaine précis : celui des affaires internationales. Ici, nul calcul des conséquences n’enraye l’imposition fanatique d’une démocratie abstraite à des pays qui, comme par hasard, sont pointés dans l’agenda géopolitique de la CIA. On va donc démocratiser la Syrie sur le modèle libyen sans tirer aucune leçon du chaos précédent, sans aucune compassion pour les populations bombardées puis livrées aux gangs. Si vous avez sursauté une ou deux fois à la lecture du paragraphe précédent, c’est que nous ne sommes pas toujours d’accord. Si vous avez tremblé d’indignation comme un diesel au point mort, c’est que vous me donnez raison contre M. Hessel : son « Indignez-vous ! » se traduit en réalité par « Ne pensez pas ! ».
Car l’Européen moyen ne s’indigne vraiment que de la liberté d’autrui. Dans son esprit rétréci, l’apocalypse 2012 a déjà eu lieu.Le Nouvelliste, 29 février 2012.