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La "Türkiye"? Mais pourquoi? Eh bien... "Pourquoi pas?"

Publié le 13 décembre 2011 par Pauline

Turquie 4Sébastien a 26 ans. Il vit pour la première fois en Turquie, à Istanbul. Depuis mi-août 2011. Il enseigne le français dans un lycée turc. Pour "Du quotidien athénien à la Grèce à thèmes", il se souvient de ses débuts chez "le frère ennemi" des Grecs, pourtant si ressemblant par certains côtés. Il se raconte dans une lettre. Premières impressions, premières expériences, premières anecdotes.

 

« "Herkese merhaba !" Salut tout le monde !

Début août, je pars de Paris en covoiturage avec l'idée de rejoindre par la suite Istanbul en stop. Un bagage réduit sur les épaules mais l'essentiel pour vivre. Au final, je ne ferai en autostop que la route de Colmar à Dresde. Dans cette ville industrielle de l'ex-RDA, je retrouve un ancien colocataire allemand qui me fait une proposition sympa : m'emmener à Istanbul en camionnette et avec son chien. "Los !" C'est parti ! République Tchèque. Slovaquie. Et première nuit en Hongrie. Deux jours sont nécessaires pour traverser les erratiques routes roumaines. Une nuit en Bulgarie. Enfin. Nous arrivons à la frontière turque, à la porte d'Edirne. Ancienne ville d'importance sur la route de la soie, elle est aujourd'hui une simple ville moyenne, valant peu le coup d'œil. Les formalités à l'entrée : près de deux heures d'attente, de  la paperasserie, des frais d'assurance à payer pour le camion mais tout cela est sans importance : j'entends chanter les premiers minarets de l'autre côté des postes-frontières ; la Turquie

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n'est plus très loin. Et finalement, on passe : "Türkiye'ye Hoşgeldiniz – Welcome to Turkey" C'est une première. Mes premiers pas dans ce pays où je m'apprête à vivre plus de 9 mois. "Pourquoi la Turquie ?" Beaucoup de gens m'ont posé et me posent la question. Parce que c'est un pays riche en histoire ? Qu'y vivre m'aidera à comprendre les relations entre l'Occident et l'Orient ? L'Islam dont l'Europe a si peur ? Parce que sur certains points le pays est très différent de l'Europe, sur d'autres je peux m'y sentir familier ? La réponse la plus juste serait simplement je crois : « Pourquoi pas ? »

Je commence mon année turque par un mois de cours de langue à Izmit (pas Izmir),  une ville à 2h30 du centre asiatique d'Istanbul, Kadıköy. Je suis hébergé dans une colocation d'étudiants kurdes. Je fais ramadan avec eux. Histoire de vivre l'expérience. On rompt le jeûne vers 20h, c'est l'"iftar". On doit remanger avant 4h30 du matin. Entre temps, on dort... Si l'on n'est pas réveillés par le "davulcu", un type qui bat du tambour très fort dans les rues, précisément pour tenir les gens éveillés entre ces deux repas. Sympa le type ! Et pour couronner le tout, il paraît qu'il frappe parfois aux portes pour demander un pourboire !

Je ferai Ramadan vingt jours au lieu des trente ayant commencé dix jours après le début. Beaucoup d'Européens m'ont expliqué par a + b que jeûner ou passer une journée entière sans boire n'était pas possible pour eux. Cependant... Petit 1) ils n'ont jamais essayé et petit 2) on n'a pas une constitution différente des musulmans et eux le font bien. Me concernant, ce fut globalement plus facile que je le pensais. Deux jours se sont révélés assez durs mais parce que je voyageais. Cela étant dit, en période de voyage, les règles du Ramadan autorisent de boire et de manger.

Après les cours de langue, je pars pour plus d'une semaine en voyage avec deux amies. Direction : le dit Kurdistan, nom culturel, ver

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naculaire qui désigne cette région du sud-est de la Turquie peuplée par une majorité de Kurdes (et qui s'étend aussi au nord de l'Iran, de l'Irak et de la Syrie).  Nous visitons Erzurum, Tatvan, Ahlat, Diyarbakir. Dans cette dernière, l'accueil qui nous est fait est très fort, chaleureux mais insistant. Les gens dans la rue sont étonnés par cette présence d'Européens. On nous demande trente fois par jour, sans exagérer, d'où l'on vient, ce qu'on fait ici, ce qu'on fait dans la vie en général... On veut toujours nous faire visiter la ville, nous inviter à boire un thé. Une fois nos voisins nous ont même payé le restaurant ! À Diyarbakir, nous prenons le temps de visiter la vieille ville et un ancien caravansérail, l'endroit où s'arrêtaient les caravanes de la route de la soie, réaménagé pour l'occasion en salon de thé à touristes. Nous voyageons en train, transport plus lent que le bus. Des collines désertiques à perte de vue. À Ahlat, nous visitons des tombes seldjoukides des XIe-XIVe siècles. Ce sont les tombes des premiers nomades turcs, arrivés dans la région alors que celle-ci était habitée surtout par des Kurdes et des Arméniens. Le retour en train dure 26 heures : c'est une durée normale ici.

 

Octobre. Je commence mon activité d'assistant Comenius (le nom du programme

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d'enseignement européen auquel je participe). J'enseigne le français, à partir d'un mélange d'anglais, de turc et... de gestes ! Mon lycée est en périphérie d'Istanbul, à Çayırova, perdu en plein milieu d'une des plus grosses régions industrielles d'Europe et d'Anatolie. Les paysages alentours sont une composition bien peu florale : des entrepôts, des usines parfois énormes, une multitude de villes sur des collines de terre rougeâtre, un trafic automobile incessant, des petites exploitations agricoles en déperdition. Quelques vaches et charrettes tirées par un cheval restent les rares témoins de ce que devait être la région il y a quelques décennies.

Le week-end, qui commence dès le jeudi pour moi, je me rends souvent dans le centre d'Istanbul retrouver des amis étudiants. Je n'y habite pas pour le moment. Le centre d'Istanbul du côté européen est constitué de la place Taksim et de la longue avenue d'Istiklâl où défilent au compteur des kilomètres de bars, de boîtes, de salles de concerts, de vendeurs de kebabs, de magasins de toute sorte ouverts jusqu'à pas d'heure. Trois millions de gens y passent chaque jour. C'est le lieu où sortent les étudiants Erasmus. Même si j'essaye de l'éviter, j'y échoue assez souvent. Les bars sont semblables aux bars européens mais fréquemment des mélodies orientales en sortent et rappellent que l'Anatolie n'est qu'à 20 minutes en bus. Les restaurants proposent des "mezzés", des petites entrées froides très varié

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es, typiques du Moyen-Orient. Un régal, d'autant plus pour moi que presque toutes sont végétariennes.

Les espaces centraux d'Istanbul sont toujours noirs de monde, et bruyants. Bus, taxis, "dolmuş" (taxis collectifs) et voitures klaxonnent à tout bout de champ. Des commerçant ambulants vendent à la criée à tous les coins de rue : des couronnes de sésame ("simit"), des bouteilles d'eau, du maïs, des châtaignes, du bric-à-brac, des parapluies dès qu'il pleut... Les distances sont toujours énormes : une heure de transport en commun correspond à un trajet moyen. L'air est pollué : mes poumons, ma gorge le ressentent souvent. On se sent vite "perdido en el corazon de la grande babylon" comme dirait Manu Chao... Personnellement, ça finit souvent par m'étouffer dans tous les sens du terme.

Mais j'apprécie Istanbul.

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Traverser le Bosphore en "vapur", le bateau-taxi est tout simplement magique. Tout comme boire une Efes le soir, assis sur une colline en regardant dans l'eau les reflets lumineux des ponts ou des  monuments historiques. Istanbul, c'est aussi quelques petites îles agréables, sympathiques, moins habitées que le reste de la ville où l'on peut se ressourcer hors du centre. En dehors des zones touristiques, il y a peu d'étrangers. Une discussion typique débute par : "Eh, nerelisin? Fransa. Fransa? Aaah, Zinedine Zidane... Pascal Nouma..." (un footballer français que tout le monde connait ici sauf moi !) Puis, les gens me demandent ce que je fais ici, si c'est bien la Turquie, quelle est mon équipe de foot préférée et finissent par me dire qu'ils n'aiment pas Sarkozy. Et puis me demandent : "Ça y istiyor musun?" Tu veux du thé ?

Où j'habite peu de Turcs parlent assez bien l'anglais ou l'allemand pour tenir une discussion. Cela me pousse davantage à apprendre la langue. Je me suis rapidement

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habitué à répondre en turc aux questions les plus fréquemment posées si bien que j'arrive maintenant à avoir des discussions simple même si c'est encore un peu "à la tarzan" comme on dit ici. (La lettre raconte mes débuts en octobre – j'ai progressé depuis). Beaucoup de Turcs connaissent néanmoins quelques mots de français. Zaz et Stromae sont des vedettes ici. Édith Piaf est bien connue. Une fois, le commerçant d'un magasin de photocopies m'a fait rigoler en me chantant "Frère Jacques". Un professeur du lycée m'a fait écouter sa chanson française préférée : la fameuse "Si tu savais combien je t'aime" du non mois fameux Christian Adam...

 

Turquie soleil

Voilà pour mes premiers mois en Turquie, déjà bien riches en anecdotes et en rencontres. Je pourrais encore disserter sur la politique, la géopolitique, la religion, l'économie, l'environnement, l'histoire, parler d'Atatürk, de la laïcité, des relations entre hommes et femmes, de la croissance urbaine incontrôlée, de l'absence de conscience écologique, de la corruption, de l'armée, du PKK, du tremblement de terre qui rasera un jour Istanbul, de la position stratégique du pays au Moyen-Orient, de l'arrivée des Turcs seldjoukides en Anatolie centrale au XIIème siècle...

Mais je vais en rester là et juste vous dire "Görüşürüz!" ! À une prochaine ! Sébastien ».


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