Le gars sifflera une fois
Chaque matin mais ce matin là... Je cours pour m'y enfiler telle un fil mis par ma
grand-mère dans une aiguille. Le conducteur ferme tout juste les portes rouges. Elles s'ouvrent de nouveau pour accueillir un flux de fourmis et de cigales. Sacs de Jumbo (genre Toy
« R » us), d'Hondos center, (genre Séphora), à mains, de course, attachés-case mélangent leurs
formes et leurs couleurs... Je m'installe dans le sens de la marche. Une femme entre deux âges,
blonde, très maquillée, s'assoit en face, un paquet de feuilles administratives sur ses collants. Un homme passe, grand, maigre, encagoulé et se poste près
d'une porte, toujours ouverte. Pour respirer l'air? Pour lancer un très très long coup de sifflet. La blonde interloquée. Langage oculaire. Même sentiments de surprise de la brune que je suis
dans ses pupilles. C'est qui ce mec? Il se prend pour le chef de gare? Sourires. Elle me dit quelque chose. Je ne comprends pas. Haussement d'épaules. Sourires entre nous de nouveau. Je
dévisagerai en descendant l'homme au visage pas repassé depuis longtemps. Il semble déphasé. Un sac de course à la main d'où luisent quelques cannettes apparentes. L'œil vide. Mais il a prouvé
qu'il en a dans les poumons.
Scènes de vie... La tragédie de la pauvreté...
Ils sont beaucoup chaque jour à faire la manche dans le métro... A vendre des stylos comme d'autres aux arrêts de bus. A la différence des trottoirs bondés, je n'ai vu personne sur le métro me faire le coup du petit appareil qui est censé
aider à mettre le fil dans l'aiguille. C'est le grand truc de certains qui vont systématiquement faire leur démonstration devant les femmes, les filles, les vieilles... La couture on a bien sûr
cela dans le sang nous le sexe féminin ! Le métro est plutôt habité par, tous en quête d'argent, des hommes aux discours poignants, des femmes avec photos de leurs enfants, des joueurs
d'accordéon... Souvent juste trois notes répétées, parfois un vrai concert, vivant et prenant. Des tout juste sortis de l'enfance jouent, de temps en temps ce sont de très jeunes enfants seuls
qui montent à deux sur la rame. «Parakalo» (παρακαλώ, s'il vous plait) d'une voix plaintive qui
cisaille le coeur se fait trop souvent entendre. Il m'arrive de retrouver les mêmes têtes d'un jour à l'autre : ce couple par exemple, une fille brune, pétulante la première fois que je la vois
et un garçon blond silencieux. Tous deux même pas la vingtaine. Très beaux. A une première rencontre je les observe dans un bus. La fille est surexcitée. Provocante, le ventre à l'air, le
pantalon légèrement baissé, suggestif, elle s'amuse à embrasser sur la bouche deux garçons. Ils sont cinq, deux filles, deux garçons et un bébé en poussette. Ils se cherchent, rigolent, parlent
fort, gênent les autres passagers, les poussent, titubant de joie et d'amusement. Ils descendent à la fin de l'avenue Sygrou, avenue vraiment moche qui n'en finit plus de tricoter des écharpes
aux mailles sans charme d'immeubles, de bureaux, de routes et de tunnels. Dans le plutôt chic quartier de Faliro, près d'un petit quartier portuaire «in» de bars et de restaurants,
entouré de grilles, surveillé, très sécurisé, autour duquel chiens errants, chats maigrelets, poubelles béantes, zone militaire et caravanes font tache. Un jour, à l'aller et au retour, je
retrouve ce couple dans le métro. La jeune brune porte une longue jupe grossière et a un bébé endormi, harnaché sur sa poitrine. Le visage est éteint, pâle mais le regard toujours lumineux et
effronté. Elle tend à tous la paume de la main («παρακαλώ») pendant que son compagnon fait sortir quelques notes de son accordéon. Contraste
entre leur liberté joyeuse sur le bus et leur sérieux de fonctionnaires sur le métro. Parfois ces gamins, ces jeunes ne peuvent pas monter. Chaque station est surveillée par une personne de
la «security» qui les empêche quand elle les voit, de pénétrer dans le wagon. J'assisterai une fois à une vraie scène napolitaine. Une blonde bien en chair de la «security»
refoulera une gamine longue et sèche comme «uno spaghetto senza sughetto».. S'en suivront des hurlements et des
pleurs pendant dix bonnes minutes. Elles se crieront dessus. Tout le monde observera médusé le spectacle. Tombée de rideau sans applaudissements lorsque le métro arrivera. Le public quittera la
salle, l'esprit déjà loin. La suite se jouera en coulisses. Les gens de la sécurité (présents j'ai l'impression seulement sur la ligne 1 du métro qui n'appartient pas à la même entreprise des
lignes 2 et 3) – des femmes surtout, et plutôt bien en chair – ne sont pas commodes. Elles ne contrôlent pas les billets mais s'assurent de votre sécurité, le plus souvent que vous ne vous
approchez pas des rails. Il y a une ligne jaune à ne pas dépasser ! Περίμενέ («attention») ! Vos pieds l'ont à peine approchée que déjà la presque tout le temps grosse et blonde crie voire vous
crie dessus... Poliment tout de même. Je me demande si c'était dans son contrat. «Article 1 : vous ne parlerez pas. Vous crierez dès qu'il sera question de formuler quelque chose aux
usagers». «Article 2 : vous ferez la gueule tous les jours en fusillant les gens du regard. Les effrayer, c'est les faire se sentir en sécurité !»... Et ils
ont signé... Je dis «ils» car il m'est arrivé une fois de voir un garçon de la «security» jouant avec son portable et grillant
discrètement sa clope... Enfin une anomalie humaine chez les robots du métro !
Attention à la ligne jaune
mais entrez sans payer...
Ce n'est pas que je vous y encourage. Mais il est vrai qu'il n'y a aucun contrôle à Athènes même si les Grecs vous soutiendront le contraire. Je n'ai été contrôlée
qu'une fois à Syntagma, le haut lieu des contrôles avec Omonia. Le premier dimanche d'octobre. J'avais oublié de racheter ma carte. Angoisse. Je montre mon ancienne carte. Le monsieur n'est pas
content. Finalement il me montre le guichet pour que j'aille la refaire. Une chance... J'ai revu par la suite deux fois des contrôleurs (en quatre mois - je prends minimum quatre fois par jour le
métro) mais deux pour cent personnes, il ne m'ont pas contrôlée. Il est aisé de passer entre les filets. Encore plus de ne pas payer. Les stations ne sont pas équipées de portes comme à
Paris. La générosité des usagers d'Athènes : laisser le ticket encore valide à l'entrée de la station ou le donner directement à ceux qui vont prendre le métro. Comme en France avec les
tickets de parcmètre... En tout cas j'ai toujours vu les Grecs acheter et composter leurs tickets. Les usagers grecs me semblent tous sérieux et responsables. Ils sont parfois une vingtaine à
attendre à la machine en files assez impressionnantes. A souligner : le métro d'Athènes est beau, propre. Chaque station est particulière. Et bien décorée. Il est moderne avec des télés dans les
stations du centre qui vous informent de la météo. Récent, il est aérien en dehors du centre. Un plaisir pour les yeux. Parfois pour nous faire patienter on a le droit à du Yann Tiersen comme
dans les stations d'Acropoli, de Kato Patissia... Quand il n'y a pas foule, c'est vraiment plaisant de prendre le métro athénien !
Le jeune couple de Roumanie
Un midi, un jeune couple mendie dans le métro. Le garçon joue de l'accordéon. La fille demande de l'argent, le sein à l'air, un bébé sur la poitrine qui tête. Je
suis émue. Personne ne leur donne d'argent. Ils vont s'asseoir dans le fond de la rame. L'image du bébé me trotte dans la tête. Je vais m'asseoir à côté d'eux, toute rougissante, un peu gênée, je
leur donne des pièces et leur demande s'ils parlent anglais. Non. Français? Allemand? Non plus. Italien? Banco. Et même très bien concernant le garçon! Je
saisis qu'ils s'appellent Yanouch, Samuel et Anatchka. Je ne comprends pas d'où ils viennent en revanche.. D'une petite ville à 400 kilomètres de Bucarest. La fille a 18 ans, le garçon en a 20. Ils sont en Grèce depuis deux semaines, ne parlent pas
grec, vivent chez un ami. Ils ne savent pas combien de temps ils vont rester à Athènes. Le garçon me dit qu'il a vécu auparavant à Naples c'est pourquoi il parle bien italien. Il me dit que partout c'est la même chose. Pas de travail. Pas d'argent... Nous
discutons encore pendant que la maman change la couche du bébé. Un dernier regard sur son petit derrière fripé et ses yeux rieurs. Ils sont beaux tous les
trois. Je les quitte. Je suis arrivée à mon arrêt. Je monte les escaliers. Ils m'appellent. Ils sont sortis eux
aussi. Le garçon me demande où je vais. «A casa mia. Abito in questo quartiere». La fille me
redemande de l'argent en me montrant le bébé. Elle insiste. Finalement on se quitte. Ils me disent qu'ils sont souvent dans le quartier de Kato Patissia. A jouer de l'accordéon. Demander de
l'argent. Je ne les ai jamais recroisés. Mais pas non plus oubliés.