Debout, songeuse, hypnotisée, amusée... Je somnole, j'observe, j'écoute, je m'intéresse, je m'émeus. Mon regard s'attache aux fatigues, aux fraîcheurs, aux duretés, aux joies des visages, naturels, fardés ou ridés. Mes oreilles se bercent des musiques et des litanies de ceux qui mendient. Mes joues s'enflamment devant tant de misère et de malheurs à demi compris. Dans mes sourires amers et mes regards curieux se sont imprimées quelques scènes de vie et quelques portraits, rencontrés au hasard des lignes 1 et 2 du métro d'Athènes.
La vie dans une rame faite tableau
Mercredi 7 décembre. 9h30. Je trouve une place où me replier, face à un homme et une jeune fille. Il m'observe, le regard
légèrement au-dessus de ses lunettes. C'est l'homme au komboloï (κομπολόι , petit chapelet grec). La fille aux
écouteurs me fixe de son regard noisette aux cils parfaitement étirés par un discret mascara. Les aspirantes à la succession d'Aphrodite montent comme chaque jour dans le wagon : des blondes, des
brunes plus ou moins jeunes, apprêtées, sur maquillées. Le paquet de poudre entier paraît quotidiennement y passer. Elles défilent avec leurs sacs, le dos courbé ou les épaules rentrées. Leurs
lunettes sur la moitié du visage, elles semblent un paquet de mouches silencieuses, élégantes et racées, encore endormies, qui ne se sont pas rendues compte que de soleil aujourd'hui il n'y a
point. C'est leur côté italien ! Tous
les jours, le métro accueille son lot de jeunes, les écouteurs dans les oreilles, le portable à la main. Une fois j'en
noterai deux se roulant des galoches comme jamais. Je raconte car c'est la première fois que je vois un garçon ouvrir la bouche de sa partenaire devant tout le monde, la lui tenir avec ses doigts
pour y fourrer la bouche entière. Je vous épargne le dessin plus détaillé. Surprenant et peu ragoûtant. Déterminé le garçon ! Et puis il y a les personnes âgées aux paquets, aux sacs souvent
nombreux. Qui s'énervent parfois si votre pied ose salir de son effleurement aérien le plastique d'emballage... Le truc de certains? Vous demander de confirmer chaque station de métro à peine
dite par le haut-parleur. Même avec ça, ils sont quelques uns à rater leur arrêt. Alors qu'ils demandent et redemandent les noms à la ronde pour mieux
vous faire progresser en prononciation grecque, sont à l'affut des panneaux dans l'hypothèse de rédiger une nouvelle version du Routard, comptent et recomptent le nombre de stations qu'il reste à
parcourir comme s'ils allaient le jouer au loto, fixent la carte accrochée dans le wagon comme pour l'apprendre par coeur dans le cas d'une sélection à "Questions pour un
champion"...
Vous ne parlez ni grec ni anglais? Dommage !
Le cas de la station d'Omonia est unique à Athènes. Surprenant pour quiconque visite la capitale. Les étrangers ne sont pas les seuls à s'y tromper. J'ai parfois été témoin de Grecs perdus, plongés un instant dans le λαβύρινθος (labyrinthe) de Dédale.
Il y a trois tentacules de métro à Athènes : la bleue, la verte et la rouge. La ligne verte va du quartier huppé à l'énorme port, du nord de la ville (Κηφισιά, Kifisia) au sud (Σταθμός Πειραιά, station du Pirée). Elle passe par le centre, par la grande station d'Omonia (Ομονοίας), mal famée diront certains, sans problèmes pour d'autres. Particularité à Omonia : il faut changer de métro. Obligatoirement. Vous devrez sortir à gauche pour continuer vers le Pirée, à droite pour changer de ligne et emprunter la rouge. A noter que les portes ne s'ouvrent pas en même temps d'où peut-être la confusion. Quelques uns n'y comprennent rien. Il y a de quoi se perdre un peu même si on est prévenus en grec et en anglais du changement par une voix toujours féminine et expéditive.
Besoin d'un bilan cardiaque et pulmonaire rapide? RDV chaque jour ligne 1 !
En septembre, à cause de la chaleur certainement, fatigués à coup sûr, le Grec et la Grecque se repèrent dans le métro à leurs soufflements. De vrais plaintes pulmonaires estampillées Ελληνική (grec) . J'ai parfois assisté à des compétitions de soupirs insistants, limite forcés dans le métro. Un entraînement pour l'accouchement? (Le taux de fécondité est un des plus bas d'Europe). Toutes les raisons sont bonnes pour en débuter un (soupir bien sûr, non pas accouchement) : il n'y a aucune place libre ou au contraire une se libère. Souffle d'énervement ou de soulagement ! Les fenêtres du métro sont ouvertes ou au contraire fermées. Souffle d'agacement ! Les poumons se remplissent et se lâchent à la mesure de chaque petit changement dans le métro. J'ai parfois l'impression que l'usager d'en face me prend pour son cardiologue et qu'il attend mon diagnostique... Certains faisant Kifisia-Omonia doivent souffler autant qu'un cycliste faisant le tour de France. Il leur manque juste les fans en campig-cars le long de la ligne de métro. A la place ils ont droit aux mendiants – source aussi de soupirs et de soufflements – qui pour les encourager à exercer leurs poumons viennent leur prendre un peu d'argent.
La beauté du "métropolimatin"
Le mardi, je suis dans le métro à 7h. En ce moment quand j'arrive vers Irini (d'où l'on voit le grand et beau stade olympique des JOs) et Neratziotissa (le quartier des magasins, du grand centre commercial The Mall), mes yeux plongent dans le bain bleu orangé du lever de soleil. Généralement, de bon matin, le métro archi plein, le chocolat chaud encore sur l'estomac, je tire la tronche mais le nez collé à la porte-fenêtre, j'éprouve un réel plaisir à voir la ville s'étirer et sortir de son sommeil, les rails et les graffitis défiler, sur lesquels se reflètent les fenêtres du métro, les nuages s'éparpiller comme mes rêves et le soleil venir caresser tendrement de ses rayons les façades des maisons et les visages endormis. J'aime cette lumière qui perce le ciel encore un peu sombre, ces couleurs nouvelles qui poussent comme des fleurs et viennent raviver mes yeux gonflés, encore ivres de sommeil et titiller mon envie de vivre pleinement cette journée... A ce moment, j'aime le métro et surtout j'aime Athènes.
Et vous, qui vivez/viviez ou êtes/étiez de passage à Athènes, en Grèce, que pensez-vous des transports en commun? Des anecdotes à nous faire partager?