Un weekend de septembre, nous décidons avec une amie franco-grecque Électre de nous rendre à Nafplio ("Ναύπλιο", Nauplie) dans le Péloponnèse. Le temps est magnifique, il fait chaud. Nous prévoyons de nous baigner et les poches un peu vides de « faire du bivouac ». Les voyages forment la jeunesse. C'est peu dire, surtout lorsque l'on va de découvertes en déconvenues, de déconvenues en découvertes dans un cadre idyllique. Un weekend à Nafplio ou deux jours de fous rires et de rencontres marquantes, entre terre et eau.
Galère n°1 : Il faut quitter Athènes. Il y a deux terminaux de bus dans la capitale. L'un tout près de chez moi, l'autre beaucoup plus loin où pour se rendre il faut prendre le métro puis le bus puis marcher dans une zone industrielle des plus « « sympathiques » » : des chiens errants, des rottweilers agressifs qui se jettent sur les grillages les séparant de nous, des poubelles éventrées.. « « Sympathique » » ! De quel terminal devions-nous évidemment partir? Banco !
Nous partons très tôt en métro pour Égaleo (terminal de la ligne bleue du métro) au nord-ouest d'Athènes. Nous demandons la route à des employés du métro pour le terminal des bus. La chance est avec nous de bon matin. Personne ne sait nous renseigner. Soulignons qu'Électre parle parfaitement grec. Sur les conseils assez vagues d'un homme, nous tentons un chemin, dans cette zone urbaine qui entoure la sortie de métro, plutôt agréable (pas de guillemets, ce n'est pas ironique) ponctuée de nombreux magasins de vêtements. Nous parvenons enfin à la « « zone idyllique » » : deux grandes routes se séparent. Nous prenons à droite, marchons, marchons... « Un bus ! » Nous courrons, sautons dedans. Avec nous, James Bond peut aller se rhabiller ! « T'es sûre que c'est la bonne direction? » « Hmm j'ai un doute »... Il aurait fallu tourner à gauche. Malaise. Nous reprenons la route en sens inverse. Pas de bus. Mais des chiens. Nous tentons le stop. Sans succès. Après une bonne demie-heure de marche, nous arrivons au terminal, gris, sale, pollué. Assez grand. Où prendre nos billets? Nous n'y comprenons rien. Nous demandons, nous cherchons et finalement, le trésor, le Graal, les billets, nous les avons ! Ces précieux billets ! Un jus d'orange siroté, deux heures de retard sur notre timing et nous voici dans le bus... Ouf !
Galère °2 : … à des places choisies au hasard. Sauf qu'en Grèce comme dans les cinémas allemands et italiens, dans le bus, on a une place attitrée et même si le bus n'est pas plein, les Grecs - surtout les petites vieilles - sont très tatillons dessus. Mais où sont donc inscrits les numéros? Il faut compter et tenter sa chance.. Comme au loto ! Sauf qu'on a toujours les poches vides !
Non galère ou le début des réjouissances : Le contrôle des billets dans les bus en Grèce est très marrant. Vous pouvez monter dans le bus, tranquillement, sans tickets même, si vous le souhaitez. Le conducteur ne vérifie rien. Pas comme en Sicile ! Selon la durée du trajet mais bien souvent vers la fin quand vous allez arriver à bon port, en pleine campagne « Il sort d'où lui? » monte un contrôleur. Il poinçonne les billets, en vend à ceux qui n'en ont pas et redescend, en pleine campagne toujours, pour attendre un nouveau bus imagine-t-on. A noter que parfois c'est le luxe : on a le droit à deux montées de contrôleurs ! On ne sait pas bien pourquoi. Jour de chance !
Réjouissance toujours : Nafplio est une ville magnifique ! Le centre-ville est lumineux. Les ruelles, les places sont charmantes, fleuries. Les maisons sont mignonnes et le long de mer très agréable ! La ville est calme, l'air est pur, les gens semblent détendus. Un très beau cadre ! Un rêve ! Une nature reposante ! Une architecture séduisante ! La ville semble riche : il y a de nombreux bars. Elle se donne un petit côté fashion, jet-set et me fait penser à des villes comme Saint -Tropez, Taormina même si son style est plus décontracté. Nous sommes heureuses d'avoir quitté Athènes le temps d'un weekend.
Galère n°3 : Il est midi. Les estomacs ont faim. Nous achetons des "tiropita" ("τυρóπιτα", feuilletés au fromage) puis partons en quête d'un marché pour acheter quelques fruits. Nous demandons notre chemin et nous faisons accompagner par une femme, la cinquantaine. Elle semble très intéressée par qui nous sommes, ce que nous faisons... Surtout parce qu'elle a... Un hôtel à nous conseiller. Que tient un ami ou la sœur du beau-frère de son oncle.. Dans ce genre de conseils je me perds toujours... Nous lui expliquons que nous avons peu d'argent et que nous pensons plutôt dormir à la belle étoile. Elle insiste. « Quel est votre budget? » Décidément une coriace, au visage si maternel. Mais à la langue acérée. Elle nous explique qu'il y a beaucoup d'étrangers en ville et que des filles comme nous ont été retrouvées ces derniers temps violées et tuées. Nous ne devrions pas dormir dehors. Bonne âme, elle nous met en garde. Notre porte-monnaie nous sauverait. Elle, tu parles !! Un air si sympathique. Maternel. Un ange noir quoi !
Galère n°4 : Même si nous doutons des paroles de diablotine, nous ne sommes plus très sûres de nous pour le bivouac. Nous nous renseignons sur le prix de quelques hôtels. 50 euros. 50 euros. 50 euros... Pour deux (25 euros par personne) ce n'est pas si cher mais nous n'avons pas le budget. Tout se passera bien. Nous sommes deux. Fortes et courageuses ! Nous avons beau nous le répéter, nous suons toujours un peu.. Et pas seulement à cause de la chaleur.
Enfin un peu de réjouissance : Nous quittons le centre-ville pour longer la mer et de nombreuses, très nombreuses terrasses. Il n'y a aucune voiture. Beaucoup de gens sirotent un verre, un café. La promenade se fait le long de l'eau et des terrasses puis de l'eau et des pins. Le bleu du ciel et de la mer est clair, sublime. Nos regards se perdent dans l'azur. Qu'une envie : se jeter à l'eau ! De loin nous apercevons enfin la plage tant convoitée ! Une crique isolée. Une petite plage de galets avec douches, bar. Nous y passons l'après-midi entre soleil et mer, mer et soleil, à caraméliser notre blancheur, à laver notre fatigue. Le soleil se couche déjà. Nous reprenons la route de la ville après avoir bien visualisé les lieux... Peut-être y retournerons-nous cette nuit. Des transats sont en libre accès. Mais une grande maison abandonnée à deux pas de la plage ne nous inspire qu'une demie-confiance.
Galère n°5 : En ville nous mangeons un des plus petits et plus chers souvlakia "mé kotopoulo" ("σουβλακια με κοτοπουλο", avec poulet) jamais engloutis... Deux bières et nous commençons à errer dans la ville. Nous sympathisons avec les chats et nous prenons à vouloir les nourrir. Mais avec quoi? Électre part en mission : elle achète un pack de chocolat au lait mais quand elle revient, plus un chat... Les ingrats ! Nous le boirons le lendemain au petit-déjeuner (le lait, pas le chat). Nous élisons la place principale de Nafplio comme QG de notre début de soirée. Nous commandons deux gros gâteaux grecs mielleux à souhait avec glace à la vanille. Et nous installons confortablement pour regarder les allers et retours des badauds, des mannequins d'un soir, des enfants. La plupart des habitants sont sur leur 31. Nous sommes samedi soir. Ça ressemble à la passeggiata en Italie. Ça fait aussi un peu penser à la Roumanie : un garçon dont il ne reste que le tronc passe sur un skate-board entre les tables pour demander de l'argent. Un choc ! Il est rapide, nous avons à peine le temps de le voir. Nous en parlerons toutefois pendant des heures. Comment cela est-ce arrivé? A-t-il été amputé à sa naissance? Qui profite ainsi de la pauvreté humaine et fait de l'horreur son marché? J'ai vu des hommes ainsi en Roumanie.. Ils n'ont plus de jambes. Leur reste-t-il leur appareil génital? Ils vont et viennent sur des skate-boards, l'estomac posé.. Avançant avec leurs bras. Mendiant. En Roumanie entre les voitures à l'arrêt du feu rouge. Quelle est leur vie? Que faisons-nous pour eux? Ces images me hantent ! D'un coup aussi, nous ne sommes plus rassurées. Nous repensons aux paroles de la dame du marché.
Galère n°6 : Moment de psychose. La plage est très loin du centre et donc de la police. Il y a une maison abandonnée peu rassurante. Nous envions les personnes qui nous entourent. Nous les imaginons sous peu se lover dans un lit chaud. Nous reprenons le chemin du port et papotons sur un banc... Les heures passent. Nous sommes fatiguées.. Nous tentons un coin de verdure. Il sent trop la pisse de chats. Il doit y avoir mieux...
Galère n°7 : Nous nous redirigeons vers un petit square pour enfants. Il y a des jeux, une balançoire, un peu de verdure. Aucune odeur. Parfait... Nous y installons nos couvertures
pensant y être tranquilles. Vision d'horreur. A deux pas de nos têtes, une seringue avec du sang coagulé à l'intérieur. Nous plions vite bagages et repartons. Il y a un petit train près du port. Pourquoi ne pas s'y mettre? Nous sommes dans nos délires, choquées...
Galère n°8 : Il est 1h passée. Nous optons pour un jus d'orange sur une très belle terrasse située sur le long de mer et sur le point de fermer. Nous demandons si nous pouvons rester dormir sur les mini-canapés. Colorées, chaleureux, confortables. Les serveurs sont d'accord. Nous nous installons pour quelques heures. Vers 5-6 heures nous sommes réveillées par une femme très dynamique qui vient faire le ménage. Elle vient d'Europe de l'est et est persuadée que nous sommes SDF. Elle nous demande où nous irons aujourd'hui, où nous dormirons le soir à venir. Nous lui expliquons que nous souhaitions juste dormir à la belle étoile. Elle ne voit pas l'intérêt, ne comprend pas. Insiste. « Où dormirez-vous ce soir? » Nous lui expliquons pour la rassurer qu'Électre travaille pour une organisation française importante et que moi j'enseigne le français dans une école. Quelle image de la France nous donnons ! Nous quittons rapidement la terrasse pour une autre mais cette fois vide sur la place principale de Nafplio. Le soleil va bientôt se lever.
Une réjouissance enfin pour le matin : Nous retournons à la plage pour le lever du soleil... En rêve ! Les transats face à la mer sont en effet libres, nous nous affalons dessus et nous endormons comme vraiment des SDF. Les pieds à l'air, les cheveux ébouriffés, de grosses couvertures aux couleurs passées sur le dos, la bouteille d'eau à côté, des sacs poussiéreux. « Guys, you have to go away !!! » Voilà qu'on nous prend pour des hommes ! Nous avons dormi quelques heures. Un serveur nous réveille et nous vire comme des malpropres de la plage. Nous allons faire une petite toilette à l'ombre. Nous nous affalons de nouveau. Sur des marches et grignotons quelques crackers. Il fait très chaud !
Demie-réjouissance : Nous voulons monter à Palamède. Une très belle citadelle, un fort en hauteur, qui domine tout Nafplio. Électre qui a entendu parler un vieux couple en allemand tente la langue de Goethe pour quémander quelques informations. En ce moment, l'Allemagne et la Grèce ne sont pas super copines.. La dame lui répond assez sèchement qu'elle peut comprendre le grec. Elle est allemande mais maquée à un Grec depuis des années. Ne nous énervons pas. Électre va passer en mode Homère. Les informations en poche, nous voilà parties pour un peu de grimpette. A l'ombre. Puis au soleil. C'est de plus en plus dur. Il y a encore combien de marches comme ça? Ceux qui descendent sont bien plus frais et moins rougeauds. Un couple avec enfant nous talonne et compatit à chaque pause à notre essoufflement. Dans l'effort nous nous sommes fait des demis-amis ! Nous reprenons espoir en la gentillesse humaine ! Et... Nous sommes à Palamède ! Nous dominons tout Nafplio, la mer, les toits, les parcs ! Tout ! Quelle vue ! Sublime ! Bien méritée ! La grimpette valait le coup. Nous visitons une petite église. A l'entrée un des plus gros basilics jamais vus ! Ils sont souvent gros comme ça en Grèce !
Galère n°9 : Nous nous renseignons à l'entrée du fort pour descendre par un autre chemin. J'ai lu dans mon guide qu'il est possible de descendre par un autre versant et d'arriver à une grande plage. Les Grecs ont le taxi dans le sang : la dame de l'accueil nous invite à prendre... Un taxi. Elles nous a bien regardées? Nous sommes passées de SDF le matin dans la bouche du serveur à princesses l'après-midi dans les yeux de cette caissière ! Quelle ascension ! Mais c'est la descente qui nous préoccupe maintenant. Il fait très chaud. Nous la tentons à notre façon... Après une pause granita et jus de fruits frais pris d'une roulotte. Le patron nous fait le coup du pourboire (vécu dans d'autres lieux). Les boissons coûtent 3 euros. Je lui donne 5 euros. Il me demande s'il peut garder le pourboire. Mais pourquoi? Rien ne justifie qu'il se garde 2 euros comme ça. Au final, gênée je dis « oui » mais il se trompe et me rend la monnaie. Burlesque.
Galère n°10 : Sur la route, la sandale d'Électre s'est rompue. Elle clopine (un peu) à côté de moi. Doit souvent trouver un moyen nouveau de la lier. Mais ne se plaint pas ! Une super nana ! Je propose de tenter le stop. Oui? Non? Adopté. Nous tendons le pouce et à peine le temps de dire « Il y en a bien un qui va... »« que nous sommes dans la voiture d'un Grec bien sympa qui nous dépose juste sur la plage. Grande, spacieuse, vide. Nous nous jetons dans la mer. Après avoir enfilé nos maillots de bain. L'eau n'est pas profonde. Nous pouvons marcher, faire un peu bronzette dans l'eau. Nous nageons. Que du bonheur ! Nous papotons, nous nous endormons. C'est vraiment la...
BELLE VIE ! Affamées nous tentons un café bouiboui où nous achetons des sandwichs, de l'eau, du jus d'orange. La peau brûlée et salée, un peu sales, nous reprenons la route.
Réjouissance toujours : Nous faisons du stop de nouveau. Un garçon mignon mais sourd (vu le volume de sa sono) s'arrête. Il ne va pas dans notre direction. Des voitures bien remplies nous dépassent. Nous doutons. Finalement après 5 minutes un monsieur s'arrête et nous emmène. En plein centre de Nafplio ! La classe ! Nous retournons sur le bord de mer, ouvrons deux bières. Un homme en vélo s'arrête près de notre banc. "Your are the beach girls?" (Heureusement qu'on n'a pas compris autre chose...) Le garçon mignon ! Il nous explique que nous pouvons avoir gratuitement des vélos de la mairie de Nafplio en y laissant une carte d'identité. Pour quelques heures. Bon à savoir pour une prochaine fois. Sympathique ce garçon !
Galère n°11 : Nous allons prendre le bus pour le retour. En chemin nous rencontrons une gamine, Rom semble-t-il. Électre et elle parlent un peu. Le bus est là. Nous tentons d'y entrer mais le conducteur refuse. Il fallait réserver le retour. Comment ça? A peine arrivées à Nafplio la veille nous aurions du réserver le retour. Nous insistons de nouveau pour monter. Ce n'est pas possible. Nous ne pouvons pas faire le voyage debout. Nous sommes naïves. Ses pratiques nous étaient inconnues. Le bus est plein. Nous partirons avec le suivant dans 1h30... Nous avons désormais le temps de nous promener avec la gamine Rom. Electre lui offre une glace et nous parlons. Elle aussi pense que nous sommes SDF (décidément) et nous propose de venir dormir chez elle. Si nous l'avions rencontrée avant, nous aurions pu dormir chez elle, nous assure-t-elle. Elle est trop mignonne ! Pleine de vie. Doit avoir une dizaine d'années. Elle ne parle pas bien grec, n'est pas scolarisée mais s'exprime en romani - dialectal semble-t-il. Elle tente vraiment de se faire comprendre. Elle raconte à Électre qu'elle vit avec sa mère, un garçon plus ou moins de son âge qui est son petit copain. « T'as un « gropain » toi aussi? » Électre ne comprend pas. Elle demande plusieurs fois de l'argent, essaie de répéter des mots en français, intéressée, demande de nouveau de l'argent, arguant qu'elle doit s'acheter des chaussures. C'est l'heure de prendre le bus. Électre lui offre ses boucles d'oreilles. Elle vient avec nous à la station pour demander de l'argent à qui monte ou descend. Elle est un peu chahutée par les conducteurs de bus. Ils semblent la connaître. Nous repartons pour Athènes et la laissons seule, nous faisant des au revoir de la main.
Et quelques-unes des 1001 réjouissances : Malgré quelques petites galères, quel weekend ! La ville de Nafplio est très certainement une des plus belles villes du Péloponnèse. Et des plus agréables ! La mer y est magnifique ! Toutes les rencontres ont été drôles, intéressantes. Beaucoup de beaux souvenirs. Ça vous donne envie? Évitez peut-être le bivouac...