Le film de super héros est un genre assez difficile à renouveler dans son essence même. Il est, en effet, souvent tributaire des bandes dessinées qui sont adaptées parfois pour le meilleur (les Batman de Burton et Nolan, les Spiderman de Raimi, les Hellboy de Del Toro par exemple), souvent pour le pire (le reste ?). Alors quand vient un projet original, écrit et réalisé par un fan du genre du nom de Josh Trank, le spectateur est en droit de sentir une petite forme d’excitation monter. Chronicle part donc sous de bons auspices.
Le point de départ est en apparence simple. Trois adolescents aux caractères bien différents (le cool, le beau parleur, le renfermé) vont se retrouver dotés de super pouvoirs au détour d’une fête. Commence alors un cheminement classique, allant de la découverte à la maîtrise pour finir vers le pouvoir qui dépasse le personnage. Ce qui est intéressant n’est donc pas tant cette logique d’écriture, inhérente au genre, mais sa mise en contexte. Un lycée, une famille dysfonctionnelle, des relations avec autrui difficiles apparaissent ici comme le nerf de la guerre. Toutes les actions des héros vont se faire dans ces environnements, extrapolant ainsi un mal être générationnel. Grâce à aux facultés accrues leur donnant une nouvelle identité, ils vont pouvoir vaincre leurs démons, extérioriser leurs envies. Si ce principe métaphorique n’est pas si éloigné d’un Spiderman, pour ne citer que le plus célèbre, Chronicle va aller plus loin dans son propos en optant pour une représentation naturaliste. En effet, le métrage est filmé selon un point de vue interne, à l’aide d’une caméra subjective, comme ont pu l’être des films comme Le Projet Blair Witch ou Cloverfield. Le spectateur se retrouve au cœur des préoccupations adolescentes pour une immersion totale tant le dispositif fait penser à un journal intime. D’ailleurs, il ne faut pas s’y tromper, c’est exactement le but du plus jeune de nos héros. Cette forme est étonnante au début car elle envoie des signaux empathiques honnêtes. Le réalisateur est, à ce titre, intelligent, car la caméra va savoir rester en retrait en occultant la tare majeure de cette mise en scène, le gros plan voyeuriste, pour aller vers une construction des cadres et des mouvements de caméra adéquate au discours de fond de Josh Trank.
Mieux encore, le dispositif va doubler l’enjeu de proximité pour prendre une réelle dimension narrative. Ce que la caméra enregistre, que ce soit visuel ou sonore, devient le monopole du spectateur et du super héros. Nous sommes les seuls à s’en rendre compte. Main dans la main, œil dans l’œil, oreille dans l’oreille, nous allons pouvoir ressentir des sensations que les autres protagonistes ne peuvent pas. La subjectivité est totale et le spectateur accompagne plus que jamais ces adolescents. Surtout, cette mise en scène figure une caractérisation poussée. Les héros sont seuls dans leur monde, seuls à se comprendre, seuls à se parler. Cette proximité va leur permettre de questionner une amitié, un lien de famille, un rapport à l’autre. Alors que leurs pouvoirs les ont transformés en « monstres », ils deviennent en fait des êtres sociaux. Les conclusions de cette représentation sont simples. Le réalisateur aime donc suffisamment ses personnages pour les respecter en leur laissant des ouvertures et son spectateur pour ne le prendre à la gorge et lui proposer un divertissement malin et une chronique sincère.
Chronicle, malgré ses bonnes intentions, n’est pas, non plus, un film à l’eau de rose. Alors que l’on pourrait suivre naïvement les héros, un revirement de situation s’opère dans la caractérisation des personnages. Celui par lequel s’opèrent une identification facile et une compréhension du combat adolescent se retrouve totalement dépassé par les événements malgré un fond de départ que le spectateur ne peut qu’accepter. Il devient véritablement possédé, autant dans ses actes que dans sa manière de raisonner et de penser ses pouvoirs. Cette inversion identitaire par le développement d’un reflet maléfique est la bonne surprise du film. Mais les personnages sont en souffrance et il va falloir lutter contre cette schizophrénie. Ce principe de scénario va permettre au cinéaste de filmer quelques situations spectaculaires où la ville va se retrouver le théâtre d’affrontements titanesques. Grâce à des effets spéciaux bien sentis malgré un budget modeste, l’apocalypse a bien lieu. Celle-ci est donc physique mais surtout morale. Elle ne pourra se conclure que par un dénouement dramatique où les connections passées vont se défaire à contre coeur. Par cette voie, Chronicle arrive à se dégager du caractère bien-pensant classique et convenu pour se constituer une propre identité assez cruelle.
Mais si ces qualités sont intrinsèquement salvatrices, Chronicle apparaît aussi comme un projet bancal. La faute en revient à sa représentation prototype. Les enjeux de la mise en scène qui donnaient au film sa force, son caractère et donc son intérêt se désagrègent littéralement au fur et à mesure du métrage. En effet, l’unicité du point de vue se retrouve petit à petit totalement oubliée au profit d’un vulgaire et facile found footage. Cela commence par la caméra de la copine pour se terminer sur un final à base d’images de vidéosurveillance de magasins, de caméra de rue, de téléphones portables et autres tablettes numériques. La réalisation n’est plus du tout pensée et prend la forme d’un arc-en-ciel formel proche du grand n’importe quoi. Le film est ainsi totalement perdu dans ce cocktail de réalisme à tout prix et de volonté d’en mettre plein les yeux à son spectateur. Si l’on ajoute à cela une interprétation pas toujours suffisamment fine et une écriture parfois trop brute, une sensation de gâchis prend peu à peu le pas.
Chronicle a les qualités de ses défauts. S’il provoque un intérêt non négligeable par sa sincérité, son propos et une volonté de renouvellement, le film se retrouve prisonnier de son projet. Le métrage, s’il reste toujours plaisant à suivre, perd alors en intérêt et cela est bien dommage. Néanmoins, Josh Trank reste un réalisateur à suivre, pourvu qu’il ne se fasse pas happer par les sirènes hollywoodiennes et qu’il garde son esprit rebelle.