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Attention, ce que nous écrivons arrive

Publié le 02 mars 2012 par Ctrltab

Attention, ce que nous écrivons arrive

Le goût du chocolat dans la bouche m’a donné la force d’ouvrir, enfin, les cahiers que ma femme m’avait laissés. J’avais dix-sept heures à tirer jusqu’au prochain rendez-vous d’hôtel. J’ai tué le temps, j’ai lu.

« J’attends ton retour impatiemment. Nous sommes en été, il n’y a aucune raison que tu reviennes. J’ai tellement envie de toi. Etre ton passe-partout. Même si je ne suis que ton passe-nulle part au fond…

Je suis en train de lire une BD, Le cahier bleu. Un homme amoureux écrit à la femme qu’il aime et qui l’obsède. Il pense ainsi pouvoir s’en délivrer. Sache que je suis obsédée par toi et en te l’écrivant, je ne le serais plus. L’écriture, une catharsis ? Je suis à la page 32. Le meilleur est à venir.

Page 54. Mauvaise nouvelle. Louise, la femme aimée reçoit le cahier bleu. Elle se sent trompée, trahie. Elle quitte son auteur. Dois-je continuer ? Attention, ne confondons pas nos intrigues : le cahier bleu atterrit dans les mains de Louise par l’action malveillante du rival. Le cahier bleu n’était pas destiné à être lu par l’objet désiré. Ce cahier rouge, si.

Aimer, c’est comme écrire. Tout est question d’abandon.

Entre nous, c’est la guerre des tranchées. Celles qui charrient le sang dans nos veines, nos tempes, nos esprits, nos sexes.

Pourquoi me fais-tu perdre toute raison ? Je devrais me méfier. Les après-toi sont toujours si douloureux.

Mes réponses ne sont peut-être pas celles des questions que tu te poses mais elles le sont à leur manière, je t’assure.

Est-ce que tu penses parfois à moi ? Je veux dire sereinement. Est-ce que tu as envie de me revoir ? Est-ce que tu m’as vraiment effacé de ta vie ?

S’il y a une chose que j’ai encore du mal à dire, à écrire, c’est le sexe. Je n’ai pas encore trouvé les mots, je veux dire les miens.  Je pense que tu m’as fait aussi jouir avec tes mots. Tu m’as guidé dans ce territoire. Je ne veux pas le visiter seule. Accompagne-moi.

Je n’ai rien qui vienne de toi. Même pas une photo. Si, une seule chose, un livre que tu m’as offert. Quoi, l’éternité ? Livre que j’avais déjà lu. C’est idiot, avais-tu dit, si tu l’as déjà lu, ça ne sert à rien. Si, justement.

Je ne peux plus sortir en ce moment. A chaque moment, j’espère te croiser. L’inconnu qui passe, c’est toujours toi…

Un jour, je vais comprendre. Je comprendrais qu’il ne faut pas attendre les garçons. Qu’il est complètement idiot d’attendre l’accomplissement des promesses jamais formulées. Un jour, je vais comprendre que les filles doivent cesser d’être idiotes. Un jour, je vais comprendre que ce qui est passé appartient au passé. Un jour, je vais comprendre que ce qui est mort est mort. Mais ce matin, je suis simplement seule et fatiguée. En attente. »

J’ai refermé violemment le cahier. C’était si loin. Vingt ans déjà. Une histoire cousue de fil blanc et pourtant toujours aussi incompréhensible.


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