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Le Territoire des loups

Publié le 02 mars 2012 par Thibaut_fleuret @Thibaut_Fleuret

Le Territoire des loups

Joe Carnahan est un trublion de la réalisation car il n’est jamais là où on l’attend. Après un polar d’une belle noirceur, Narc, il avait ensuite enchaîné sur Mise à prix, un pur exercice formel puis sur L’Agence tous risques, un film de commande hollywoodien. Il revient aujourd’hui avec Le Territoire des loups, un survival, où Liam Neeson et quelques acolytes se retrouvent confrontés aux dangers de la nature dans le Grand Nord alaskien.

Alors que la grande majorité des films du genre posent comme postulat de base des personnes en apparence respectables luttant contre un ennemi dans une logique de survie (Delivrance de John Boorman ou La Colline a des yeux de Wes Craven par exemple), Le Territoire des loups essaie d’emblée de s’affranchir de cette logique. Certes, cette dernière permet de réfléchir la face cachée de la nature humaine avec délectation et donne au survival ses lettres de noblesse et sa portée sociopolitique. Seulement voilà, Joe Carnahan n’a pas de temps à perdre et va construire son film vers quelque chose de plus tendu, de plus brut, de plus viscéral. La première partie du film en est un témoignage flagrant. La voix-off pose les enjeux identitaires du héros, dont Liam Neeson prête ses traits avec force et justesse, et les représentations de la localisation et de la troupe de personnages sont originales et iconoclastes. L’Alaska, l’extrémité géographique du monde ; des repris de justice, l’extrémité sociale du monde. En brossant le tableau d’une double exclusion, le film prouve une identité pessimiste, certes inhérente au survival mais, ici, diaboliquement démoralisante. Ces hommes et ce lieu, intrinsèquement liés dans leur statut à part, sont oubliés à jamais. Personne ne peut leur poser un regard, aussi futile ou malveillant soit-il. Les protagonistes sont alors perdus, livrés à eux-mêmes, condamnés. Ces postulats posés, Le Territoire des loups peut plonger dans l’essence primitive du genre : survivre en milieu hostile.

Lorsque le survival arrive en tant que tel, le spectateur ne donne donc pas cher de la peau des protagonistes. Pourtant, ces derniers vont savoir développer une humanité insoupçonnée. Brisant les chaînes de leur triste condition, cette aventure va leur permettre de s’élever physiquement, socialement et moralement. Alors qu’ils paraissaient au bout du rouleau, les héros entrent naturellement dans une logique de lutte pour la survie quand d’autres se seraient laissés mourir à petit feu, de façon défaitiste ou cynique. Cela vient bien prouver leur soif primaire de (se) prouver que leur existence vaut la peine d’être vécue, du moins sauvée. Quand ce n’est pas le final, très réussi, qui synthétise ce combat de façon primitive et minimaliste, ce sont les situations périlleuses, moments classiques du genre, qui en témoignent. Les protagonistes doivent s’y confronter et sont autant d’exemple de cette volonté, donnant au film des morceaux de bravoure impressionnants. Ces personnages peuvent également se montrer solidaires entre eux lorsqu’ils viennent mutuellement à leur rescousse. Peu importe les rancoeurs passées, les opinions divergentes ou les liens sociaux faibles, un homme en danger est un homme en danger et il doit être secouru, coûte que coûte. Enfin, ils sont capables de montrer de la dignité, de la noblesse, de la hauteur d’âme. Les collègues de fortune ne sont pas oubliés et une prise de conscience sur la chance qui leur a, pour une fois, souri est effectuée. Personne ne la laissera passer. Finalement, ces éléments viennent prouver que ces parias d’une société qui ne voulait plus d’eux sont toujours des hommes. Même si des aléas de vie, des choix, des drames les ont fait basculer de l’autre côté du mur de la bienséance, ils se souviennent, en nous invitant au moyen de soubresauts visuels internes subjectifs, parfois de manière trop flagrante et mélodramatique, qu’ils ont eu une existence passée des plus respectables.

Mais la grande force du film vient de sa forme. Les paysages de l’Alaska auraient pu fournir matière à une réalisation ample, élégiaque et salvatrice. Mais le survival est un genre « méchant » où il n’y a pas de place pour le naturalisme naïf. Cela ne pouvait, de plus, pas participer du propos désenchanté du film. Derrière un grain d’image rugueux témoignant de la situation difficile des personnages, Joe Carnahan va alors privilégier deux éléments qui se répondent parfaitement. Le premier est le visage, généralement filmé en gros plan. Cette représentation permet, non seulement, de rentrer dans la psyché du personnage, anticipant les visions internes subjectives, mais surtout de témoigner de leur condition spatiale. Circonscrit dans le cadre, l’homme ne peut pas trouver de voie respiratoire, de conduit d’aération pour qu’il puisse s’échapper. Pour étayer cette vision, les plans d’ensemble se font rares et lorsqu’ils arrivent, la construction stricte du cadre fait qu’il n’existe aucun point de repère. Sans support de fixation, il n’y a pas d’échappatoire et un paradoxe se pose : l’immensité devient enfermement. Ils ont donc, en premier lieu, une vocation de construction d’un climax claustrophobe avant d’aller vers l’effrayant, emmenant par la même occasion la seconde matrice formelle : le son, auquel le réalisateur prête une utilisation monstrueuse. Celui-ci est multiple. En appuyant notamment sur les effets du blizzard, il rend compte de la dangerosité des éléments naturels qui ne vont laisser aucun répit aux hommes. Mais le plus détonnant réside dans le traitement du hurlement, allant du loup solitaire, du petit groupe à la meute entière ou le chef. Les loups n’étant pas constamment à l’image, ce questionnement sonore donne au film des accents de terreur en jouant constamment sur le contre-champ et le hors-champ. Personne ne sait, que ce soit le héros ou le spectateur, de quelle direction, ou par qui, la menace va arriver. Plongé dans l’inconnu, le spectateur se retrouve, ainsi, à stresser avec les personnages. Ces derniers sont bel et bien enfermés définitivement dans une prison à ciel ouvert.

Le Territoire des loups est une bonne surprise et reste un pur survival comme il est rare d’en voir sur les écrans. Puissamment mis en scène et interprété, le film s’inscrit dans une démarche honnête. En ce sens, Joe Carnahan ressuscite les vieilles gloires du passé (on peut penser à John McTiernan et à son Predator) pour faire du Territoire des loups un réel plaisir de cinéma.


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