La chambre de la Stella

Publié le 04 mars 2012 par Araucaria

J'aime les maisons. Je suis attirée par celles dont les portes et fenêtres sont closes. Elles m'interpellent encore plus si elles sont délabrées, envahies par les ronces et les broussailles. Toutes ces maisons ont une histoire. Elles doivent même avoir une âme ou au moins être dépositaires de toutes celles qui ont vécues sous son toit. Ces vieilles maisons, même sans grâce ou cachet, m'émeuvent. J'aimerais pouvoir leur donner la parole, et à travers elles raconter des histoires de familles séparées, dispersées, évanouies. C'est ce que Jean-Baptiste Harang a fait.
Résumé :
"Chaque maison cache un secret, les murs ont des oreilles mais la bouche cousue. Il faut poser longtemps la joue contre leur sein, comme un docteur fiévreux, pour les entendre respirer.
A Dun-le-Palestel, dans la Creuse, la maison de famille du narrateur en a si gros sur le coeur et tant à dire qu'on va la confesser, pièce après pièce, l'écouter se raconter, souvenirs dérangés, vérités arrangées, les choses et les gens tels qu'ils furent, les échos et les ombres qu'il en reste. Elle finira bien par lâcher ce qu'elle sait.
Elle sait l'histoire d'un père qui, lui, avait choisi de se taire."
Un extrait :
(...)
"Sans que cette précocité fût jamais confirmée par la suite de mes aventures, je dois avouer que c'est pour des raisons sexuelles que je sautai une classe et acquis pour le restant de ma scolarité une année d'avance; Mademoiselle Navarre menait de front deux niveaux d'enseignement dans une grande salle séparée en deux parties égales par le tuyau du poêle à bois. A sa gauche les élèves du cours préparatoire, mixte, à sa droite les garçons de dixième, dans une ségrégation stricte des sexes (les filles de dixième partageaient une classe de neuvième sans aucune mixité.
(...)
Sans mésestimer l'intérêt qu'on doit à l'étude, je ne négligeais pas ma voisine? Martine Gallet, à laquelle,le plus souvent possible, je montrais sous la table mon sexe, petit et bandé, sorti par la jambe de ma culotte courte, sans qu'elle s'en offusque, sans qu'elle y prenne un réel plaisir. Ce n'était qu'un jeu qui n'amusa pas longtemps Mademoiselle Navarre. L'institutrice décida un beau jour que ces manigances avaient assez duré et m'expédia de l'autre côté du poêle où n'annonaient que des garçons à qui je n'aurais rien à montrer qu'ils n'eussent déjà vu. Et me voilà propulsé en cours d'année sans mérite et sans gloire dans la classe supérieure pour une cause disciplinaire dont il n'y a pas lieu de se vanter.
Mademoiselle Navarre eut l'habileté de présenter cette sanction comme une promotion puisque, disait-elle, je suivais bien. Elle en eut une autre dont je ne sus la remercier, voilà bien cinquante ans que je suis sans nouvelles d'elle. Je suis gaucher. Les consignes voulaient alors, et elles dureront, qu'on forçat les gauchers à écrire de la main droite, on disait "la bonne main", celle qu'il fallait tendre au monsieur, à la dame, pour saluer. Mademoiselle Navarre anticipa sur ce que la raison finit par imposer : elle m'autorisa à écrire de la gauche...
(...)
Ma grand-mère n'était pas de cette école (...) et lorsqu'elle découvrit que j'écrivais de la mauvaise main, elle fit scandale, traita Mademoiselle Navarre de communiste, la dénonça urbi et orbi, acheta des cahiers propres et me fit refaire chaque soir à la maison, de ma bonne main, tout le travail de l'école. Ma gaucherie n'a donc été qu'à demi contrariée, je suis aujourd'hui à la tête de deux mains pour écrire et ne sais pas taper à la machine. N'ayant pas le goût de la fréquentation des analystes, j'ignore laquelle de mes tares je dois à ce double apprentissage.".
Jean-Baptiste Harang - La chambre de la Stella - Le Livre de Poche -