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Ces jours-là...

Publié le 04 mars 2012 par Jlk

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Celui qui ne s’ennuie jamais sauf quand ça lui arrive faute d’attention / Celle qui ne s’ennuie même pas en regardant le émissions les plus idiotes de la télé ou en passant des heures sur ses patiences / Ceux qui ont toujours subi la vie et se sont donc pas mal fait tartir, etc.
De la sublimation. - Il y a un moment très émouvant, dans La Tache de Philip Roth, et c’est celui où le narrateur, Nathan Zuckerman, et Coleman Silk, son vieux voisin en rupture de conformité, deviennent amis en dansant ensemble le fox-trot sur une terrasse nocturne, comme ça, spontanément, et sans rien d’équivoque dans ce contact physique de deux mecs à moitié nus, avant d’échanger diverses confidences, notamment sur les femmes. Alors que Coleman a «repris du service» grâce au Viagra, Nathan sublime « grâce » à l’impuissance où l’a laissé son cancer de la prostate. Cette complicité me fait songer à celle des anciens combattants. Au reste, toute forme de sublimation me semble émouvante, et celle de Nathan me touche particulièrement en cela qu’elle va vers l’œuvre à faire…
Du vertige. - Me viennent certains matins ces élans et ces refus étranges. Voudrais prier mais point de mains. M’agenouiller mais point de jambes. Me lever et sortir mais point de porte ni de chemin devant la maison, et d’ailleurs point de maison. J’essaie de chanter mais rien ne vient. Courir une fois encore le long du ruisseau, mais j’ouvre les yeux sans voir, ou plutôt c’est comme si j’étais couvert d’yeux. Que se passe-t-il? Ou a passé ma corde à sauter? Et pourquoi les mots me font-ils si mal ce matin? Encore heureux: je me pose des questions, cependant mon corps ne me brûle plus puisque point de corps.
A La Désirade, ce lundi 6 juin 2005. – J’ai commencé, ces jours, à m’intéresser à la blogosphère, suite à un échange avec Pierre Assouline qui me citait dans sa République des livres. Or, surfant hier soir, j’ai pu constater l’inanité, voire l’ineptie de beaucoup de ces blogs, tristes reflets du vide intellectuel et spirituel de tant de gens. L’un est intitulé Toucher rectal, un autre Le coin des filles, un gay s’épanche dans Les bogosses et une aimable gourde, Au fil de l’eau, recense tous les lieux communs du Développement Personnel. Un certain Juan Asensio enfin, sous le masque du Stalker, déverse sa fureur bilieuse à la Léon Bloy en prétendant disséquer le «cadavre littérature», avec une emphase fumigène assez typique des excités à la Nabe et autres Dantec, et cette incapacité de tant de Français à considérer la pluralité des opinions et les nuances du jugement…
Celui qui devine les arrière-pensées du centre avant / Celle qui te présente le Federer du badminton bordelais / Ceux qui fréquentent les mauvais lieux pour l’ambiance, etc.
A La Désirade, ce mardi 7 juin. – Très fatigué ce matin, après une longue veille passée sur mon nouveau blog littéraire. Après deux jours seulement, ces Carnets de JLK sont déjà pas mal élaborés et je vais les étoffer régulièrement avec des textes de ma meilleure veine. Cela peut me servir, en premier lieu, de nouveau lieu d’archivage, et peut-être cela me permettra-t-il de nouer des liens fructueux - qui sait ?
De l’autre lumière. – Et toujours je reviendrai à l’œil secret de cet étang d’étain sous la lumière silencieuse de ce lever du jour qui pourrait en être le déclin, on ne sait trop, Rembrandt lui-même me savait trop ce qu’il révélait en mâchant ses cigares - et surtout pas d’effets de théâtre, de clair-obscur ou de faux mystère : laissez venir la beauté des choses qui n’a jamais été séparée de son ombre et qui diffuse cette aura sans le chercher…
A la Désirade, ce 9 juin. – La lecture, ce matin à 5 heures, des chroniques de Charles Sigel intitulées Le zist et le zest, m’a ramené au cœur de ma propre présence et m’a revigoré et redonné aussi l’envie d’écrire et de peindre. Il y a là, chez le plus remarquable humaniste de la Radio romande, une qualité de perception et d’écriture, de sentiment et d’expression qui me touche beaucoup.
Du premier geste. – Tes outils seraient là et tu les verrais en ouvrant les yeux, tu les verrais et ce serait comme si c’était eux qui te regardaient, ce matin sans espoir – pensais-tu, ce dernier matin du monde – pensais-tu, ce matin du dernier des derniers qui aurait perdu jusqu’à son ombre, tes outils seraient encore là et leur désir te reviendrait…
À La Désirade, ce 20 juin. - Avant l’aube (5 heures ce matin) je ressens, souvent, le poids du monde. La solitude et le caractère vain ou dérisoire de tout ça m’accablent littéralement, et puis le lever, et puis le café et à la fenêtre, bientôt: le chant du monde bientôt l’appel de ma bonne amie restée en ville.
L’aube ce matin était diaphane, la première lumière irisant les crêtes de Savoie de rose foncé, sous le ciel de plus en plus soyeux et léger, de bleus et de blancs dilués; et les mésanges d’à côté s’en venaient aux provisions du grand sac de pain sec tandis que les arbres de la forêt exultaient de merles invisibles.
Mon regard encore flottant reposait sur la surface plane du lac pur de toute présence, n’était le minuscule triangle blanc d’une voile du coté de Saint-Gingolph, mais les mouches, déjà réveillées, les connes hagardes, n’ont pas tardé à me tirer de ma rêverie.
Du coup je me suis remis au manuscrit en chantier, le cœur serein et l’âme ouvrière.
Du Poids du monde. - Je ne sais pourquoi ce qu’écrit Peter Handke me fait penser, toujours, au travail du ver à soie. A le lire je revois ma mère faufilant avant de coudre. C’est cela même quand il parle de sa mère à lui, dans Le malheur indifférent: Handke faufile. A la fin du livre il note d’ailleurs ceci qui le justifie d’avance: « Plus tard, j’écrirai sur tout cela en étant plus précis ».
Et tout ce « travail littéraire » d’osciller entre l’effroi et son acclimatation, le cri et la glose, un récit de vie poignant et sa déconstruction simultanée, comme s’il y avait quelque chose d’inconvenant dans la simple émotion - comme si tout le tragique de la vie ne servait qu’à prendre des notes, et ces notes qu’à se tisser un cocon…
Au bord de la dépression: ces moments où il semble qu’on ait mal à tous les objets qu’on touche.
Ce personnage qui, après avoir touché le fond de la désolation, se met à s’intéresser passionnément au prix des choses. Il y a là comme un humour du désespoir qui me touche en ce moment précis.

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Handke acupuncteur. - En d’autres temps j’aurais peut-être rejeté ce livre aux observations parfois si vétilleuses, qui m’évoquent des sortes de flocons sensibles à consistance de bourre ou de soie floche, et pourtant je reviens et reviens au Poids du monde de Peter Handke comme à une méditation murmurée qui relance à tout moment la mienne ; et j’ai beau me reprocher de gratter ainsi ma plaie: je vois aussi la poésie qu’il y a là-dedans, et cet exercice d’attention qui aboutit à tout instant à la cristallisation d’images ou d’idées comme sécrétées par les gestes, les postures, les mouvements les plus imperceptibles du corps ou de l’esprit, celui-là comptant autant que celui-ci et débordant sur le corps de la nature et de l’univers.
Celui qui dit et répète qu’il campe au bord du ciel / Celle qui se rappelle la première fois mais n’en parlera jamais / Ceux qui se rappellent plusieurs premières fois à choix, etc.
A La Désirade, ce 21 juin. – Ce qui pourrait n’être qu’un jeu (mon blog) est devenu pour moi une nouvelle stimulation, mais attention à l’obsession. Cela seul est néfaste: que l’esprit (et le cœur aussi) soit occupé et bientôt saturé au lieu de rester poreux. Cela est essentiel à mes yeux: rester poreux.
(Ces notes sont extraites de Chemins de traverse; lectures du monde 2000-2005, à paraître en avril 2012 chez Olivier Morattel)
Aquarelle JlK: Dunes de Sète, 2005.


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