Le directeur du musée de l'Ermitage Mikhail Piotrovsky compte parmi les soutiens de Vladimir Poutine. Crédits photo : Alexei Danichev/RIA Novosti
- REPORTAGE - Les acteurs de la capitale russe des arts et de la culture sont divisés sur la candidature de Vladimir Poutine. Quand certains lui reprochent son absence de politique d'autres au contraire le voient comme le garant de la grandeur du pays.
De notre envoyé spécial à Saint-Pétersbourg
Ce n'est certes pas encore la bataille d'Hernani mais à Saint-Pétersbourg, capitale russe des arts et de la culture, l'élite intellectuelle paraît plus divisée que jamais en cette veille de présidentielle. Face aux «notables» locaux qui, tel le directeur du Théâtre Mariinsky ou celui du Musée de l'Ermitage, ont pris fait et cause pour Vladimir Poutine, les ténors de la scène alternative dénoncent en effet son «absence de politique culturelle» et appellent à soutenir ses rivaux. Une fracture qui, à entendre certains artistes, revêt une dimension esthétique presque autant que politique.
L'œil pétillant et le verbe acéré, le peintre et militant des droits de l'homme Iuly Ribakov dénonce sans relâche l'«ignorance» du premier ministre et son «mépris» supposé pour la culture. Cet ancien dissident, qui purgea six années de prison à la fin des années 1970 pour avoir diffusé des textes de Soljenitsyne, dirige un complexe underground composé de six galeries et d'une quarantaine d'ateliers dans une arrière-cour de la rue Pouchinskaïa. «Les jeunes artistes qui travaillent ici sont des libertaires et ils savent parfaitement que Poutine ne fera jamais rien pour soutenir la culture, sourit le peintre sexagénaire. Ils n'ont rien à voir avec ces directeurs de grandes institutions qui acceptent de soutenir le pouvoir pour préserver leur carrière.»
Les roubles gaspillés
Début février, Iuly Rybakov a convié une soixantaine d'artistes pétersbourgeois, tous bords confondus, à rencontrer dans son atelier l'oligarque Mikhaïl Prokhorov. «Des cinq candidats à l'élection présidentielle, il est le seul qui ait accepté de nous dévoiler son programme culturel», justifie le peintre. À l'entendre, l'homme d'affaires libéral se serait engagé à augmenter sensiblement le budget dévolu à «l'éducation morale et culturelle». Un discours qui a conquis Ribakov et ses amis, exaspérés de constater que «le pouvoir refuse de financer la construction d'un musée d'art contemporain» à Saint-Pétersbourg alors que 21 milliards de roubles (plus de 50 millions d'euros) ont, à l'entendre, été «gaspillés» dans la rénovation du Théâtre du Bolchoï, à Moscou.
Non loin de la Perspective Nevski, le romancier Valeri Popov, qui préside l'Union locale des écrivains, reçoit dans un vieil appartement pétersbourgeois où trônent son bureau, un piano et un vieux divan de cuir brun. Du genre bourru, l'homme n'aime guère parler politique, mais il reconnaît que le monde littéraire est très divisé. «La plupart des artistes qui font partie de cette Union sont plutôt libéraux, dit-il. Mais davantage que d'un clivage politique, il faudrait parler d'un schisme esthétique. Contrairement aux auteurs rangés derrière Poutine, dont le style est généralement assez classique, je dirais que nous sommes partisans d'une écriture plus moderne.»
Le premier ministre, de son côté, qui n'entend pas laisser le monopole de la culture à ses opposants, a récemment rallié plusieurs figures de la vie intellectuelle locale. L'illustre chef d'orchestre Valery Gergyev, dont il est réputé proche, a ainsi dressé un portrait-robot étrangement évocateur du futur président, déclarant: «Il devra faire en sorte que tout le monde respecte la Russie - peu importe qu'elle soit crainte ou appréciée.» Quant à la célèbre actrice Alisa Freindlich, elle a récemment livré un vibrant plaidoyer pour la stabilité, insistant: «Je ne veux pas de révolutions ni de changement: je veux que nous devenions un pays de culture et de moralité.»
Plus curieusement, le directeur du Musée de l'Ermitage, Mikhaïl Piotrovsky, a rejoint le camp de Vladimir Poutine après s'être distingué il y a deux ans par un certain franc-parler en bataillant contre le projet d'édification, en plein centre de Saint-Pétersbourg, d'une tour de 300 mètres par le géant Gazprom. «C'est un homme bien qui, comme d'autres, a vraisemblablement fini par céder aux pressions parce qu'il sait que le pouvoir n'hésite pas à supprimer ses subventions lorsqu'un artiste se rebelle», croit savoir Natalia Vedenskaya, une critique d'art très engagée dans le patrimoine de la «Venise du Nord».
Certains observateurs, comme le journaliste Evgueni Kisseliov dans les colonnes du Moscow Times, filent pour leur part la comparaison avec l'époque soviétique, durant laquelle il n'existait d'artistes qu'officiels ou dissidents. Un passé auquel le réalisateur Stanislav Govoroukhine, par ailleurs chef de la campagne de Vladimir Poutine, a aussi choisi de se référer en considérant, comme Lénine avant lui, que les intellectuels russes sont «la merde de la nation».
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