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Murs végétaux

Publié le 07 mars 2012 par Memoiredeurope @echternach

«Qu'en est-il du mythe de la terrenourricière ? En fait, les plantes ne «mangent» pas la terre. Elle leur fournitun milieu dans lequel les racines pénètrent, assurant une stabilité mécanique àl'ensemble du feuillage et des tiges, ainsi qu'une réserve plus ou moinsdisponible en eau et sels minéraux. Tous les éléments minéraux sont alors véhiculéspar l'eau et absorbés sous forme soluble avec elle par les racines. Les autreséléments essentiels à la construction des plantes (sucres, protéines...) sont élaboréspar les feuilles, à partir de l'eau et du gaz carbonique de l'air sous l’actionde la lumière, grâce à la photosynthèse
Patrick Blanc
Murs végétaux
Musée du Quai Branly. Photo Patrick Blanc
Un drôle de paysagiste
Nous nous sommeshabitués à trouver dans différentes villes d'Europe des façades végétalesfleuries qui ne semblent tenir que par miracle. Paris et l’Île de France enconnaissent de nombreuses, souvent situés en intérieur. On ne peut ignorercelle du Quai Branly, en se rendant au musée. L’architecture de Jean Nouvel estvraiment épousée par la verdure. Mais on peut aussi traverser le Bazar de l'Hôtelde Ville pour se rendre dans le magasin hommes et se faire surprendre par celle,plus modeste, de la rue de la Verrerie. Je trouve les murs de Madrid particulièrementréussis. L’un jouxte la Caixa Forum, l’autre se trouve dans la Torre cristal.
Murs végétaux
Caixa Forum. Madrid
Leur créateur, Patrick Blanc est un drôle de paysagiste, un peu comme on dit undrôle de citoyen. C'est d'abord un botaniste qui a fréquenté les salles deTravaux Pratiques de l'Université Paris VII où j'ai enseigné une trentained'années. Nous nous y sommes donc croisés sans nous connaître puisqu’il a suiviles cours d’une collègue. Lorsqu’on ouvre son site, on est tout de suite envahipar les végétaux venus des forêts tropicales et on reste frappé par son alluredégingandée. Il avoue qu’il est né à la clinique des fleurs. Est-ce que celapeut s’inventer ? Pas de doutes, on est bien plongé au cœur de la chlorophyllesans laquelle le reste du monde vivant n’existerait pas.
Après les cours depremier cycle, il est devenu un adepte de la botanique tropicale dans le laboratoiredu Professeur Raymond Schnell et dans le cadre du CNRS. Mais les serres du Museum d'Histoire Naturelle,situées de l’autre côté de la rue Guy de la Brosse ne lui ont évidemment passuffi et il a voyagé et continue toujours de voyager dans le monde entier, à lafois pour découvrir de nouveaux végétaux, comme les chasseurs de plantes desXVIIIe et XIXe siècle, mais aussi pour donner des conférences et conduire des chantiers.Il a vogué sur le radeau des cimes en compagnie de certain(e)s de mes collègueset a acquis de ce fait une toute autre vision du monde. Il a cependant surtoutparcouru à pieds les systèmes tropicaux et les forêts pluviales pour comprendrecomment se fait la circulation  de l'eauvenant des canopées et comment - et de quoi - les végétaux épiphytes peuventbien vivre ou encore comment « être plante à l’ombre des forêts tropicales »,suivant le titre du livre paru en 2002.
Murs végétaux
Dialogue avec mon jardinier
C'est le Festivalde Chaumont-sur-Loire qui l'a fait connaître au début des années 90. Et depuis,son succès et sa notoriété n'ont fait que croître, tandis qu'en quittant lelaboratoire, il promenait sa silhouette longiligne et ses cheveux verts dansles antichambres d'architectes et d'urbanistes et dans les salons de jardins.
Ila participé à l'une des éditions du Salon des Jardins et de l'Imaginaire deTerrasson en 2001, un  salon partenairede l'Institut des Itinéraires culturels, en apportant un sourire inépuisabledans les débats. J'entends encore la voie un peu traînante du peintre etoulipien Henri Cueco lui répondre avec des mots qu'il aurait pu emprunter au « Dialogue avec monjardinier », un magnifique ouvrage – dont une version théâtrale, puis unfilm de Jean Becker ont été tirés - où Henri se représente… en train dedessiner tous les petits débris qui sont tombés dans la nuit sur sa tableà dessin, tandis que son jardinier vient lui faire la conversation.
«- Tu fais encore ta poussière ?
- ………..
- Mmm…C’est pour faire beau, pour mettre aumur ? Tu vas les vendre ? Tu laisses rien perdre, toi : tu tailles les crayons et tudessines les entaillures. Mmm…
- Tu mets bien du fumier dans le jardin…C’estquoi pour toi une belle salade ?
- Tu sais bien ce que c’est. C’est quand elleest pommée, blanche au cœur, tendre, bonne à manger quoi.
- Eh bien mon dessin c’est pareil.»
Entre l’explorateurailé et agile des futaies tropicales géantes et le myope habitué à se penchersur les petits bonheurs du jour répandus devant lui, la confrontation étaitplus que chargée de poésie. D’ailleurs j’ai toujours trouvé extraordinaire quele jardinier imaginaire ait trouvé tout seul une définition du paysage bien prochede celle du Conseil de l’Europe : «Maisun paysage, c'est quand rien ne bouge quand on s'arrête pour regarder.». Lemême dit un peu plus loin en découvrant les serres du Muséum évoquées tout à l’heure :«Ca, c’est un jardin». Pas de doute,on est bien sur la même longueur d’onde.
Murs végétaux
Terrason, 2001. Patrick Blanc à l'extrême gauche. On reconnaîtra la crinière blanche de Henri Cueco
Les mots pour le dire
L’inspirationbotanique, elle s’accroche aussi pour Patrick Blanc à quelques mots que jeprends plaisir à extraire de mes propres cours de biologie végétale : lesannuelles, les pluriannuelles, bien sûr les épiphytes, les rapports évolutifsentre les cryptogames et les phanérogames, les hydrophytes et les rhéophytes (cellesqui résistent aux courants aquatiques), les milieux ouverts et les milieuxfermés, les bryophytes à thalle, les magnifiques algues bleues ou cyanophytes etdes milliers de noms de plantes, dont une à laquelle il a donné son nom puisqu’ill’a découverte aux Philippines, le Begoniablancii.
Cette inspiration prenden compte, sans ignorer le risque de la complexité du discours, tout ce qui concernela vie, l’évolution et l’histoire des végétaux, comme si ces connaissances faisaient encorepartie de l’éducation du bon citoyen, ou plutôt comme si elle devaient encore enfaire partie. Il reste un des rares « paysagistes » avec GillesClément à assumer cette complexité et à nous demander avec exigence que l’approchedu jardin, qui mêle esthétique et technique, savoir-faire et sciences, ne restepas le jeu des modes et des gadgets, mais corresponde à un véritable projetintégré.
Murs végétaux
Publication de Begonia blancii. Photo Patrick Blanc
L’indispensable FranceCulture lui a consacré en février cinq émissions dans la série «A voix nue». C’est un délice. Ecoutezle, car dans une certaine mesure il nous parle de la résistance et del'adaptabilité inépuisable du biologique et donc de l’espoir d’une survie de laplanète vivante, même s’il sait bien, qu’il devrait répondre comme GillesClément : «Vous savez, la vie surterre a déjà connu au minimum cinq extinctions massives du nombre des espèces,cinq effondrements depuis les débuts de la vie. Je pense que nous sortons d’unpic de diversité et que celle-ci est actuellement en plein recul. À l’évidence,nous marchons à grands pas vers une sixième extinction, dont les causes sont,comme chaque fois, nouvelles. La principale nouvelle cause est, me semble-t-il,le brassage planétaire, provoqué par le trafic humain. Mais le brassage, sousdiverses formes, a toujours existé…»
Murs végétaux
Bibliographie :
HALLE (Francis) et BLANC (Patrick). Biologie d’une canopée de forêt tropicale.Rapport de mission radeau des cimes. Association OPRDC. 1990.

BLANC (Patrick). Être plante à l’ombre des forêts tropicales.Nathan. 2002.
BLANC (Patrick). Le bonheur d’être plante. Maren. 2005.
BLANC (Patrick). Folies végétales. Le Chêne. 2007.
BLANC (Patrick). Le mur végétal, de la nature à la ville.Michel Lafon. 2007. Réédition en 2012.
CUECO (Henri). Dialogue avec mon jardinier. Le Seuil. 2000 et 2004.

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