J’inaugure une nouvelle série d’articles intitulée Battlestar Philosophia. Au cas où vous ne seriez pas encore au courant, je suis une fan de Battlestar Galactica (le remake de 2003) au sens premier du terme : fanatique. J’adore à peu près tout dans cette série, l’intrigue, la réalisation, la musique, les personnages, le dénouement… C’est à mes yeux une perle rare pour deux raisons principales : son aspect artistique, et la façon dont elle fait réfléchir. Je lis notamment un ouvrage collectif qui s’intitule Battlestar Galactica and Philosophy : Mission Accomplished or Mission Frakked-Up et étudie en profondeur différents aspects philosophiques explorés par la série, comme la définition de l’humain, la légitimité du gouvernement, la morale, la guerre et la paix… Je vous le conseille vivement si ces sujets et la série vous intéressent et si vous comprenez bien l’anglais.
J’ai eu envie moi aussi de me prêter à l’exercice de façon bien moins poussée en m’attardant sur des questions qui m’intéressent particulièrement, comme :
A-t-on ce qu’on mérite et apprend-on de ses erreurs ?
Dans la première partie de la minisérie introduisant Battlestar Galactica 2003, le Commandant Adama s’interrompt dans le discours qu’il avait préparé pour le déclassement de son vaisseau et en improvise un autre, plus sombre, dont voici un extrait :
“You know, when we fought the Cylons, we did it to save ourselves from extinction. But we never answered the question, why? Why are we as a people worth saving? We still commit murder because of greed, spite, jealousy. And we still visit all of our sins upon our children. We refuse to accept the responsibility for anything that we've done.”
« Vous savez, nous avons combattu les Cylons pour éviter l’extinction. Mais nous n’avons jamais répondu à la question : pourquoi ? Pourquoi sommes-nous un peuple méritant d’être sauvé ? Nous commettons toujours des meurtres par cupidité, par vengeance, par jalousie. Et nous infligeons toujours tous nos péchés à nos enfants. Nous refusons de prendre la responsabilité de nos actes. »
Dans l’épisode 2.12, Opération Survie, deuxième partie (dans la version originale : Resurrection Ship, part 2), Sharon « Athéna », modèle de Cylon numéro huit prisonnière à bord du Galactica, rappelle ce discours à Adama :
“You said that humanity was a flawed creation, and that people still kill one another for petty jealousy and greed. You said that humanity never asked itself why it deserved to survive. Maybe you don't.”
« Vous avez dit que l’humanité était une création imparfaite, et que les gens continuent à s’entretuer par pure jalousie ou vénalité. Vous avez dit que l’humanité ne s’était jamais demandé pourquoi elle méritait de survivre. Peut-être qu’elle ne le mérite pas. »
L’humanité dépeinte dans Battlestar Galactica est, comme dans notre réalité, pleine de contradictions, de défauts mais aussi de résilience et de grandeur. Méritait-elle d’être presque éradiquée par les Cylons et d’errer dans l’espace pendant plusieurs années ? Mérite-t-elle de s’en sortir et de trouver cette Terre promise ?
La question a été posée à de multiples reprises dans nos contes et légendes, de l’Atlantide engloutie par les flots à l’Arche de Noé survivant au Déluge… Jusque dans nos fictions modernes, comme le film Le jour où la Terre s’arrêta (remake de 2008 par Scott Derrickson avec Keanu Reeves et Jennifer Connelly) où les extraterrestres voulant éliminer la race humaine pour protéger la planète et les autres formes de vie qu’elle abrite, finissent par leur laisser une seconde chance. C’est la même question qui se pose par exemple à chaque fois que l’on découvre des exoplanètes éventuellement habitables et qu’on les envisage comme des solutions de repli. « Méritons-nous » d’autres chances, et qu’en ferions-nous ? Apprendrions-nous de nos erreurs ?
Cette idée est reflétée dans BSG par l’évolution des personnages. Ils font des erreurs (beaucoup), en tirent des leçons (parfois) et changent, mais obtiennent rarement ce qu’ils méritent dans un sens ou dans l’autre. Prenez Baltar : il est responsable de la quasi disparition de l’humanité, certes pas par malice mais par imprudence et arrogance, et se retrouve catapulté conseiller scientifique de la Flotte, puis vice-président et finalement président. Il abuse de ce pouvoir puis quand il est enfin jugé – pour avoir collaboré avec les Cylons et accessoirement évité l’élimination de ce qu’il restait de ses semblables, et pas pour les crimes susmentionnés – il est acquitté. Ou Cally : elle tue Boomer de sang froid et avec un plaisir évident – ce qui pose la question de la valeur de la « vie » d’un Cylon, que nous aborderons plus tard- et n’est réprimandée que pour avoir utilisé son arme de service sans autorisation. On pourrait certes argumenter qu’elle finira par se faire tuer par un autre Cylon bien plus tard… Peut-être faut-il donc connaître toute l’histoire avant de décider de ce que les uns et les autres méritent et obtiennent.
D’une manière plus générale, nombre de personnages de la série sont racistes (par exemple, dans le 3.14 : Les Sagitarrons/The Woman King, on voit que nombre de Coloniaux méprisent les Sagittarons, et dans le 3.16 : Grève générale/Dirty Hands, dont j’ai fait une critique complète ici, on découvre les discriminations entre ceux qui viennent de colonies privilégiées comme Caprica d’une part, et de colonies plus agricoles ou industrielles comme Tauron ou Sagittaron, d’autre part), intolérants (outre le fondamentalisme des Gemenons qui voudraient par exemple punir très sévèrement l’avortement, on peut mentionner le rejet par certains de toute autre religion que le polythéisme partagé par le plus grand nombre et qui empiète largement sur l’espace public), alcooliques (le colonel Tigh est l’exemple le plus évident mais Starbuck, pour ne citer qu’elle, a aussi une sacrée descente), autoritaires (rappelons par exemple le comportement de la Présidente, Laura Roslin, pourtant censée être démocrate, à l’égard d’opposants comme les partisans de la paix avec les Cylons dans l’épisode 2.13 : Révélation/Epiphanies, ou les grévistes dans l’épisode 3.16 : Grève générale/Dirty Hands, ne tenant compte de leurs protestations que lorsqu’elles mettent en danger la Flotte et ne cherchant pas de solution pacifique), lâches… En fait, c’est ce qu’ils sont la plupart du temps. Humains. Imparfaits. Mais ils peuvent aussi être généreux, courageux, désintéressés.
Alors la question est : est-ce que tout cela s’équilibre ? La balance penche-t-elle du côté des qualités, des actions positives ? L’humanité mérite-t-elle sa seconde chance ?
Non, en fait, au temps pour moi. Depuis quand obtient-on ce qu’on mérite ? Non, la question c’est : en fera-t-elle bon usage ?