Ne cherchez pas loin. Rappelez-vous juste ces 20 dernières années. Trouvez le nom de ces nouveaux millionnaires connus grâce à leur”entreprise”. Et faites le point de ce que sont devenus ces “entreprises”. Alors…Vous voyez l’erreur ? Je vais vous mettre sur la voie : Pratiquement plus aucune n’existe encore à moins d’avoir été reprise. Vous croyez que c’est propre à votre pays…Désolé, mais vous vous trompez. D’Abidjan à Douala, de Dakar à Kinshasa, de Niamey à Arusha, la même histoire. Alors même que tous ces pays ont eu des des réalités et histoires politiques différentes. Pour certains enfants issus des familles de promoteurs de ces “entreprises”, la surprise va même parfois plus loin : Ils sont dans la misère totale. Une des raisons principales ? “l’épicérisation” de l’entreprise.
Commençons par clarifier les mots. C’est quoi “l’épicérisation” de l’entreprise ? J’appelle “épicérisation” de l’entreprise le fait d’engager la gestion d’une entreprise sur le mode de la gestion d’une épicerie ou si vous voulez d’une petite boutique de quartier. Plus fondamentalement l’épicérisation de l’entreprise ôte à l’entreprise certaines de ses dimensions pour les remplacer par des approches, on va dire plus “terre-à-terre”, moins structurées. On retrouve ce phénomène en grande majorité dans les TPE, les PME, mais aussi dans certaines grandes entreprises. Le phénomène est très lié aux leaders, promoteurs, patrons de l’entreprise.
Pourquoi l’épicérisation ?
En général, c’est pour conserver le contrôle unique. Comme dans une épicerie. Le promoteur de l’entreprise attire à lui seul tous les pouvoirs de contrôle et surtout, il ôte toute lisibilité et toute traçabilité des affaires de son entreprise. Dans un processus d’épicérisation, le promoteur devient “dieu-tout-puissant” dans son business. Il sait tout seul, fait tout seul, décide tout seul et se méfie de tout tout seul. Comme dans une boutique de quartier, ou une épicerie.
En pleine épicerie
Le fait même que l’option épicière soit choisie comme mode de gestion est lié au fait que le promoteur préfère faire confiance à son intuition, à ses peurs, à ses réserves plutôt qu’à des méthodes techniques et objectives d’appréciation et de décision.
Pour les recrutements par exemple, le promoteur favorisera le recrutement d’un frère, d’une sœur ou d’un cousin (les petites amies et les deuxièmes bureaux sont les heureuses bénéficiaires au top de ce mode de gestion). Ceci au détriment de l’expérience ou de la compétence. Toute la gestion de carrière reposera sur cette anarchie de gestion des ressources humaines. J’ai connu un directeur Général qui avait ainsi recruté quelques employées au détour d’une virée en boite de nuit suivie d’une partie de ….C’est cela même la gestion épicière. “C’est moi qui décide, donc je décide ce qui me passe par les mains, par les yeux, par le sexe…”. J’en ai vu qui confrontait également tous les candidats et qui refusait systématique toutes celles qu’elle jugeait plus belle qu’elle…ou plus intelligent. Bref, le fond est le même : la totale subjectivité et la liberté de faire voguer ma subjectivité où je veux.
Là où la catastrophe est totale dans la gestion épicière est dans la gestion financière. Certains promoteurs isolent le comptable des autres personnels, question de mieux gérer les choses entre eux. Il prendra ainsi de l’argent destiné aux salaires pour payer une cotisation dans une de nos nombreuses réunions africaines. Il engagera des dettes ou des dépenses sans informer le service comptable ou financier. Et surtout personne ne doit lui faire des remarques à ce sujet.
Tout le reste de la gestion suit cette logique. Horaires de travail anormalement rallongés, avec des employés qui travaillent presque comme des esclaves; Presqu’aucun rapport d’entreprise réalisé; presqu’aucune planification réalisée et quand celle-ci est faite, sa mise en œuvre est vite abandonnée selon les humeurs du patron. Dans les grandes entreprises, toutes les autres aspects de la vie de l’organisation sont sacrifiés au profit des résultats et le culte des moyens non claires, non lisible prend les devants pourvu qu’on puisse faire bonne mine devant le conseil d’administration.
Voilà quelques ingrédients de l’épicérisation de l’entreprise.
Destin tragique des entreprises épicérisées
Les entreprises épicérisées n’échouent pas tout de suite forcément. Parfois même, elles prospèrent. Et en général, l’épicérisation s’accroit avec le succès. On fera de nouveaux clivages. Pour les recrutements par exemple, on sera obligé de recruter des personnes plus compétentes, mais on ira les choisir dans le village ou dans la localité d’origine en majorité; on sera obligé de faire une comptabilité sérieuse, mais on mettra l’accent sur des procédés de fraude. On sera obligé de faire de la com, mais on fera de la publicité au rabais….La logique de l’illogique subsistera.
Le pire dans la tête d’un patron épicier est qu’il a toutes les raisons pour justifier son modèle alors qu’il a la possibilité de faire autrement et de faire mieux.
L’épicérisation aura comme conséquence de dépouiller l’entreprise de sa vie petit à petit…de ses moyens, de sa force. Au moindre problème sérieux…tout s’écroule. Et quand elle réussit à survivre, la disparition de son promoteur entraine de facto sa propre disparition parfois avec des conséquences nombreuses comme les poursuite judiciaires, l’instauration de la misère dans les familles des promoteurs, etc.
Bien évidemment, le promoteur et ceux qui ont profité de l’épicérisation vous feront entendre que c’est parce qu’on ne les a pas aimé que leur entreprise a finit par craquer…Faites juste un petit audit si vous voulez savoir la macabre vérité…Il n’y a aucun destin pour une entreprise épicérisée si elle ne retourne pas à la normale. Tout ce qui apparait là…c’est juste de la fumée qui va s’en aller alors que les apparences s’effondreront comme un château de carte.