A l’heure où cette chronique était rédigée, je ne savais encore quelle serait l’issue du vote sur les résidences secondaires. Est-elle passée, et le Valais sinistré devra-t-il quitter la Confédération, comme l’a suggéré un farouche indépendantiste alpin ? Est-elle rembarrée, et la cohorte des grues et des bétonneuses envahira-t-elle les contreforts du Cervin, ainsi que le prophétisait une hallucinante affiche de la Fondation F. W. ? La question est cruciale et futile tout à la fois. Cruciale pour la survie de certains secteurs économiques et d’un certain mode de vie. Mais futile au regard de la signification profonde de ce débat dans le monde d’aujourd’hui.
Ce qui importe, c’est le fait même que nous ayons eu à en débattre, et que chaque citoyen de ce pays ait eu l’occasion de soupeser en son âme et conscience une question philosophique essentielle. Les Suisses aiment décomposer en unités triviales et « opérationnelles » les choix les plus abstraits. C’est un tour d’esprit dont l’initiative même de Franz Weber est affectée. Traduire en interdictions et en quotas rigides une préoccupation visionnaire pour notre environnement était sans doute maladroit. Il n’en reste pas moins que, de la sorte, cette préoccupation a été soumise à la connaissance et au raisonnement de chacun par la voie insolite de l’initiative populaire.
Connaissez-vous un autre pays en ce monde prétendument démocratique où le citoyen soit consulté, et donc respecté, à ce point ? La Suisse est le seul exemple connu de collectivisme abouti. Certes, cela coûte, cela ralentit les « grandes décisions », cela complique la vie des gouvernants et cela énerve. Mais — et c’est infiniment plus important — cela coupe court à la tentation innée de toutes les castes dirigeantes : faire notre bonheur à notre insu, malgré nous et, pour tout dire, contre nous.
Rousseau l’avait pressenti, notre époque le confirme : le progrès des arts et des sciences ne signifie nullement le progrès de la conscience ni de la condition humaine. A mesure qu’il se technicise, notre monde se totalitarise. Autrement dit, il régresse. L’individu s’y dissout dans le groupe, les fins dans les moyens, le cas dans la statistique, l’intérêt commun dans la pression corporative. On en vient ainsi, par exemple dans l’UE, à tolérer que le destin de millions de citoyens soit dicté par des spectres dépourvus de toute caution populaire et — c’est plus grave — de toute consistance de caractère, de vision ou d’idées.
Tout le contraire d’un Franz Weber ! Cet homme habité est une Antigone, peut-être la dernière, de notre temps. Sa volonté inflexible a déjà sauvé Lavaux du béton et le sanctuaire de Delphes de l’horreur sidérurgique. Ses combats les plus incongrus sont peut-être les plus prophétiques. Il incarne l’âme suisse, tissée d’indépendance, de ténacité et de prévoyance. L’ire extrême qu’il suscite est la poussière de gloire que seul un grand homme soulève sur son passage.Le Nouvelliste, 12 mars 2012. SD-chronique-Weber-NF-120312.pdf Download this file