L'ingénu

Publié le 14 mars 2012 par Stephy

Juste une nouvelle à lire d'un trait!

Sur une terre retirée et inconnue du reste du monde vivait un bon roi. On le disait très chanceux car depuis sa naissance, le soleil n'avait cessé de briller sur son royaume. Jamais un nuage ne s'était immiscé dans le ciel, jamais le roi n'avait connu le mauvais temps. Cela lui donnait naturellement bon moral, ainsi qu'à ses sujets et à son peuple tout entier.

D'ailleurs, grâce à ce phénomène incroyable - et à un bon système d'irrigation, par ailleurs - les paysans pouvaient facilement cultiver de délicieux légumes ou des fruits juteux en abondance. Ils étaient heureux car ils avaient pris l'habitude de jouir de récoltes généreuses. Et sur les marchés locaux, on pouvait assister à chaque fois à un florilège de couleurs appétissantes. Les clients se pressaient les uns contre les autres pour venir remplir leurs paniers et il repartaient précipitamment pour se régaler en famille. Ils dépensaient parfois beaucoup d'argent pour le plaisir de leurs papilles, et l'économie du petit pays se portait bien. Ainsi, personne ne se plaignait jamais. Point de mésentente ou de discorde dans la rue. On ne croisait que des gens souriants, comblés par leur destin.

Le roi menait donc depuis toujours une vie agréable et tranquille. Il prenait même plaisir à aller à la rencontre de son peuple. Il aimait se promener hors du château et discuter avec les gens qu'il rencontrait. De temps en temps, il acceptait même de partager un bon goûter à l'intérieur d'une maison si un enfant le lui proposait. Alors, la maîtresse des lieux, flattée, faisait beaucoup d'efforts pour satisfaire son hôte. Elle disposait sur la table une multitude de petits gâteaux secs qu'elle avait elle-même préparés, ainsi que des jus de fruits et du lait. Et le roi se délectait tellement que lorsqu'il repartait, il ne cessait plus de complimenter la parfaite cuisinière. Et il était connaisseur! En effet, il passait la plupart de ses journées à jouir de plaisirs gourmands. Quand on ne l'invitait pas, il faisait lui-même organiser d'immenses banquets. Il ne s'occupait de rien mais faisait systématiquement appel à son plus proche conseiller. Celui-ci connaissait parfaitement les goûts et les désirs du roi. Il savait donc qu'il devait prévoir énormément de nourriture et de musique. Et finalement, comme à chaque fois, tout le monde s'amuserait jusqu'au petit matin. Les soirées ainsi préparées rencontraient un tel succès que chacun ne se couchait qu'à l'aube. Heureusement, les lendemains étaient plus calmes.

Un beau jour, le roi alla trouver son fidèle bras droit. Il voulait lui signaler son absence du château pour quelques heures. En effet, pour se remettre de la veillée bien arrosée, il avait décidé d'aller s'aérer seul en forêt. Il avait envie de profiter un peu de ces sensations douces que lui procuraient la nature. Il irait s'asseoir près de cette cascade qu'il aimait tant, puis flânerait un peu et rentrerait ensuite. Ayant enfilé une tenue de circonstance, le bon roi partit donc tranquillement. Il commença par inspirer une énorme bouffée d'air frais, comme s'il avait voulu purifier ses poumons, puis se mit à sautiller tant la perspective de sa petite escapade lui était agréable. A l'orée de la forêt, il se rendit compte qu'il était même en train de chantonner. Il s'engouffra alors entre les arbres, par un sentier mi-ombragé et humide. Ce jour-là, comme souvent lors de ses sorties en solitaire, il croisa dans la forêt quelques lapins, des écureuils, et même un paysan qui cueillait des fruits des bois. Alors, il arriva près de la fameuse cascade et s'allongea sur l'herbe verte, pour s'assoupir un peu. Quelques minutes s'écoulèrent, peut-être une demi-heure. Le roi rouvrit enfin les yeux puis écouta les oiseaux venus se percher sur une branche d'arbre toute proche, et qui sifflotaient joyeusement. A ce moment, il se dit que rien ne pouvait le tracasser; il se sentait bien. Il profitait donc de ce petit spectacle et le temps s'écoulait.

Finalement, il décida pour une fois de prolonger son escapade. Il n'avait nul envie de rentrer si tôt au château alors il se leva, et se remit à marcher sur des chemins rocailleux qu'il n'avait jamais empruntés. Il choisit de longer la rivière pour mieux retrouver son chemin au retour. Au bout de vingt minutes, en s'éloignant toujours, le roi fut surpris par l'étrange balancement des arbres. Bien-sûr, il y avait un peu de vent, mais certainement pas au point de courber ainsi ces piliers de la forêt... Le bon roi s'inquiéta. Avait-il quelque hallucination? Il faisait très chaud, c'est vrai, et le roi n'avait pas pensé à s'hydrater. Alors, il s'accroupit et bu un peu d'eau de la rivière. En se relevant, il fut choqué de constater que non seulement les arbres, mais aussi l'herbe et les nuages semblaient s'animer d'un balancement étrange. Le paysage tout entier se mouvait devant lui. Il semblait danser avec le vent. Le roi, pris de panique, s'enfuit immédiatement. Il couru, couru pendant un long moment. Il était revenu sur ses pas et retrouvait enfin les sentiers qui lui étaient familiers. Là, pas d'hallucination, pas de vision étrange. Tout était calme et tranquille. Le roi ne su pas retenir un éclat de rire. Heureusement que personne ne l'avait vu! Pour se rassurer complètement, il se mit en tête de retourner à l'endroit de son délire. Mais pas aujourd'hui. Il se faisait tard et au château, on pouvait s'inquiéter.

Le lendemain, donc, le roi enfila une paire de bottes, signala son absence et reparti en forêt. Il arriva à la cascade, et continua à marcher, pour s'en éloigner encore et encore. Mais, fait incroyable, au fur et à mesure qu'il avançait, le paysage à nouveau balançait. On aurait dit plutôt un gondolement. Le roi ne s'effrayait plus maintenant. Il voulait comprendre. Alors, il s'approcha de l'un des arbres. A première vue, il était normal mais de près, il semblait moins réaliste. Le roi tendit une main pour le toucher. Le tronc était si doux que le roi en sursauta d'étonnement. Du bout des doigts, il se mit alors à gratter cette écorce trop lisse. Petit à petit, la couleur brun foncé semblait s'éclaircir. Tant qu'il grattait, le bois pâlissait et bientôt, stupéfaction! Un petit trou s'était formé dans le tronc, qui laissait passer une étrange lumière. Le roi ne savait plus bien ce qu'il devait faire mais dorénavant, il suivait son instinct. Il paraissait s'être affranchi de ses peurs tant la curiosité le rongeait. Il passa l'index dans le petit trou. Alors, il replia son doigt puis tira, tira de toutes ses forces. Il déchira de cette manière non seulement l'arbre, mais aussi le ciel que l'on voyait derrière.

Inexplicablement, tout le paysage de sa belle forêt s'arracha, termina en lambeaux de toile peinte. Plus d'arbres qui tienne debout, plus d'oiseau qui siffle sereinement et même plus de cascade.

Derrière, tout semblait bien triste. Le beau décor avait laissé place à un paysage gris et morose. Ici, le soleil ne brillait pas mais la pluie tombait en averse. En quelques secondes, le sol se retrouva détrempé. Des flaques d'eau se formaient déjà par endroits. Et rien ne semblait vouloir croître dans cette terre infertile. Seules, quelques mauvaises herbes étaient disséminés ici et là, qui s'acharnaient malgré des conditions de vie rigoureuses. Aucun arbre à perte de vue, et aucun animal non plus. Quelle tristesse! Le roi n'avait jamais assisté à une telle désolation. Il découvrait. Il commençait à se sentir triste, pour la première fois.

Cette situation inquiétante le mettait mal à l'aise; elle l'angoissait. Il se mit alors à réfléchir à sa propre condition, à tout ce dont il avait pu profiter jusqu'à ce jour, aux plaisirs qu'il avait eus et qu'il avait cru partager, à la façon qu'il avait eue de gouverner. Il avait toujours été bon avec ses proches - et eux le lui avaient bien rendu.

C'est alors qu'un groupe d'enfants, pieds nus sous la pluie battante, s'avança pour quémander quelque sou. Mais le roi ne comprit pas.