J'ai eu l'occasion de lire récemment une conception tout salmonienne du storytelling politique (salmonienne = de Christian Salmon, un théoricien-chercheur qui diffuse ses idées très personnelles sur le storytelling en France).
On peut me trouver sévère voire méchant avec cette personne. Méchanceté gratuite même : car, que peut donc m'importer l'activisme de quelqu'un dont mes interlocuteurs en entreprise ne boivent pas les paroles, si tant est qu'ils y sont exposés... Son public couvre essentiellement les sphères journalistiques et certaines sphères intellectuelles.
Autant dire que l'on risque pas de se croiser : mes sphères à moi se situent dans le monde de l'entreprise, opérationnel. Et effectivement, l'effet de Christian Salmon sur mes activités est neutre. Alors quoi ? Alors, ce n'est pas une raison pour être conciliant, et en ces temps de vacances (l'écriture de cet article date d'il y a une semaine et demi), je veux bien prendre un peu de temps pour parler de lui.
Voici de quoi il s'agit : Salmon distingue quatre éléments constitutifs du storytelling politique, que je déconstruis (il y a un autre mot moins poli, mais bon...).
Premier élément qu'il identifie : la storyline. Lorsque j'ai lu cela, je me suis dit oui ! ; la storyline est importante. Ensuite j'ai lu sa définition : ce serait l’histoire qu’on a à raconter et qui constitue l’identité narrative du candidat. Pour le président sortant ce sera l’histoire d’un mal aimé des sondages que les pronostiqueurs annoncent battu d’avance mais qui ne s’avoue pas vaincu et qui a encore mille choses à faire pour le bien du peuple.
Ma critique : la storyline est l'ADN de l'histoire. Un potentiel, comme pour un film : quelque chose de grand, de mobilisateur pour le public. Quelque chose, aussi, qui ne se réduit pas à un mot. Là, ce que présente Salmon, est au mieux une péripétie, une scène d'une histoire, il n'y a pas là de quoi faire un succès ! On peut se demander, alors : où est cette grande histoire ? Et bien il n'y en a pas : tout cela est, au mieux, du spamming politique comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire. Il n'y a pas de storytelling sarkozyen !
Deuxième élément : le timing. Il consisterait à inscrire cette histoire dans le temps de la campagne, à imposer son propre rythme.
Ma critique : encore une fois, voilà quelque chose de trop simple pour ne pas être simpliste. C'est même l'exemple même d'un raisonnement à l'envers. Ce n'est pas l'histoire qui doit être intégrée par petits bouts à la campagne, mais la campagne qui doit s'intégrer à l'histoire. Sinon, cela ne fonctionne pas. Le storytelling n'est pas un accessoire intégrable, c'est lui qui intègre.
Troisième élément : le framing, ce sont tous les éléments de langage qui permettent d’encadrer le débat en lui donnant cohérence et continuité.
Ma critique : le cadre, le contexte dans une histoire, ce n'est pas du langage. Le contexte est constitué d'événements, de faits, qui permettent de situer et comprendre l'histoire. Et une histoire, qui par nature est un échange n'offre aucune garantie d'encadrement. Salmon voit les histoires comme quelque chose de fermé, ce qui est son droit, sauf que c'est faux. Une histoire, pour fonctionner, est forcément ouverte, alors le framing tel que le conçoit Salmon est erroné.
Quatrième élément salmonien : le networking. Il consisterait à s’assurer que l’entrée en scène aura un maximum de retombées médiatiques.
Ma critique : réseautage, médias sociaux, transmédia, même... Qu'est-ce que cela a à voir avec le storytelling ? C'est de la com, c'est tout. Si Twitter avait existé du temps du général de Gaulle, il aurait sûrement créé un compte, sans que cela soit du storytelling, alors inconnu. Soyons sérieux : à présenter le storytelling comme fourre-tout, on perd juste énormément de crédibilité.
On peut passer facilement à côté des théories de Salmon, mais pour ceux qui voudraient tout de même s'y pencher : voici. Pour ma part, voici ma conception sur le storytelling politique : Ce qu'on nous présente comme du storytelling est un acte de communication politique, ou, si on y voit plutôt le côté ennuyant, pour nous public, du spamming politique. On me posait récemment une question sur une structuration storytelling positif / négatif, dans le domaine politique. Pour en rester à ce schéma positif / négatif, s'il y a un storytelling positif, c'est un storytelling qui enrichit l'histoire de celui qui reçoit ce storytelling : c'est à dire qu'il donne des éléments narratifs que cette personne peut incorporer à sa propre histoire pour vivre une meilleure histoire personnelle. C'est aussi simple que cela. Un storytelling négatif serait alors un storytelling qui enrichirait uniquement l'histoire de celui qui la raconte, et déposséderait en même temps l'auditeur d'une partie de son histoire. J'ajouterai alors un storytelling neutre : qui n'apporte rien ni au narrateur ni à l'auditeur, inutile donc. Et c'est à la limite dans cette catégorie, si vous voulez, que l'on pourrait ranger le spamming politique, celui de nos candidats à la présidentielle. Mais bon, dans la mesure où c'est quelque chose de neutre, ce n'est quand même pas réellement du storytelling.