Interview et photos de Tinariwen pour LeMonde.fr et France Culture (27/02/ 2012 et 12/03/2012)
Tinariwen : “Il y a un peuple oublié qui est en train de mourir au Mali”
Iyadou Ag Leche, bassiste du groupe de rock saharien Tinariwen, est assis dans la cuisine du vaste loft d’un label proche du Père Lachaise, à Paris. Bastien Gsell, leur tour manager, prépare le thé sur un petit réchaud de camping. Il y a quelques heures, Iyadou était encore entre les zones de combats au Nord-Mali et les camps de réfugiés du sud algérien.
Mi-janvier, il rentre du festival de Tombouctou avec d’autres membres du groupe. “Quand on est arrivé à Tessalit, ça tirait de partout. Alors on est parti en brousse rejoindre Ibrahim – l’un des fondateur du groupe – pour s’éloigner des combats. Ceux qui ont les moyens d’emmener leur famille à l’extérieur, en Algérie ou d’autres pays, l’ont fait. Ceux qui n’ont pas les moyens se sont éloignés des villes pour se mettre en marge, de peur des représailles.”
LES POPULATIONS DIRECTEMENT EXPOSÉES AUX COMBATS
La situation la plus catastrophique paraît pour lui être celle d’Aguelhoc. “Le campement militaire est dans la ville, donc les combats ont eu lieu dans la ville. Les gens ont fui et ils sont tout autour, ils n’ont aucun moyen d’approvisionnement, ils se sont éparpillés. Aucune aide humanitaire et encore personne n’est arrivé à les aider. Les populations les plus en danger, ce sont les déplacés de l’intérieur. Ceux qui ne bénéficient de rien du tout, ce sont les gens des campements qui ne peuvent plus s’approvisionner.”
Prises au piège entre les différents groupes rebelles et l’armée malienne, les populations n’ont plus accès aux biens de première nécessité en provenance de Kidal ou d’Algérie. Elles sont directement exposées aux combats, comme le relate un communiqué de Médecins sans frontières : “Le 22 février, un campement de civils touaregs a été ciblé par un bombardement de l’aviation de l’armée malienne dans le nord du Mali. Les équipes de MSF et du ministère de la santé malien sur place ont pris en charge 11 blessés, presque exclusivement des femmes et enfants, dont une fillette qui est décédée de ses blessures.”
Avec d’autres amis, Iyadou fait des aller-retour entre le Mali et l’Algérie.“On a essayé d’aider les gens, de les mettre en sécurité. J’ai fait deux fois le voyage entre Borj et Tessalit. Tu croises des gens sur la route, qui n’ont pas de voiture, donc tu les emmènes. Quand je suis arrivé à Borj pour voir les réfugiés qui arrivaient, j’avais tellement mal que j’avais envie de regarder ailleurs, tellement ça me faisait souffrir dans mon moi profond.”
Le musicien trentenaire, qui était adolescent lors de la rébellion de 1991, l’a vécu avec sa famille. Il compare cette période avec la précédente période de troubles au Nord. “Nous avons l’impression que c’est mieux organisé, et qu’il y a plus d’union dans cette rébellion dans la population. Le mouvement est resté quatre mois dans les montagnes, en attendant de trouver une voie de négociation avec le Mali. Jusqu’à ce que le Mali vienne lui-même s’en prendre à eux, et c’est ce qui a déclenché les événements. C’était comme une surprise à laquelle on s’attendait un peu.”
Cela fait des mois que la tension monte entre les représentants des communautés du Nord-Mali et le gouvernement de Bamako. Incompréhension que les accords ayant mis fin aux précédentes rebellions ne soient appliqués qu’a minima, retard des promesses d’infrastructures et d’intégration dans l’armée des anciens rebelles. “Nous avons l’impression qu’ATT [Amadou Toumani Touré, le président] n’a jamais voulu régler ces problèmes. S’il voulait les régler, la manière la plus simple, c’était d’appliquer le pacte national et les accords d’Alger, ce qu’il n’a jamais fait. C’est ce qui a déclenché les problèmes qui ont suivi.”
“SI LES GENS ÉCOUTAIENT LES PAROLES DE NOS CHANSONS…”
Depuis des années, de nombreuses ONG, des diplomates africains et occidentaux et Tinariwen tentent d’attirer l’attention sur l’abandon du Nord-Mali. “Si les gens écoutaient les paroles de nos chansons, ces problèmes-là n’auraient jamais eu lieu. Si vous écoutez notre dernier album, les prémisses de cette question-là y étaient déjà. Nous avons tiré la sonnette d’alarme depuis longtemps. Le monde nous a oublié depuis cinquante ans, et mon message à la communauté internationale, c’est qu’elle jette un regard bienveillant sur notre peuple. Un regard d’humain à humain. Quelquefois, il y a des gens qui veulent nous faire porter des habits que l’on ne veut pas porter. Mais nous, on veut continuer à être les mêmes. Il y a des personnes qui utilisent les faiblesses ou les moments où les gens vont mals pour essayer de leur faire dire ce qu’elles ne disent pas, ou essayer de les faire mal voir par les autres, parce qu’elles ne veulent pas rentrer dans leur schéma.”
A mots voilés, ces habits, ce sont ceux d’AQMI [Al-Qaida au Maghreb islamique]. AQMI séquestre des occidentaux, mais coupe aussi la zone du reste du monde, empêche toute présence des ONG, journalistes et touristes, prend en otage les populations sahariennes. Une idée se répand, est répandue, selon laquelle AQMI et “les” Touaregs travaillent de concert. Les terroristes sous-traitent la livraison de carburants, de vivres, achètent quelques informations à des Songhay, Peuls, Bambara Haoussa et Touaregs. Menus revenus pour des jeunes en marge de leurs communautés.
EN PREMIÈRE LIGNE MÉDIATIQUE
La guerre saharienne actuelle est moderne, communicante et attache une grande importance à l’impact des mots et images qui filtrent vers l’extérieur. En Europe, hormis les porte-parole du MNLA [Mouvement national pour la libération de l'Azawad], peu de personnes ont évoqué les événements, du côté touareg, depuis le début des hostilités, à la mi-janvier.
Tinariwen se retrouve en première ligne médiatique, s’attend à devoir répondre, lors de sa tournée qui débute, à plus de questions sur leur positionnement politique, que sur le fait qu’il vient d’être récompensé par un Grammy Award aux Etats-Unis. Sont- ils pour la création d’un Etat au nom d’Azawad, indépendant du Mali ou non ? Sont- ils impliqués dans la rébellion ? Le musicien joue nerveusement avec le clavier de son portable. “Nous sommes très vigilants sur ce que l’on dit ou sur ce que l’on cherche à nous faire dire, car nous sommes comme nos ancêtres, les gardiens de notre culture. Donc c’est à nous de veiller à ce qu’elle ne soit pas travestie, ou qu’elle ne soit pas transformée à des fins politiques.”
Depuis quelques semaines, on peut lire en ligne un flot de rumeurs aux sources invérifiables. Les inquiétudes de fans du monde entier. Sur Facebook principalement. Le 31 janvier, Kabyles.net annonce qu’“un membre du groupe Tinariwen a rejoint les rebelles”. Et que, “selon une source sûre, Ibrahim ag Alhabib, dit Abraybone, du groupe Tinariwen, a quitté le groupe pour rejoindre les rebelles touaregs. Il dit avoir tout chanté pour faire connaître son peuple, mais aujourd’hui, il veut lui être utile autrement.”
CLICHÉ DU REBELLE “À LA GUITARE ET KALACHNIKOV”
Personne ne semble penser qu’au lieu de monter sur scène, il puisse préférer pour un temps s’occuper des siens, les mettre en sécurité. Ni Ibrahim ni Elaga Ag Hamid n’ont pris l’avion hier. Pas plus que d’autres musiciens du groupe, formation à géométrie variable dès son origine. Au cliché du Touareg “homme bleu sur son chameau” a succédé celui du rebelle saharien “à la guitare et Kalachnikov”. “Certain parmi nous n’ont pas pu venir dans la tournée, parce qu’ils étaient dans une situation d’urgence où ils devaient protéger leur famille, reprend-il. Mais nous avons tenu à venir, même si c’est dur pour nous, dans ces moments difficiles, de chanter et faire la fête, pour faire passer au monde le message qu’il y a un peuple oublié qui est en train de mourir, au fond du désert du Sahara. Je ne crois pas que le gouvernement du Mali a une solution pour nous. Aujourd’hui, nous sommes dans la période debout. Pour s’asseoir, je ne sais pas quand ce sera.”
Certains musiciens déclareront un soutien clair au MNLA, mais Iyadou poursuit : “Nous savons que ceci n’est pas dû au peuple malien. Le peuple malien est un peuple uni et fier, mais c’est les gouvernants, les politiques qui ne veulent pas appliquer les accords. Le peuple malien, c’est un peuple avec lequel nous nous sentons en cohésion.”
DES DRAPEAUX DE L’AZAWAD SUR SCÈNE
Tinariwen, les groupes de musique ishumar, tels Terakaft, Tamikrest et tant d’autres, sont liés à l’histoire de leur peuple. En temps de nomadisme, de paix, et en temps de guerre et de rébellion. Des drapeaux de l’Azawad apparaîtront certainement sur leurs scènes à Hong Kong ou San Francisco, comme un drapeau Amazigh apparut lors d’un concert à l’Olympia, il y a quelques années.
CLICHÉ DU REBELLE “À LA GUITARE ET KALACHNIKOV”
Personne ne semble penser qu’au lieu de monter sur scène, il puisse préférer pour un temps s’occuper des siens, les mettre en sécurité. Ni Ibrahim ni Elaga Ag Hamid n’ont pris l’avion hier. Pas plus que d’autres musiciens du groupe, formation à géométrie variable dès son origine. Au cliché du Touareg “homme bleu sur son chameau” a succédé celui du rebelle saharien “à la guitare et Kalachnikov”. “Certain parmi nous n’ont pas pu venir dans la tournée, parce qu’ils étaient dans une situation d’urgence où ils devaient protéger leur famille, reprend-il. Mais nous avons tenu à venir, même si c’est dur pour nous, dans ces moments difficiles, de chanter et faire la fête, pour faire passer au monde le message qu’il y a un peuple oublié qui est en train de mourir, au fond du désert du Sahara. Je ne crois pas que le gouvernement du Mali a une solution pour nous. Aujourd’hui, nous sommes dans la période debout. Pour s’asseoir, je ne sais pas quand ce sera.”
Certains musiciens déclareront un soutien clair au MNLA, mais Iyadou poursuit : “Nous savons que ceci n’est pas dû au peuple malien. Le peuple malien est un peuple uni et fier, mais c’est les gouvernants, les politiques qui ne veulent pas appliquer les accords. Le peuple malien, c’est un peuple avec lequel nous nous sentons en cohésion.”
DES DRAPEAUX DE L’AZAWAD SUR SCÈNE
Tinariwen, les groupes de musique ishumar, tels Terakaft, Tamikrest et tant d’autres, sont liés à l’histoire de leur peuple. En temps de nomadisme, de paix, et en temps de guerre et de rébellion. Des drapeaux de l’Azawad apparaîtront certainement sur leurs scènes à Hong Kong ou San Francisco, comme un drapeau Amazigh apparut lors d’un concert à l’Olympia, il y a quelques années.
Arnaud Contreras
Lien vers l’article sur Le Monde.fr +++