Ma fille, ma fille chérie,
Sept mois que je te porte en mon ventre, que je te rêve, que je t'attends. Sept mois que je t'imagine. A l'heure où je t'écris, je te sens, tes frôlements, tes caresses, tes coups, tu as pris possession de moi, tu t'es fondue en moi, , nous sommes liées, je suis ta mère, tu es ma fille, c'est trop tard, tu es là, vivante, petite fille, tu te réveilles avec moi, t'endors en mon creux, nos vies sont parallèles et inextricables. Ma fille, ma fille chérie, ce matin, pour la dernière échographie officielle à laquelle je me rendais sans inquiétude aucune, simplement transportée par la joie de te revoir, la gynécologue a dit que le ventricule gauche de ton cerveau était dilaté. Elle a dit que je devrais revenir d'ici une quinzaine de jours pour un contrôle, afin de vérifier si cette dilatation, tout juste supérieure à la normale, s'était résorbée ou au contraire avait grossi. Elle a parlé d'une éventuelle IRM, tout en précisant de ne pas s'inquiéter. Ton père m'a ramenée à la maison, il tient le coup, je l'admire, je n'ai pas sa force. Tout va bien aller, dit-il, notre fille ira bien. Je n'ai pas son optimisme. Depuis ce matin, je ne suis plus qu'angoisse, inquiétude, terreur. J'ai continué à vivre ma vie, fait comme si du moins, je suis allée au cours d'accouchement programmé depuis longtemps, me suis sentie à part, pas à ma place. Le midi, j'ai mangé avec une collègue au restaurant mais le coeur n'y était pas, malgré le soleil qui baignait la ville. Enfin, je suis allée chez tes grands-parents où je me suis littéralement écroulée.
Ma fille, ma fille chérie, ces quinze jours d'attente s'annoncent difficiles, très difficiles, ta maman n'est pas quelqu'un d'optimiste, pas quelqu'un de zen, il lui faudra puiser dans ses ressources, se faire violence pour aborder cette incertitude, cette angoisse, avec sérénité. Pour ne pas céder à la terreur, au cauchemar. Mais je t'en prie, je t'en prie ma fille chérie, aide-moi, aide-moi dans cette horrible traversée, il faut que d'ici quinze jours, cette dilatation ventriculaire se soit résorbée, je t'en prie, mon amour, tu as beau ne mesurer que 40 cm et ne peser qu'1,7 kg, je crois en toi, tu es solide, forte, tu vas y arriver, il faut que tu réussisses, il faut que nous réussissions. Tu naîtras comme les autres, dans mes bras, dans ceux de ton père, tu t'épanouiras mon bébé, entre nous deux, dans notre chaleur, dans notre amour, nous serons heureux tous les trois, tu seras une petite fille comme les autres, tu auras une belle vie.
Je m'inquièterai, bien sûr, pour tes premiers rhumes, tes premières maladies, tes premières fièvres, tes premiers bobos. Je t'en conjure, ma fille chérie, donne-moi l'occasion de connaître tout ça, les peurs banales d'une mère heureuse, donne-toi l'occasion, à toi aussi, de vivre normalement, comme n'importe quelle petite fille. Je ne sais pas, pour l'instant, quels sont les risques que tu encours, on n'a rien voulu me dire avant cette échographie de contrôle, je n'ai pour moi que ma terreur et mon imagination fertile. Je ne sais rien. J'aimerais tant croire en Dieu pour le prier de toutes mes forces de t'épargner, de nous épargner ton père et moi, mais je ne crois pas en la présence d'un être supérieur, je ne sais pas à qui m'adresser, il n'y a rien à faire, rien à faire, à part attendre et me taper la tête contre les murs en pleurant.
Ma fille, ma fille chérie, je me refuse à te retirer la vie que j'ai rêvée pour toi, je refuse que ta santé soit en
danger, je serais capable de tant de choses, de tant de choses, j'aimerais pouvoir, je n'ai pour moi que l'impuissance, les pleurs, la peur. Mais toi tu es capable, plus capable que moi. On
m'avait annoncé il y a six mois que tu n'existais pas. On s'était trompé. Fais-les mentir, une fois de plus, je t'en prie. Fais-les mentir, au-delà de toute norme, de toute mesure, fais-les
mentir.
Ma fille, ma fille chérie... Je t'aime.