Les heures nues, que désigne le titre du dernier récit autobiographique d’Asa Lanova - peut-être l’un de ses plus beaux livres du point de vue de la musique des phrases -, sont celles de la lucidité de plus en plus aiguë qui nous vient, avant l’aube, au fur et à mesure que nous prenons de l’âge. La sourde angoisse, liée au vieillissement, de celle qui a connu la « grande obsession » de l’érotisme, ne trouvera d’exorcisme que par les mots, réunis ici en longs colliers de phrases splendides, dont le déploiement proustien contraste cependant avec l’étroitesse du « théâtre » investi en l’occurrence, entre le lit couvert de chats de la narratrice, le jardin où la porte sa première rêverie matinale, la « chambre aux mots » où la ramène la discipline « quasi militaire » de l’écriture, les allées enfin de ses souvenirs.
À ceux-ci est associé un amour-passion passager vécu dans la prime jeunesse avec Maurice Béjart, visiblement exalté à proportion de l’aura de celui-ci, entre fantasme de l’âge et retour à la cruelle réalité, puisque « Satan » ne répond pas vraiment. La remémoration d’un autre lien, à la fois littéraire et affectif, avec l’éditeur et écrivain Georges Belmont, dégage une bien plus réelle émotion alors que « Maestro », comme la disciple le surnomme, s’approche de sa propre fin.
Une dernière étreinte avec un certain Stanislas de passage, aussi intense que brève, et sans lendemain, marquera-t-elle le terme d’une vie marquée par la hantise du sexe? Ce qui est sûr est que les plus belles pages de ce livre ne sont pas celles que tisse ce remugle d’érotisme solitaire, mais celles qui se vouent à la célébration de la simple vie, des animaux entourant leur sorcière bien-aimée, des oiseaux, des aubes pures et des nuits de solitude de la narratrice tissant sa toile, à l’encre violette, avec une grâce arachnéenne.
Asa Lanova, Les heures nues. Campiche, 159p.