Magazine Journal intime

Résiste

Publié le 22 mars 2012 par Mirabelle

Mon cher Victor,

Oh ma petite chérie, je... Stop ! Pas un mot ! Mais... Et change d'expression s'il te plaît, on dirait que ma fille est à l'article de la mort, ce qui n'est pas le cas du tout... Je voulais simplement t'assurer de mon soutien et... Tu n'en as pas besoin, Victor, ta présence suffit à me le montrer, les mots ne sont pas nécessaires. Et puis je te le répète, ne me regarde pas ainsi, tu as les paupières tombantes, la lèvre tremblante, bientôt je vais te ramasser à la petite cuiller ! Bon, très bien, très bien. Mais tout de même... Comment vas-tu depuis mercredi soir ?

Avant-hier, en me couchant, je ne voulais pas m'endormir, craignant le réveil du lendemain, craignant de me souvenir. Pourtant, la lutte contre la fatigue n'a servi à rien, les litres de larmes versées, la terreur, l'épuisement, les yeux bouffis ont fini par me faire m'écrouler sur le lit sans même que j'ai le temps de dérouler le fil de la journée dans ma tête. Malheureusement, le réveil s'est montré tel que je le redoutais : il a fallu me souvenir de ces 10,2 mm au ventricule gauche, me souvenir que nous ne saurions rien avant quinze jours et que l'enjeu était surtout de ne pas tomber fou avant l'échéance, de s'"occuper" au maximum pour supporter l'incertitude.

Et puis j'ai pris le taureau par les cornes. Appelé ma gynécologue, pris rendez-vous avec mon médecin traitant. Je ne vais pas me laisser abattre, elle est là, vivante, ses petites galipettes sous mes côtes, elle n'a rien demandé, et mon devoir, c'est de l'aider, de la porter et de la supporter. Je vais le faire. Au téléphone, je m'entends dire à ma gynécologue, pour qui j'ai une profonde estime : "Il semblerait qu'il y ait un problème au cerveau du bébé". Ces simples mots, cette simple phrase, cette abrupte réalité, je ravale mes larmes, la gorge enrouée de sanglots retenus. Elle répond : "C'est un des ventricules qui est plus dilaté que l'autre, c'est cela ?". Face à ma surprise, elle m'explique que c'est une des anomalies les plus fréquentes, qu'en général cela se résorbe tout seul. Elle n'est pas inquiète. Me le repète. Pense qu'à l'échographie de contrôle, ce ventricule sera passé des 10,2mm aux 7mm du droit. Elle me conseille de ne pas me mettre en tête que ma fille aura un retard moteur ou mental, précise qu'il existe des opérations permettant de retirer du liquide. Elle se veut rassurante, les échographistes "se couvrent", ils n'ont pas le choix, même si au fond ils ne sont pas fondamentalement préoccupés ils ont le devoir de nous informer et d'assurer leurs arrières. Je raccroche le coeur rempli d'espoir.

L'après-midi même, je rencontre mon médecin traitant, qui me connaît bien, qui m'a beaucoup aidée au début de ma grossesse, quand on m'avait trouvé un oeuf clair (alors que cet oeuf clair mesure aujourd'hui une quarantaine de centimètres et pèse 1,7 kg). Il sait comme je suis de nature angoissée, il sait aussi, une fois que j'ai déballé mon sac, qu'il est légitime que je m'inquiète. Il examine mon compte-rendu d'échographie : "Je ne suis pas payé pour te rassurer. Si j'ai des raisons médicales de t'inquiéter, je n'ai pas le choix, je t'inquiète. Ton échographie est normale, Mirabelle, normale." 2 dixièmes de millimètres par rapport au seuil de la norme, ce n'est rien du tout, me dit-il, rien du tout. Il appelle l'échographiste qui m'a prise en charge la veille. Elle lui dit que l'échographie est "normale" mais qu'elle n'a pas eu d'autre choix que de me programmer une échographie de contrôle, étant donné que la mesure du ventricule était limite. Elle indique qu'elle a voulu nous rassurer, ce dont je ne doute pas, d'ailleurs, car elle s'est montrée professionnelle mais pondérée, sans tirer de réel signal d'alarme. En quittant le cabinet de mon médecin, ses paroles résonnent : "l'échographie est normale, Mirabelle, normale.". Je sais qu'il n'aurait pas prononcé ces mots s'ils n'en avait pas été foncièrement convaincu.

Depuis, je vis en me raccrochant à cette idée. Je garde confiance. Si Choupinette nous a joué un mauvais tour à 7sa (rectifiées à 5sa), elle peut très bien décider de nous en jouer un autre à 33sa. Si le début de grossesse fut très éprouvant nerveusement, la fin l'est également, et la boucle est bouclée. Je fais confiance à ma fille, à notre fille que nous aimons déjà tellement. Elle va rectifier le tir et nous faire un joli pied de nez, à son père et moi, l'air de nous dire : "Non, en fait c'était pour rire, je vais très bien, tout va très bien et nous allons être très heureux tous les trois, j'arrête mes bêtises, c'est promis."


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