L'été des possibles

Publié le 25 mars 2012 par Patrick73

Nous sommes en 1984 et j'ai 11 ans. Je joue au baseball, au softball et à la balle donnée tous les jours, et même parfois deux fois par jour! Je suis une machine à lancer. Quand je ne joue pas, j'écoute les parties des Expos à la radio, je regarde ''this week in baseball'' toutes les semaines, je regarde les parties des Expos à Radio-Canada et je remplis mon livre Pannini de collants de joueurs de baseball! Ma vie de p'tit gars de 11ans est baseball! Je suis même peut-être l'arrière-arrière-petit-fils de Doubleday!!!!

Et quand je dors, je rêve que je suis au monticule pour les Expos et que je suis ''catché'' par Gary Carter. Et dans mon rêve, je lance la 7e partie de la série mondiale contre les Red sox de Boston au Fenway Park. Et à chaque fois, je retire sur trois prises le grand, le légendaire Wade Boggs. Mais comme dans mon rêve je joue avec les Expos, nous finissons par perdre le match ultime. Car même dans les rêves, les Expos ne gagnent pas le dernier match de la saison. Même dans les rêves, c'est impossible.
Pratique printanière
Comme à chaque printemps que le baseball amenait, je participe au camp d'entraînement organisé par la ville. L'évènement se passe à chaque année dans le gymnase de la polyvalente.
Je pars avec mon p'tit bonheur, mon sac de balle, ma casquette des Expos sur la tête, mes souliers des Expos trois couleurs et mon vieux gant Cooper.
Depuis l'âge de 6 ans, je marche en sifflotant un 10 km vers la polyvalente, et l'année 1984 n'allait pas être différente.
Coach Payer parle en lettres majuscules. Il est coach dans les Laurentides depuis la nuit des temps. Il sacre aux deux mots. Il est le coach des fameux Rotarys, les Yankees des Laurentides. Il est l'un des premiers papas monoparentaux de ma région. À l'époque, c’était plutôt rare. Sa femme est partie un beau matin en lui laissant un p'tit sur les bras! De là peut-être sa mauvaise humeur légendaire! Des couches et des biberons, c’était pire qu'une tranchée pour cet ancien militaire! Coach Payer aime son fils comme il aime le baseball!

Coach junior était tellement jeune quand sa mère est partie, qu'il n'a pas eu le temps de lui dire « maman ». Coach junior répète tout ce que Coach Payer dit! Il est le fils et le perroquet de Coach Payer. Coach junior aime coach Payer comme si sa vie en dépendait. Quand coach junior se regarde dans le miroir, il voit un trisomique dans un corps d'homme!

Je m'installe pour lancer. Je ne suis pas déterminé, je suis la détermination.
J'ai fière allure avec mon beau chandail bleu poudre de Gary Carter acheté par mon parrain!

-(Coach Payer)
Kid, montre-moé ton stuff!
-(Coach junior)
Kid, montre-moé ton stuff!

Je lance trois balles rapides dans la zone des prises, une après l'autre, sans reprendre mon souffle! Le coach me regarde et me dit...

-(Coach Payer)
Taboir, respire Kid entre tes lancées, tu vas péter au frette.
-(Coach junior)
Taboir, respire Kid entre tes lancées, tu vas péter au frette.

-(Moi, celui qui ne respire pas)
J'ai deux autres lancées, coach.
-(Coach Payer et junior)
?
-(Coach Payer et junior)
OK, vas-y.

Je lance une ''sinker'' en plein coeur du marbre et, sans prendre mon souffle, je lance une ''knuckleball'' qui cette fois, passe par-dessus le receveur.

-(coach Payer)
Ouin! Belle Sinker, mais oublie la Knuckleball, t’é pas Phil Niekro! Bout de crisse, où tu as appris à lancer une sinker??
-(Moi)
Dans le livre de Claude Raymond, coach! L'ancien numéro 16 des Expos!!!!
-(Coach Payer)
Hey Messieuuuuuu l'expert de baseball, j'sais CÉ qui Claude Raymond!  Tu vas être mon deuxième lanceur cette année. Je vais te préparer pour que tu sois mon numéro un quand tu vas avoir 12 ans!!!

À la fin de la pratique, je retourne chez nous en pleurant....
Je pleurais, car je savais que je ne pourrais pas faire partie des Rotarys, faute d'argent! Je pleurais, car j'étais choisi, j'étais moi p'tit cul de mon état, moi fils d'alcoolique, moi fils du Bronx, moi j'étais quelqu'un parmi du vrai monde.
Moi j'étais un membre des Rotarys! Je pleurais, car il faudrait que je dise non à Coach Payer et ainsi qu'à Coach junior.
Je retourne donc chez nous avec mon p'tit bonheur, mon sac de balle, ma casquette des Expos sur la tête, mes souliers des Expos trois couleurs et mon vieux gant Cooper.

Pour la suite de mon 1984...
Je m'essuie les yeux, ils sont rouges. Je rentre chez nous, et avec tout mon courage de p'tit gars de 11ans, je vais voir celui qui est mon père!  Sans prendre mon souffle, je lui dis...

-(Moi)
J'ai été choisi pour jouer avec les Rotarys! J'aimerais ça que tu payes ma saison?
-(Papa)
Tu veux faire rire de toé! C’est pas du monde comme nous autres, eux autres!  J’ai pas 100 piasses à mettre su des niaiseries, moé!
Va donc au dépanneur pour moé, pis mets une caisse de 12 sur le ''running bill'' pis prends-toé un paquet de cartes de baseball. Tu pourras pas dire que j’ai jamais rien ''faite'' pour toé!!!
-(Moi)
Mais papaaaa... et je pleurniche!
-(Papa)
T'as farme tu ta crisse de yeule! J’ai dit non, tabarnak! N-O-N, non, ciboire!  Tu brailles comme une tapette pis tu voudrais jouer aux bras dans une équipe de balle? Va au dépanneur crisse d'épais, épais dans le plus mince. Crisse d'enfant à marde.

Je me mouche avec ma manche pis je ferme ma yeule, ma crisse de yeule... Heureusement que le baseball existe encore, il a peut-être même été inventé pour les enfants comme moi qui n'ont rien d'autre que le baseball à aimer!

L'été des possibles passe comme passe le bon temps. J'ai dit non à coach Payer, qui ma gardé sur la liste de réserve quand même. J’ai joué au baseball d'infortune avec les Anglais dans le parc des Anglais, avec les B.S du Bronx dans le Bronx et avec ma p'tite gang aussi au parc Richelieu. J'ai lancé comme un fou, comme un fou pour oublier que chez nous, c’était un logis de fous! Puis un soir d'août 1984, pour être plus précis le 7 août 1984, le téléphone a sonné chez nous. Au bout du fil, c’était Coach Payer!

-(Coach Payer)
J'ai besoin d’toé, kid. J'ai besoin de ta ''sinker''.
Mon numéro un est blessé pis mon numéro deux veut pas lancer.
Il nous reste une game, juste une. Pas besoin de payer pour jouer!
-(Moi, incrédule)
OK, j'embarque.
-(Coach Payer)
On est en finale des Laurentides contre le gros club des Lions de St-Jérôme.

Et il raccroche.
J'ai dit oui, un petit oui, oui. Mais une fois le téléphone raccroché, j'ai réalisé l'ampleur de la tâche qui m'attendait.
Moi, n'ayant jamais lancé dans du baseball organisé, j'allais lancer la grosse finale régionale!!!!
J'ai peut-être des tendances suicidaires, que je me dis.

Deux pratiques plus tard, Coach Payer et junior m’ont donné mon uniforme. Le plus beau chandail de balle jaune soleil que j'ai jamais vu de ma vie! Avec dans le dos, le numéro 8.

-(Coach Payer)
Kid doit porter le numéro 8!

Sans le savoir, Coach Payer m'avait donné mon plus beau surnom à vie! On ne choisit pas son surnom, on vit avec! J'ai été Pat, Ti-Pat, le moine, patapouf, patapoche et Kid. Mais dans mon cœur, Kid a une place toute spéciale, la plus belle place.
Ce soir-là, j'ai oublié mon père, la pauvreté et le reste. J'ai dormi avec mon uniforme jaune du club Rotary.
Et ce soir-là, aucune game de balle à la radio, ni à la télé. J’ai plutôt écouté des 45 tours sur le vieux "pick-up" de mon frère, qui était parti coucher pour la semaine à Boisbriand chez son parrain, et par le fait même, chez sa marraine!

PHIL
Le lendemain, j'étais au parc Richelieu de bonne heure, comme dans levé avant n'importe quel coq de la planète! Le kid était au parc. En début d'après-midi, Coach Payer et junior sont arrivés, ainsi que mes nouveaux coéquipiers. Un après l'autre, ils m’ont souhaité la bienvenue en m'appelant Kid. Le premier à venir me voir fut Phil, notre troisième but.
Phil était notre quatrième frappeur, notre capitaine, notre pain et notre beurre! Cette année-là, il avait été approché par l'organisation de Valleyfield pour faire partie de l'équipe qui se rendait au world little ligue, mais il avait refusé cette ''gamique''. Il disait lui-même qu'il voulait se rendre là-bas avec Rotary, son rêve! Il était le meilleur joueur de 12 ans au Canada cette année-là, les deux doigts dans le nez.
Un gars simple comme il s'en fait peu, peut-être le dernier des vrais humains. Phil aimait lancer des lignes du film Slapshot. D'ailleurs, aujourd'hui encore, il n'a pas changé! Nous avons à l'époque connecté toute de suite. Nous nous sommes vus sur un terrain la première fois, plus précisément sur le terrain de balle du Laurentien high school.

-(Phil)
Bonne chance, kid. Hey, j’te paye un coke après la game.
-(Moi)
Trade me right fucking now.
-(Phil)
T'as juste à lancer comme au Laurentien, kid! Je m’inquiète pas, t’é un bon pitcheur.

Tous les gars avaient 12 ans, j'étais le seul de 11 ans! J'avais déjà joué avec tous ces gars à la balle, mais entre un milieu de 11 ans et une fin de 12 ans, il y a un monde de différence!!!
Le parc se remplit. Les parents des joueurs, les oncles, les tantes, le maire de la ville, les partisans, les senteux et pas mes parents. Un parc Richelieu rempli au bouchon, c'est beau en crisse. Un parc Richelieu rempli au bouchon, c'est comme un champ de rêve.

Phil, en bon capitaine, avait apporté son ''Gettho blaster à cassette'', et comme dans une game des ligues majeures, nous sommes entrés sur le terrain en superstars avec comme musique...
Faisons un retour dans le temps, chers lecteurs et lectrices... Écoutons la chanson d'entrée du grand club Rotary! Notre chanson de 1984. Encore aujourd'hui, j'ai des frissons à chaque fois que je l'écoute. Je revois le parc, je sens l'odeur de patates au vinaigre, des hot-dogs moutarde et je vois le sourire de Coach junior...
Mesdames et messieurs, le club Rooootaryyyyy sur Jump de Van Halen!

La game d'une vieJe suis au monticule et je regarde autour de moi. Le monde est beau et, mon troisième but Phil, me fait des clins d'œil et on rit! Nous sommes dans l'été des possibles et tout est donc possible pour le vrai. Je joue mon propre rôle dans mon film d'Hollywood! En août 1984, j'aimais le baseball autant que la vie elle-même, et le baseball comme plusieurs fois dans ma vie me le rendait bien!
Mes trois premières manches au monticule ont été parfaites, parfaites comme dans rien d'accordé! Je remercie ma Sinker à la Claude Raymond pour ces 3 manches. Coach Payer ne faisait que me donner des grosses claques dans le dos pis junior répétait le même geste, évidement! Pis Phil, lui, me disait des lignes de Slapshot pour me relaxer, pour faire comme si la game n'était pas si importante que ça... Phil, tu as réussi à me faire accroire que cette partie-là, c’était comme les games qu'on jouait au Laurentien high school.
Début de la 4e manche, 0-0...
-(Phil)On m'appelle le chirurgien, j'm'en vais te faire une opération à coeur ouvert. (Encore une citation de Slapshot)
J'accorde mon premier coup sûr, un triple. Et puis tout déboule par la suite... je fini la manche, je m’assois sur le banc et je demande le pointage. Coach me regarde, ébahi.
-(Coach Payer)Kid, c'est 0-0. Après le triple, t’en as passé trois dans mite.
Encore aujourd'hui, je ne me souviens pas de cette manche. Black-out total.J'avais le goût de faire dans mes culottes à chaque début de manche, et j'avais le bras engourdi. Je ne ressentais donc aucune douleur.Après 7 manches complètes de jeu, un match complet pour nous, c'était 0-0. Le lanceur de l'autre bord, un certain Roy, lançait toute une game aussi!
La huitième ne fut pas différente, ainsi que la 9e manche, et St-Jérôme avait changé de pitcheur. Moi, j'étais encore au monticule au début de la 10e... en tous cas, mon corps était là.
Entre la 9e et la 10e, j'ai regardé mon coach pis je lui ai dit...
-(Moi)Je n’ai pu rien, je sens pu mon bras, mes doigts, mes épaules. Je sais pas comment j'vais faire pour lancer si on gagne pas en 9e! Je suis mort.
Coach Payer s'est assis à côté de moi. La larme à l'œil, il m'a regardé et a mis sa main sur mon épaule comme pour me dire que peu importe, c'était correct. Que j'avais fait ma job!
Début de la dixième manche, premier frappeur, un coup sûr en plein centre!Je n’y ai pu rien, et tout le monde au parc le sait. Les Lions ont senti la bête blessée et sont prêts à me dévorer.J'ai accordé trois points en 10e.Nous n’avons rien fait au bâton à notre dernier tour.
Score final : 3-0 pour les Lions contre les Rotarys.C'était l'été des possibles, mais fallait pas pousser la ''luck''...Phil a frappé 5 en 5. Il ne lui manquait qu'un circuit pour faire le carrousel.
Ce soir-là, je suis parti avec mon p'tit bonheur, mon sac de balle, ma casquette des Rotarys sur la tête, mes souliers des Expos trois couleurs et mon vieux gant Cooper, et ainsi que mon chandail des Rotarys dans les mains!
*Que sont-il devenu*-L’hiver suivant, j'ai vécu le plus grand drame de ma vie. Par conséquent, je n'ai pas joué à la balle l'été d’ensuite pour Rotary. J'avais la tête ailleurs, disons.
-Phil est allé jouer au baseball junior élite. Ensuite, il a joué universitaire au Mississippi et il a été repêché par les Phillies de Philadelphie.  Il n'a jamais joué dans les majeures.
-Coach junior est mort deux ans plus tard, et toute l'équipe de 1984 était aux funérailles. J'ai mis mon chandail numéro 8 dans le cercueil de Coach. Salut Coach.
-Coach Payer est mort de vieillesse il y a deux ans, et j'aurai une pensée pour lui quand je vais jouer au coach lors du premier match de notre équipe de fastball ce printemps! Salut Coach.
-Mon père, lui, vit seul dans un 1 et demi, et il ne verra jamais ses petits enfants. La seule chose qui lui reste dans la vie, c'est un verre d'eau, un dentier et la boisson.
-Il y a deux semaines, je suis au Costco par un beau samedi matin et j'entends...-(Un homme me cri)KID, HEY KID-(le même homme)Aie! Dunlop, crisse de vieux singe, quand est-ce que tu prends ta retraite, là, pour laisser la place aux autres... (une citation de Slapshot)-(moi, le sourire fendu jusqu'aux oreilles)Phil.
Nous nous sommes donné une poignée qui aurait pu durer l'espace d'une vie. La poignée de mains de deux champions. La poignée de mains de deux Rotary! Je lui ai présenté mon garçon et il m'a présenté ses enfants. Je lui ai parlé de ma fille, qui était à son cours de danse, et le temps s’est arrêté. Le temps s’est arrêté, car quand on se parlait en face des grosses télés HD du Costco, la vidéo de Jump de Van Halen est apparue comme par magie...Et Phil m'a dit en souriant...-(Phil)Only with you, kid, only with you, magic kid.
*MESSAGE À PHIL*J'ai pensé nous faire gagner cette maudite game-là dans mon texte, j'ai vraiment pensé le faire, mais comme tu es mon capitaine, comme tu es le Joe Dimaggio de Lachute, il me fallait être honnête comme toi. Et la réalité, c'est que nous avons perdu, mais nous avons gagné l'une des plus belles journées de notre vie! Merci Phil.