Le crépuscule des Pharaons
Du dernier des Ramsès à CléopâtreL’Egypte avait connu l’invasion et la défaite ; elle avait été...
Elle avait connu l’invasion et la défaite ; elle avait été occupée par ses ennemis. Dépossédée de la puissance qui avait suscité la crainte et l’admiration de ses adversaires, fait d’elle le tout premier royaume de son temps. Ses vassaux avaient secoué le joug d’une domination millénaire. Des empires l’avaient soumise à leur hégémonie. Des immigrants à la peau noire l’avaient envahie. Elle s’était morcelée en mille principautés, chefferies. Des prétendants sans grandeur s’étaient disputé le pouvoir sans souci de son avenir. Elle avait dû, plus d’une fois, se résoudre à subir la férule de souverains d’origine étrangère.
Elle avait pourtant survécu.
On a longtemps arrêté l’histoire de l’Egypte à la fin du Nouvel Empire, au XIe siècle avant J.-C. De la mort du dernier des Ramsès à celle de Cléopâtre, qui avait signé son assujettissement définitif à la puissance romaine, en 30 avant J.-C., le pays était lentement sorti, disait-on, de l’histoire. Il n’était pas utile de s’appesantir sur les épisodes qui avaient ponctué cette interminable agonie. Cette Egypte tardive avait bien pu durer mille ans peut-être : sa destinée se résumait à une décadence irrésistible. L’Egypte avait dû renoncer au splendide isolement qui avait fait de l’Ancien et du Moyen Empire un sujet d’étonnement pour les nations qui avaient entendu parler de ses monuments et de ses temples, les rares voyageurs qui avaient mesuré sa grandeur à la hauteur impressionnante de ses colosses et de ses murs de brique, au nombre de ses dieux, à l’éclat de ses fêtes, à la splendeur de ses rites. Elle avait perdu le rayonnement qu’elle avait connu lorsque, impériale et triomphante, elle avait mené ses armées à la conquête du Proche-Orient ou jusqu’au cœur de l’Ethiopie. Pharaon n’était plus redouté de ses voisins. Son pays était successivement passé aux mains de dynasties libyennes et koushites. Thèbes avait été mise à sac par les armées assyriennes ; Memphis était tombée entre les mains du roi des Perses. Conquise par Alexandre à son tour, l’Egypte était revenue en partage à l’un de ses fidèles. Sous les trompeuses apparences de la royauté pharaonique, elle était devenue une colonie grecque. Ainsi passent les grandeurs humaines : il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants.
A qui serait resté à cette lecture traditionnelle de l’histoire, convaincu que l’Egypte avait donné, en deux millénaires, tout l’éclat de son génie, et qu’elle s’était ensuite misérablement survécu, la visite de la splendide exposition que le musée Jacquemart-André consacre aujourd’hui au « Crépuscule des pharaons » devrait procurer un choc à couper le souffle. Car les cent vingt chefs-d’œuvre qu’y a rassemblés Olivier Perdu ne forment pas seulement la plus somptueuse des galeries de pierre, une démonstration de la virtuosité de la statuaire égyptienne, une superbe évocation des mœurs funéraires de ceux qu’Hérodote avait décrits, en son temps, comme « les plus religieux des hommes », un prestigieux échantillon des visages de leurs dieux, sculptés par les plus talentueux de leurs artistes. A l’heure où l’on dispute pour savoir s’il est admissible, acceptable, d’établir une hiérarchie entre les civilisations, les cultures, ils offrent la plus formidable des leçons de science politique.
Ce dont ils témoignent, en effet, avant tout, c’est de l’incroyable capacité de résistance que peut avoir la culture lorsqu’elle est enracinée dans l’âme d’un peuple, lorsqu’elle est parvenue à une maturité qui lui donne d’atteindre à l’expression de la beauté avec une efficacité singulière. L’Egypte tardive était certes un « roseau brisé », comme l’avait décrété Sennachérib avec mépris ; son histoire était devenue chaotique. Elle n’avait cessé d’exercer sa fascination, de la côte phénicienne à la Nubie. David et Salomon, dans leur gloire, n’avaient trouvé d’autre modèle pour leurs livres de sagesse, leur administration, leurs hymnes. Le prestige des artistes égyptiens resterait tel, à la fin du VIe siècle avant J.-C., que le grand roi perse lui-même les ferait venir jusqu’au cœur de son empire pour décorer son palais de Suse. Les souverains macédoniens héritiers d’Alexandre feraient bâtir, dans la vallée du Nil, à Kom-Ombo, à Edfou, des temples gigantesques couverts de hiéroglyphes.
Michel de Jaeghere
Directeur de la rédaction du Figaro Hors-série
Erratum :
Une coquille a malencontreusement déformé, dans notre numéro, une légende consacrée à M. Olivier Perdu, commissaire de l’exposition “Le Crépuscule des Pharaons”. Si Olivier Perdu est effectivement le seul spécialiste en France de l’art égyptien des périodes tardives, il n’est évidemment pas le seul spécialiste de ces périodes. S’il est par ailleurs attaché à la chaire de civilisation pharaonique au Collège de France, il n’est pas “professeur” au sein de cette institution. La chaire de civilisation pharaonique au Collège de France est occupée par M. Nicolas Grimal, de l’Institut. Nous prions nos aimables lecteurs ainsi que MM. Grimal et Perdu d’accepter nos excuses.
Le Figaro Hors-Série.
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