- Bande dessinée | broché | Casterman | mars 2012
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Féministe, dramaturge, révolutionnaire, elle finira sur l'échafaud. Aujourd'hui, Ségolène Royal lui rend hommage. Qui étais-tu, Olympe ?
La féminité serait-elle le vecteur par excellence des Lumières ? «En choisissant une femme pour mener le combat des idées et pour incarner l'espérance, vous avez, militants socialistes, non seulement aux yeux de tous les Français mais aussi au reste du monde, plus de deux siècles après Olympe de Gouges, accompli un véritable geste révolutionnaire.» Le 26 novembre 2006, dans son discours d'investiture à l'élection présidentielle, Ségolène Royal mettait ses pas socialistes dans ceux de l'héroïque auteur de la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, dédiée à la reine » - non sans poser une tacite analogie entre Bastille de pierre et « plafond de verre », cet obstacle invisible qui entrave l'avancement des femmes. «Plus de deux siècles après» que le couteau de la guillotine eut tranché la nuque de l'humaniste, la députée des Deux-Sèvres faisait valoir ce qu'elle appelle sa «différence visible».Lumineuse dissemblance qui la démêle de ses rivaux masculins du PS et de l'UMP autant qu'elle l'assimile à cette moitié incandescente de l'humanité à laquelle appartiennent Laurence Parisot, présidente du Medef, Marine Le Pen ou Françoise de Panafieu. On notera que Gouges et Royal, nées respectivement Marie et Marie-Ségolène, ont chacune escamoté en elles le prénom marial.
«Femme, réveille-toi; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l'univers; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n'est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition, de mensonge», écrit Olympe de Gouges dans sa « Déclaration des droits de la femme », une manière de « King Kong théorie » écrite dans le style de Rousseau, publiée en 1791, un an après « A Vindication of The Rights of Women » de l'Anglaise Mary Wollstonecraft. Dans sa Correspondance, Olympe ajoute moins lyriquement : «Je donne cent projets utiles : on les reçoit; mais je suis femme : on n'en tient pas compte.» Patriote tumultueuse, opiniâtre, utopiste («Montagne, Plaine, rolandistes, brissotins, robespierrots, maratistes, disparaissez, épithètes infâmes, et que les noms de législateurs vous remplacent pour le bonheur du peuple!»), toujours en proie à une fureur de communication qui la pousse à multiplier sur les murs de Paris les placards et les affiches, prompte à défier ses ennemis en duel («Je te jette le gant du civisme, l'oses-tu ramasser?») comme à condamner la violence («Le sang même des coupables, versé avec cruauté et profusion, souille éternellement les Révolutions»), elle s'offrira en vain comme avocate au procès de Louis XVI.
Olympe a le CV d'une héroïne de 20h50 pour France 2. Sa figure enthousiaste, négligée par Michelet, oubliée par Taine, excita la fantaisie phallocrate. En 1904, dans une étude médicale sur les femmes de la Révolution, le docteur Guillois la taxera même de «paraiona reformatoria» (folie réformatrice). Il avançait, entre autres, l'hypothèse qu'elle aurait eu des «règles très abondantes».
Née sous le nom de Gouze, d'un père boucher, en 1748, à Montauban, elle serait en vérité la fille naturelle du poète Jean-Jacques Lefranc, marquis de Pompignan, membre de l'Académie française et souffre-douleur de Voltaire. «On ne m'a rien appris, née dans un pays où on parle mal le français, je fais trophée de mon ignorance.» Mariée à 16 ans à Louis-Yves Aubry, officier de bouche puis traiteur à Montauban («Le mariage est le tombeau de la confiance et de l'amour»), mère d'un fils à 17 ans, veuve à 20 ans, l'Occitane déménageà Paris. Elle figure à la cinquième place des 142 candidates retenues par les auteurs de la liste de l'« Hommage auxplus jolies et vertueuses femmes de Paris ». Les misogynes l'attaquent de la façon la plus infâme. «Elle est si laide qu'elle en sue et pue», dit l'un, tandis que l'autre moque odieusement «sa poitrine remarquable par la plus grande concision».
Mais ne serait-ce pas mutiler encore une fois Olympe que de réduire cette Précieuse majuscule au rôle photogénique de la féministe persécutée ? Caisse patriotique, impôt de solidarité, création d'un système de protection maternelle et infantile, libération de la recherche en paternité, contrat annuel renouvelable en lieu et place du mariage, asiles pour les pauvres, Gouges a un programme. Satellite de la Société des Amis des Noirs, dramaturge prolixe plutôt qu'époustouflante, elle est aussi l'auteur de « l'Esclavage des Noirs », une pièce de théâtre et une machine de guerre contre lescolons de Saint-Domingue.
En 1793, le peuple prend l'habitude de déculotter les femmes politiques suspectes pour leur administrer une fessée en place publique. Certaines, comme Théroigne de Méricourt, en perdront à jamais la raison. Olympe échappe une fois au guet-apens des brutes à gourdin et autres coupe-jarrets. Mais en juillet elle est arrêtée pour avoir publié 500 affiches d'inspiration girondine, hostiles au centralisme jacobin. «Ce monstre, je la renie pour mère», déclare son fils, pour sauver sa propre tête devant le Comité de Salut public. La prisonnière parvient à tomber enceinte pour se soustraire à l'échafaud. Fouquier-Tinville n'en tient pas compte. Au moment de mourir, Olympe ment sur son âge. Elle avoue 39 ans. Elle en a 45.
«La femme a le droit de monter sur l'échafaud; elle doit avoir également celui de monter à la tribune.»
(Article X, « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne », par Olympe de Gouges.)
Fabrice Pliskin
Le Nouvel Observateur