Magazine Journal intime

Le carrefour de l'angoisse

Publié le 29 mars 2012 par Mirabelle

Mon cher Victor,

Tristounette aujourd'hui, ma Mirabelle... Oui, tristounette, c'est le moins que l'on puisse dire. D'ailleurs, si tu ne veux pas que je te ruine le moral, tu ferais bien de t'en aller maintenant. Allons allons, je suis là dans les mauvais moments comme dans les bons, tu le sais bien. Allez, installe-toi, et raconte tout à ton Totor.

Il y a des hauts et des bas. A l'heure actuelle, c'est plutôt un bas. Pour te dire, j'irais bien me taper la tête contre les murs tant l'attente est longue et insupportable jusqu'à mercredi. Je tourne et retourne toutes les hypothèses dans ma tête, multiplie des questions qui restent sans réponse, à m'en rendre folle. Quand ce ventricule gauche a-t-il commencé à se dilater ? J'ai repris tous les comptes-rendus d'échographie, le deuxième m'a révélé que tout était parfaitement normal début janvier. Alors pourquoi un tel emballement ? Qu'est-ce que cela signifie ? Le ventricule gauche de ma fille est-il pris dans un inéluctable engrenage de grossissement ?

Je parle à ma fille. Beaucoup. J'essaie de ne pas pleurer, d'être forte, mais c'est difficile, c'est une lutte contre moi-même. Je suis bloquée au milieu de nulle part, à un carrefour où je ne parviens à respirer que de l'angoisse, de l'angoisse, de l'angoisse.

Entrer dans la chambre de ma fille me fait mal, un petit pincement au coeur que j'essaie de chasser immédiatement. Je ne me sens pas tout à fait à ma place aux cours de préparation à l'accouchement. Je n'ose plus du tout, d'ailleurs, imaginer le moment de la rencontre, cet instant où je la tiendrai dans mes bras, où son père l'embrassera en larmes, je n'ose même plus le rêver car il me semble ne pas en avoir le droit pour le moment, tant que je ne suis fixée.

Je pensais en avoir fini avec l'attente insupportable, avec le doute. Eh non. Ma fille n'est pas un oeuf clair mais a trop de liquide dans un ventricule du cerveau, c'est comme ça, c'est tombé sur nous. Et même si je sais qu'il y a bien pire que nous, que dans mon malheur, j'ai la chance qu'elle n'ait pas d'autre anomalie connue (et croisons les doigts pour que cela dure !), même si je devrais m'estimer heureuse, déjà, d'attendre cet enfant, qu'elle se développe visiblement correctement à côté de cela, cela n'enlève rien au fait que je suis terrorisée, que je me sens seule et impuissante, je ne peux pas l'aider, je ne peux rien faire pour la protéger. Chéri, lui, refuse carrément l'idée que cette dilatation puisse augmenter, il refuse l'hypothèse même que quelque chose puisse mal se passer, prétextant que nous avons déjà "mangé notre pain noir". J'ai peur pour lui aussi, du chagrin que je ne pourrai lui éviter si cette échographie de contrôle se passait mal. 

Tout cela m'apprend, en tous cas, ou plutôt me conforte dans l'idée que la grossesse est loin d'être le champ de fleurs qu'on nous vante, à nous les femmes, les futures mères. Non, ce n'est pas rose, et les petits coeurs, s'il y en a effectivement, sont nuancés de gris, de peurs, d'angoisses, d'épreuves en tous genres à surmonter pour que tout se déroule bien. Et je ne parle même pas des désagréments classiques du type nausées, maux de dos, gonflements en tous genres, non, ça c'est facile, ce qu'il faut apprivoiser, surtout, c'est de ne pouvoir RIEN FAIRE pour aider son enfant à grandir dans de bonnes conditions dans notre ventre, c'est de devoir se contenter de le sentir bouger en priant le ciel pour que tout aille bien, même si l'on ne croit pas en Dieu. C'est de savoir qu'on n'est jamais vraiment sorti d'affaire, c'est réaliser qu'on était encore un peu naïve de penser, en se rendant à la dernière échographie la fleur au fusil, que le bébé est "presque fini", qu'on a fait "le plus dur". Et là, paf, on te dit de revenir dans quinze jours, et tu n'entends plus rien, il y a juste le brouillard, et cette voix qui te dit de "ne pas t'inquièter" mais qu'"il faut contrôler". Joli paradoxe. Alors mesdames, vous qui n'êtes pas encore maman et mourez d'envie de le devenir, préparez-vous à avoir peur pendant neuf mois et pour le reste de votre vie, on ne vous le dit pas assez, on ne vous le dit pas.

Un peu plus de cinq jours à rester bloquée à ce carrefour de l'angoisse, sans savoir quelle route prendre. L'attente est interminable, étouffante, et je giflerais bien tous ceux qui ne peuvent pas comprendre, qui me conseillent de "ne pas m'inquiéter", qui assurent que "tout va bien se passer" alors qu'ils n'en savent rien, qu'ils n'ont jamais connu une telle situation. Même si cela part d'une bonne intention. Encore cinq jours où je vais vivre chaque journée l'une après l'autre, en essayant de les affronter du mieux possible. Cinq jours et ce sera soit la délivrance, soit retour au carrefour de l'angoisse.


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