Magazine Humeur
Die Antwoord, vrais faux freaks Portrait d'un groupe hors-normes
Publié le 01 avril 2012 par Cheaplabel
source fluctuat.premiere.fr
On aimerait bien voir Die Antwoord, le trio
rap-rave sud-africain que nous ont offert les années 2000, comme une
bande de vrais freaks dégénérés venus du fond du bush. Ces trois-là ont
pourtant plus à dire que leurs morceaux faussement primaires ne le
laissent deviner. Leur culture, en effet, ne fait pas que racler le fond
du caniveau afrikaners, loin de là. Vrai phénomène mais aussi
passionnant projet de déstabilisation culturelle. Explication à
l'occasion de la parution de Ten$ion, leur deuxième album.
L'auteur
Maxence
Grugier
Qui sont vraiment Ninja, YoLandi et Hi-Tek ?
Entre la sortie l'an dernier de son album $O$ et celle de Ten$ion, on a pu se pencher sur le cas Die Antwoord, et on en sait désormais un peu plus sur les trois lascars de Cape Town. Issu du collectif hip hop MaxNormal.TV, Ninja alias Watkin Tudor Jones, ex-Max Normal et ex-The Constructus Corporation, est investi depuis de nombreuses années au sein de la scène rap de son pays. Il est également un performer artistique, un producteur et un satiriste reconnu en Afrique du Sud. Après l'aventure Max Normal, il crée le projet multimédia MaxNormal.TV, une émission arty et décalée dont il sera le présentateur. Il y rencontre Anica The Snuffling, alias Yolandi Visser, de son vrai nom Anri Du Toit, initialement choriste dans The Constructus Corporation et assistante sur MaxNormal.TV. Ensemble ils forment Die Antwoord en 2008 avec Justin de Nobrega (DJ Hi-Tek). Précédent Die Antwoord de six ans, The Constructus Corporation était avant tout un concept graphique tournant autour d'une bande-dessinée artistique réalisée par Ninja, à laquelle venait s'ajouter un CD de hip hop produit par l'intéressé. Profondément impliqué dans le street art, le graphisme et l'art en général, les fondateurs de Die Antwoord s'avèrent donc bel et bien être des esthètes, et non pas les "white trash afrikaners" (blancs sud-africains pauvres et généralement racistes), stupides et bas du front qu'ils prétendent être.
Die Antwoord, entre comédie et parodie
Par provocation et goût de la satire, Die Antwoord prône la culture "zef". Un mélange d'ignorance crasse, de bêtise, de violence et d'obscénité qui règne en maître dans les townships noirs, et surtout chez les blancs pauvres d'Afrique du Sud. Une culture à laquelle bien évidemment le groupe n'adhère pas, comme on le devine à la vision de ses clips dérangés. De l'univers gore-bizarre du cinéma bis, aux expériences raffinées de l'art contemporain, ses vidéos extrêmement connotées visuellement évoquent tout autant le néo-primitivisme du peintre et graffitiste new yorkais Jean-Michel Basquiat que les figures stylisées issues des arts de la rue, de Keith Haring (deux éléments que l'on retrouve dans "Enter The Ninja" et "I Fink U Freeky" avec leurs omniprésents graffitis au dynamisme survolté). Sur "Fok Julle Naaiers", c'est le surréalisme de Man Ray qui s'impose, avec l'omniprésence de figures dérangeantes et de pauses perturbantes en noir et blanc. Quant à David Lynch, réalisateur que l'on sait, mais aussi photographe et dessinateur, il est partout présent, imposant sa folie et sa passion pour les images troublantes dans tous les clips du trio.
La mise en scène d'une mythologie sud-africaine de comédie présente dans la vidéo de "Evil Boy" avec ses visions totémiques zoulous, ses grimaces et ses phallus dressés, mixée avec les clichés intemporels du rap (le gangsta boy, la booty girl) ainsi qu'une bonne dose d'anthropologie sociale (la mixité raciale des pauvres d'Afrique du Sud, unis par delà les frontières sociales du racisme et des classes), tout cela finit de nous assurer que ces trois-là cultivent des ambitions artistiques beaucoup plus importantes que ne le laissaient imaginer leurs performances initialement perçues comme éphémères. De fait, cela se vérifie rapidement puisque dès 2008, les trois Sud-Africains se lancent à l'assaut de la planète média. Enchaînant clips chocs, interviews et auto-promotion, Die Antwoord crée de toutes pièces un culte autour de son projet délirant, avec le succès que l'on sait, puisqu'ils sont aujourd'hui mondialement connus !
Aux sources de l'esthétique fourre-tout de Die Antwoord
Parfaits représentants de l'esthétique after-pop telle que décrite par l'essayiste Eloy Fernandez Porta dans son livre Homo Sampler, les membres de Die Antwoord unissent culture populaire et culture académique dans un grand fourre-tout post-moderne.
Parmi les références qui émaillent leurs vidéo clips, leurs discours et leurs prestations scéniques, on trouve bien sûr l'Eraserhead de David Lynch, dont ils sont de grands admirateurs, Brain Dead, la bobine culte de Peter Jackson, Chopper le film ultra violent d'Andrew Dominik ou encore le dessin animé trash South Park.
Côté musique, les Sud-Africains font le grand écart entre Eminem, Michael Nyman, Buraka Som Sistema, Autechre et Aphex Twin, clamant dans l'émission What's in My Bag, leur admiration inconditionnelle pour ces artistes que tout séparent. YoLandi confesse également sa passion pour les clichés érotico-rétros de Bunny Yeager, la photographe et modèle à l'origine de la découverte de Betty Page.
Détournant les codes vestimentaires et le style des beaufs sud-africains, particulièrement ceux des Afrikaners, le trio est pourtant souvent à la pointe de la mode, parodiant parfois celle-ci, mais imposant également certaines figures de style. La coiffure asymétrique de YoLandi est par exemple reprise par toutes les punkettes d'Europe (et c'est celle de Rooney Mara quand elle incarne le rôle de Lisbeth Salander dans le Millenium de Fincher). Les leggings dorés, les mini-shorts néo-pouf, la coupe au bol de Ninja, son fameux short Dark Side of The Moon, tout chez Die Antwoord rappelle ce mix de culture de la rue et d'avant-garde. Séduire les hipsters du monde entier et amener la culture beauf dans les galeries, tel semble être le crédo de ce groupe hors-norme. Et de fait, c'est ce qu'ils font quand ils sont accueillis le 22 février dernier à la FIFTY24SF Gallery de San Francsisco, afin d'y dévoiler les dessins de Ninja, ainsi qu'une installation sculpturale réalisée à partir de vinyles nommée "Evil Boy".
Le groupe peut également s'enorgueillir de ses liens avec le réalisateur expérimental Harmony Korine et le peintre issu du graffiti David Choe, sans oublier le photographe et artiste contemporain sud-africain Roger Ballen, l'homme mystère derrière Die Antwoord, véritable quatrième membre du groupe à qui l'on doit la réalisation de ses clips hallucinés.
Die Antwoord, porte-parole d'une culture sud-africaine
Profondément redevable de la culture sud-africaine et de ses caractéristiques, Die Antwoord est bel et bien un projet unique en son genre. Désormais mondialement connus, ses membres sont devenus les porte-paroles d'une culture (celle de l'Afrique du Sud, qui certainement n'en demandait pas tant). Usant de l'argot afrikaan qu'ils brandissent comme un symbole culturel, les membres du groupe se font un plaisir de passer pour les brutes ineptes qu'ils ne sont décidément pas, issues des quartiers durs de Cape Town, une ville qui bât en effet tous les records en matière de criminalité.
L'aspect "ploucs Afrikaans sortis du fond du bush" est également présent dans leur musique. Lourde, pas vraiment finaude, cette fameuse "rap-rave" sonne aussi parfois comme de la musique techno de balloche pour boîte de nuit de province. Qui apprécie vraiment la musique du groupe d'ailleurs ? Die Antwoord se veut plus un commentaire de l'état de la société afrikaan qu'un vrai produit musical. Ce que souligne d'ailleurs Ten$ion, son dernier album, parfaitement insipide musicalement mais dont tout le monde attend les vidéos avec autant d'impatience que s'il s'agissait d'une série HBO.
Quant à ses interventions, elles sont souvent mal comprises et lui valent parfois des déboires inattendus (on se souvient de la polémique soulevée par le clip "Fok Julle Naaiers", expression que l'on pourrait traduire par "Fuck you Fuckers", dans lequel est utilisé le terme "faggot" ("pédé"). Un malentendu, DJ Hi-Tek étant gay semble-t-il, qui vaudra tout de même au groupe d'être interdit d'ondes aux Etats-Unis. A la fois ironique et sentencieux, cela donnera un autre moment épique, une vidéo dans laquelle Ninja, solennel, explique les particularismes de la culture sud-africaine.
Die Antwoord, "la réponse" selon le discours officiel de son leader Ninja, ne répond clairement à rien. Il s'agit d'une performance qui pousse au contraire le public à se poser beaucoup de questions sur les olibrius qui en sont à l'origine, et sur la culture que la formation représente autant qu'elle dénonce.
Entre la sortie l'an dernier de son album $O$ et celle de Ten$ion, on a pu se pencher sur le cas Die Antwoord, et on en sait désormais un peu plus sur les trois lascars de Cape Town. Issu du collectif hip hop MaxNormal.TV, Ninja alias Watkin Tudor Jones, ex-Max Normal et ex-The Constructus Corporation, est investi depuis de nombreuses années au sein de la scène rap de son pays. Il est également un performer artistique, un producteur et un satiriste reconnu en Afrique du Sud. Après l'aventure Max Normal, il crée le projet multimédia MaxNormal.TV, une émission arty et décalée dont il sera le présentateur. Il y rencontre Anica The Snuffling, alias Yolandi Visser, de son vrai nom Anri Du Toit, initialement choriste dans The Constructus Corporation et assistante sur MaxNormal.TV. Ensemble ils forment Die Antwoord en 2008 avec Justin de Nobrega (DJ Hi-Tek). Précédent Die Antwoord de six ans, The Constructus Corporation était avant tout un concept graphique tournant autour d'une bande-dessinée artistique réalisée par Ninja, à laquelle venait s'ajouter un CD de hip hop produit par l'intéressé. Profondément impliqué dans le street art, le graphisme et l'art en général, les fondateurs de Die Antwoord s'avèrent donc bel et bien être des esthètes, et non pas les "white trash afrikaners" (blancs sud-africains pauvres et généralement racistes), stupides et bas du front qu'ils prétendent être.
Die Antwoord, entre comédie et parodie
Par provocation et goût de la satire, Die Antwoord prône la culture "zef". Un mélange d'ignorance crasse, de bêtise, de violence et d'obscénité qui règne en maître dans les townships noirs, et surtout chez les blancs pauvres d'Afrique du Sud. Une culture à laquelle bien évidemment le groupe n'adhère pas, comme on le devine à la vision de ses clips dérangés. De l'univers gore-bizarre du cinéma bis, aux expériences raffinées de l'art contemporain, ses vidéos extrêmement connotées visuellement évoquent tout autant le néo-primitivisme du peintre et graffitiste new yorkais Jean-Michel Basquiat que les figures stylisées issues des arts de la rue, de Keith Haring (deux éléments que l'on retrouve dans "Enter The Ninja" et "I Fink U Freeky" avec leurs omniprésents graffitis au dynamisme survolté). Sur "Fok Julle Naaiers", c'est le surréalisme de Man Ray qui s'impose, avec l'omniprésence de figures dérangeantes et de pauses perturbantes en noir et blanc. Quant à David Lynch, réalisateur que l'on sait, mais aussi photographe et dessinateur, il est partout présent, imposant sa folie et sa passion pour les images troublantes dans tous les clips du trio.
La mise en scène d'une mythologie sud-africaine de comédie présente dans la vidéo de "Evil Boy" avec ses visions totémiques zoulous, ses grimaces et ses phallus dressés, mixée avec les clichés intemporels du rap (le gangsta boy, la booty girl) ainsi qu'une bonne dose d'anthropologie sociale (la mixité raciale des pauvres d'Afrique du Sud, unis par delà les frontières sociales du racisme et des classes), tout cela finit de nous assurer que ces trois-là cultivent des ambitions artistiques beaucoup plus importantes que ne le laissaient imaginer leurs performances initialement perçues comme éphémères. De fait, cela se vérifie rapidement puisque dès 2008, les trois Sud-Africains se lancent à l'assaut de la planète média. Enchaînant clips chocs, interviews et auto-promotion, Die Antwoord crée de toutes pièces un culte autour de son projet délirant, avec le succès que l'on sait, puisqu'ils sont aujourd'hui mondialement connus !
Aux sources de l'esthétique fourre-tout de Die Antwoord
Parfaits représentants de l'esthétique after-pop telle que décrite par l'essayiste Eloy Fernandez Porta dans son livre Homo Sampler, les membres de Die Antwoord unissent culture populaire et culture académique dans un grand fourre-tout post-moderne.
Parmi les références qui émaillent leurs vidéo clips, leurs discours et leurs prestations scéniques, on trouve bien sûr l'Eraserhead de David Lynch, dont ils sont de grands admirateurs, Brain Dead, la bobine culte de Peter Jackson, Chopper le film ultra violent d'Andrew Dominik ou encore le dessin animé trash South Park.
Côté musique, les Sud-Africains font le grand écart entre Eminem, Michael Nyman, Buraka Som Sistema, Autechre et Aphex Twin, clamant dans l'émission What's in My Bag, leur admiration inconditionnelle pour ces artistes que tout séparent. YoLandi confesse également sa passion pour les clichés érotico-rétros de Bunny Yeager, la photographe et modèle à l'origine de la découverte de Betty Page.
Détournant les codes vestimentaires et le style des beaufs sud-africains, particulièrement ceux des Afrikaners, le trio est pourtant souvent à la pointe de la mode, parodiant parfois celle-ci, mais imposant également certaines figures de style. La coiffure asymétrique de YoLandi est par exemple reprise par toutes les punkettes d'Europe (et c'est celle de Rooney Mara quand elle incarne le rôle de Lisbeth Salander dans le Millenium de Fincher). Les leggings dorés, les mini-shorts néo-pouf, la coupe au bol de Ninja, son fameux short Dark Side of The Moon, tout chez Die Antwoord rappelle ce mix de culture de la rue et d'avant-garde. Séduire les hipsters du monde entier et amener la culture beauf dans les galeries, tel semble être le crédo de ce groupe hors-norme. Et de fait, c'est ce qu'ils font quand ils sont accueillis le 22 février dernier à la FIFTY24SF Gallery de San Francsisco, afin d'y dévoiler les dessins de Ninja, ainsi qu'une installation sculpturale réalisée à partir de vinyles nommée "Evil Boy".
Le groupe peut également s'enorgueillir de ses liens avec le réalisateur expérimental Harmony Korine et le peintre issu du graffiti David Choe, sans oublier le photographe et artiste contemporain sud-africain Roger Ballen, l'homme mystère derrière Die Antwoord, véritable quatrième membre du groupe à qui l'on doit la réalisation de ses clips hallucinés.
Die Antwoord, porte-parole d'une culture sud-africaine
Profondément redevable de la culture sud-africaine et de ses caractéristiques, Die Antwoord est bel et bien un projet unique en son genre. Désormais mondialement connus, ses membres sont devenus les porte-paroles d'une culture (celle de l'Afrique du Sud, qui certainement n'en demandait pas tant). Usant de l'argot afrikaan qu'ils brandissent comme un symbole culturel, les membres du groupe se font un plaisir de passer pour les brutes ineptes qu'ils ne sont décidément pas, issues des quartiers durs de Cape Town, une ville qui bât en effet tous les records en matière de criminalité.
L'aspect "ploucs Afrikaans sortis du fond du bush" est également présent dans leur musique. Lourde, pas vraiment finaude, cette fameuse "rap-rave" sonne aussi parfois comme de la musique techno de balloche pour boîte de nuit de province. Qui apprécie vraiment la musique du groupe d'ailleurs ? Die Antwoord se veut plus un commentaire de l'état de la société afrikaan qu'un vrai produit musical. Ce que souligne d'ailleurs Ten$ion, son dernier album, parfaitement insipide musicalement mais dont tout le monde attend les vidéos avec autant d'impatience que s'il s'agissait d'une série HBO.
Quant à ses interventions, elles sont souvent mal comprises et lui valent parfois des déboires inattendus (on se souvient de la polémique soulevée par le clip "Fok Julle Naaiers", expression que l'on pourrait traduire par "Fuck you Fuckers", dans lequel est utilisé le terme "faggot" ("pédé"). Un malentendu, DJ Hi-Tek étant gay semble-t-il, qui vaudra tout de même au groupe d'être interdit d'ondes aux Etats-Unis. A la fois ironique et sentencieux, cela donnera un autre moment épique, une vidéo dans laquelle Ninja, solennel, explique les particularismes de la culture sud-africaine.
Die Antwoord, "la réponse" selon le discours officiel de son leader Ninja, ne répond clairement à rien. Il s'agit d'une performance qui pousse au contraire le public à se poser beaucoup de questions sur les olibrius qui en sont à l'origine, et sur la culture que la formation représente autant qu'elle dénonce.