Mes bavettes d'aloyau à l’échalote, ce dimanche 1er avril reprenait aux Etats-Unis la diffusion de Game of Thrones, la série déjà culte de HBO (la chaîne qui ne produit de toute façon que des séries cultes) (ces gens sont d'un prévisible). La saison 2 démarre à peu près là où se terminait la saison 1 : le pouvoir vient de changer de main, le royaume vacille et l'hiver annoncé arrive. D'après ce que j'ai lu ici ou là sur le ouèbe mondial, c'est déjà un succès, tout le monde s'accordant à dire que le redémarrage est réussi. Moi-même, j'ai vu ce premier épisode, et j'avoue ne pas avoir été déçu, malgré les quelques mois d'attente qui auraient pu me mettre dans un état d'espérance déraisonnable (contrairement aux early adopters, j'ai découvert la série l'été dernier, alors que la saison 1 avait déjà été entièrement diffusée) (ce qui, nonobstant, m'a permis de m'enfiler les 10 épisodes d'affilée, un avantage particulièrement agréable si tu veux mon avis). Pourtant, cette série, à la base, n'a rien, ou alors pas grand'chose, pour m'attirer. Mais après m'y être péniblement lancé, c'était plus fort que moi : ça marche. Mais pourquoi donc, mes biscottes sans sel (en voila une question qu'elle est bonne) ?
1/ Bon, bah déjà, c'est une saga familiale. J'adore les sagas familiales, avec plein de gens qui ont des motivations contradictoires et des sentiments ambivalents, et qui s'en mettent plein la tronche en dépit de leurs bonnes intentions plus ou moins enfouies. Mensonges, confessions, trahisons, règlements de comptes, rivalités fraternelles, vengeances familiales... on peut tenir des années avec des éléments dramatiques pareils.
2/ C'est de qualité équivalente à bien des sagas de cinéma, avec des décors plutôt réussis, des effets spéciaux d'un niveau honorable, de belles mises en scène et lumières qui permettent de comprendre en un instant où on est (l'intrigue se déroulant simultanément dans plusieurs endroits très différents), et une vraie mythologie / enchevêtrement de personnages et de dynasties qui s'étripent, pour que les surprises et mauvais coups puissent surgir de n'importe où.
3/ C'est une série qui flatte notre fibre humaniste sans pour autant être manichéenne : on a bien compris qu'il y avait, dans cette épopée moyenâgeuse, des clans un peu moins clean que d'autres, qui pratiquent sans ciller la torture, la peine de mort, l'abus de pouvoir ou l'inceste, mais en en vrai, chaque personnage a ses motivations, ses zones d'ombre, ses fêlures et ses problèmes qui permettent de le comprendre, au moins un peu, si ce n'est de l'absoudre. Personne n'est tout blanc ou tout noir, y compris cette grosse garce de Cersei Lannister (Lena Headey, géniale) : il y a une vraie profondeur psychologique des personnages, qu'un film n'aurait probablement pas permis faute de temps, mais qui nous laisse quand même le loisir d'avoir des personnages "préférés" (en gros, les moins pourris : les Stark et la branche la moins pourrie des Baratheon, avec une fascination pour la vengeresse Daenerys Targaryen et l'ambivalent Tyrion Lannister).
4/ C'est complexe, riche, et simple à la fois. Au début, je ne pigeais rien, j'ai mis trois épisodes à repérer les personnages et les clans (grâce à leurs couleurs de cheveux, essentiellement), mais après, tout est devenu clair et franchement passionnant, avec certes des effets narratifs un peu éculés (cliffhangers de bâtard à la fin des épisodes, retournements inattendus de situation) mais une vraie patte dramatique à la Shakespeare (comparaison à prendre avec des pincettes, hein) qui permet de s'identifier aux tourments des personnages et de raisonner face à l'intrigue comme si on jouait une partie de Risk chez les mages médiévaux.
5/ C'est une série où il y a tellement de personnages qu'on n'est jamais à l'abri d'une surprise : si les romans guident la voie, les scénaristes s'offrent quand même des libertés par rapport au destin et à l'introduction de certains personnages. De même, personne n'est absolument indispensable à la poursuite de l'intrigue générale : des têtes peuvent tomber n'importe quand.
6/ C'est drôle, voire irrévérencieux dans la manière de traiter certains thèmes a priori difficiles : le nanisme de Tyrion, le statut d'enfant illégitime de Jon Snow, le sexisme que doit d'ores et déjà affronter la jeune Arya, la gueule enfarinée mais intelligente de Sansa, les ambitions de Littlefinger... Tout cela est traité avec un certain réalisme, mais non dénué de piques et autres petites phrases bien senties, qui aident à dédramatiser bien sûr, mais donnent surtout à la série une pointe de légèreté qui l'empêche probablement de devenir lourde. Et puis on est en pleine campagne électorale, les gars, pas la peine de faire genre vous ne kiffez pas les petites phrases et autres allusions bitch-esques, hein.
7/ L'écriture et les enjeux, éminemment politiques, de la série, font passer au second plan ce qui me la rendait rebutante au début : l'heroic fantasy. C'est bien simple, l'univers fantasy, ça ne m'a jamais attiré : je trouve ça nerd et plouc, d'ailleurs je n'ai jamais lu Le Seigneur des Anneaux de Tolkien ni vu les films adaptés au cinoche par le courageux Peter Jackson. Les dragons et autres objets magiques supposés incarner le pouvoir et tous les problèmes du monde, je trouve ça bête, tout simplement. Sûrement mon anti-religiosité primaire qui parle pour moi, disons. Mais Game of Thrones a l'intelligence narrative de ne pas trop mettre les éléments fantastiques en avant (dragons et trucs bizarres qui tuent les gens dans la forêt du nord) pour se concentrer sur les complots et coups de poignards dans le dos des familles rivales (ce qui est quand même vachement plus
8/ Les acteurs sont par ailleurs excellents et très bien castés : les enfants sont notamment tous très bien, et les adultes se fondent parfaitement dans les costumes et décors qu'on leur a mis sur le dos. Par exemple, Cersei Lannister, qui aurait pu se limiter à une reine de glace toute bête dans son rôle de régente froide et calculatrice, réussit à dévoiler de vrais sentiments contradictoires, des doutes, des peurs : sa position, clairement menacée en ce début de saison 2, est jouée de manière vachement crédible par Lena Headey, qui d'un micro-sourcillement parvient à laisser transparaître la détresse de ce personnage qui, bien que politiquement très doué et apparemment né pour tirer son épingle du jeu dans le panier de crabe où il évolue, désespère de maintenir sa position dans le climat de rébellion que ses actions ont déclenché.
9/ On a l'impression qu'il se passe peu de choses dans chaque épisode, alors qu'en fait l'intrigue évolue super vite. Justement parce que les personnages sont très approfondis, parlent beaucoup, montrent facilement au spectateur ce qu'ils veulent : ils sont globalement très bavards, et pendant qu'on en apprend ainsi un peu plus sur chacun d'eux à chaque épisode (attachement et compréhension des personnages : gros enjeux pour maintenir le téléspectateur devant son écran), l'intrigue avance d'elle-même.
10/ Il n'y a pas de tabous, que ce soient pour des sujets qui nous semblent improbables dans le contexte de cette histoire clairement moyenâgeuse (voire antique) (enfin, en tout cas, sur une planète Terre telle qu'on ne la connaît plus aujourd'hui), comme l'homosexualité ou l'émancipation féminine, ou au contraire pour des sujets qui heurtent notre sensibilité moderne un peu aseptisée (inceste, polygamie, torture, meurtres d'enfants)...
Bref, Game of Thrones, c'est vachement bien, et comme d'habitude, on regrette que les canaux de diffusion légaux ne soient pas 1/ plus réactifs, 2/ plus accessibles et 3/ moins chers, pour permettre à chacun de consommer cette série aussi facilement que Plus Belle la Vie ou NCIS (mais ne rêvons pas : comme pour bien des séries un peu adultes et sérieuses, il n'y aura que Canal Plus pour lui offrir une diffusion correcte, puis France 2 ou France 4 pour la proposer à 1h30 du matin le mardi soir)...