Revenir aux situations

Publié le 05 avril 2012 par Villefluctuante
Chacun de nous porte une partie de l'héritage de l'International Situationniste. Je me souviens avoir vécu la découverte de la psychogéographie et des dérives urbaines comme une libération. Récemment, à la lecture de "London Orbital" par Yan Sinclair, j'ai ressenti la même sensation d'espace et de redécouverte de la géographie par la marche. Il m'aura fallu du temps pour critiquer la passion de Debord et de ses amis pour la ville historique et juger leur mépris pour la ville moderne ; Il est vrai qu'elle exprimait la "topologie des résistances" face à la domination de l'idéologie productiviste, que Yan Sinclair a poursuivit en exposant le pourtour dénaturé du périphérique londonien. La deuxième rencontre fut celle des dessins oniriques de Constant Nieuwenhuys montrant le labyrinthe de New Babylone suspendu dans les airs par des poteaux de titane. Ville-réseau avant l'heure constituée de situations unitaires construites. Voir l'immense résille se superposée à la ville de Paris fut aussi une libération, une émotion positive bien plus puissante que le plan Voisin par la métaphore développée. Ensuite j'ai suivi le même parcours que beaucoup de ma génération: Nous avons été séduits par la critique du fonctionnalisme de Team Ten puis par les groupes italiens Supersurface et Archizoom. Je serais resté un bon moment avec la recherche d'une "clarté labyrinthique" et des invariants d'Aldo Van Eyck. Partir du structuralisme en architecture et me jeter dans la lecture de Claude Lévi-Strauss pour m'apercevoir de l'absence de lien sérieux entre les deux pensées. Alors que me reste-t-il de cet héritage hormis une imagerie quelque peu surannée ? Dans Potlatch N°1, l'article "Le grand jeu à venir" développe l'idée que les solutions ludiques dans l'organisation de la vie sociale permettront à l'urbanisme de s'élever au niveau de la création. "Notre vision de la ville n'est pas limitée à la construction et à ses fonctions mais aussi à tout usage qu'on pourra en faire, ou même en imaginer." et un peu plus loin, "nous pensons (...) que le caractère variable ou meuble des éléments architecturaux est la condition d'une relation souple avec les évènements qui y sont vécus." Je retiens de ces enseignements la question centrale de l'urbanisme temporel, ou chronotopique. La variabilité de l'architecture me revient comme un appel à l'impermanence, l'idée que rien ne dure, et qu'il s'agit précisément de la condition de l'urbanisme contemporain. Aujourd'hui, l'espace est principalement analysé sous sa forme anthropologisée, habitée, qui se transforme à partir des pratiques et des usages. Les politiques temporelles se sont développées autour des questions d'harmonisation des temps de vie, des temps de la nuit et de ceux de l'enfance. Elles se concrétisent au mieux par des plans territoriaux des horaires associés à une mobilité durable et à la revitalisation sociale des espaces publics avec pour critère central l'accessibilité. Peut-on y voir une filiation avec l'Interational Situationniste? Rien est moins sur tant les temps ont changés. La révolution numérique et la mondialisation sont passées par là. Mais l'éclairage qu'apporte la relecture des textes de l'IS me donne envie d'aller plus loin dans la constitution de situations construites à l'échelle d'un grand territoire. Il nous porte à revoir nos pratiques pour un urbanisme non plus fonctionnaliste, pas encore unitaire, mais simplement ouvert à l'altérité de son devenir. Enfin, au-delà de la société du spectacle, le triomphe de la société de consommation et le stress des crises économiques successives nous imposent de revoir "le grand jeu à venir", cette société ludique, comme profondément transgressif tant l'idée de la production nous hante. La ville de demain sera-t-elle ludique, sera-t-elle joyeuse?