Magazine Journal intime
Un de Baumugnes
Publié le 07 avril 2012 par AraucariaQuatrième de couverture :
A la "Buvette du Piémont", un vieux journalier est attiré par un grand gars qui paraît affreusement triste et provoque ses confidences : Albin venait de la montagne, de Baumugnes. Trois ans auparavant, il était tombé amoureux fou d'une fille qui s'est laissé séduire par le Louis, "un type de Marseille, un jeune tout creux comme un mauvais radis". Le Louis ne lui avait pas caché que son intention était de mettre la fille sur le trottoir.Depuis, Albin était inconsolable, traînant de ferme en ferme, sans se résoudre à remonter à Baumugnes.Alors le vieux, qui n'est que bonté, décide d'aider Albin...
Un extrait :
(De fait), Venu six heures et la nuit on entre à la cuisine et maman Philomène pose quatre assiettes de soupe sur la table. Il n'y avait dans cette cuisine, au moment du repas, que le bruit des gestes, jamais le bruit du parler.Ce soir-là, donc, il y a d'abord les quatre bruits des assiettes posées sur la table, puis les trois bruits de Clarius, Saturnin et moi, qui approchons nos chaises; puis, pendant un moment, les tapotements de la haute pendule et, enfin, le bruit de la maîtresse qui tire sa chaise aussi.Voilà.Après, on entend les cuillers tinter sur la faïence et les "hopf" de Saturnin qui pompe la soupe à travers ses moustaches. Il y a aussi, quelque part par là, le petit chat qui joueavec un bout de papier. Il y a l'âtre qui geint sous sa charge de braise et une mouche qui bourdonne du côté de la batterie de cuisine; il y a le vieux pétrin qui craque d'un coup sec et alors le petit chat reste une patte en l'air et ne pousse plus son papier.On a fini la soupe.Pas un mot.Maman Philomène recule sa chaise et se dresse. Les pantoufles de maman Philomène s'entendent à peine. Le guichet du placard claque, on apporte le lard, le fromage et le pain.Bruit des assiettes.Le silence.Le couteau de Clarius cogne contre l'assiette chaque fois qu'il coupe un morceau de fromage. Clarius n'est pas adroit de la main gauche. Depuis trois jours Saturnin ne rit plus.Le silence...On entend la pendule et le chat. Le chat s'amuse maintenant avec une bobine de fil. Je coupe un morceau de fromage. Je vais doucement; pourtant, la pointe du couteau tinte sur le fond de l'assiette.Pas un mot!Maman Philomène soupire. Clarius la regarde. Je sais qu'il la regarde; je n'ai pas levé la tête. Je sais qu'il la regarde.Le silence.Un sarment humide siffle dans le feu. Voilà!Voilà les repas à la Douloire! Voilà ce que c'était tous les soirs! Jamais comme ce soir-là je n'avais senti le besoin de parler, le besoin d'écouter parler.On a fini; je tire ma blague. Je roule une cigarette. Je vais la fumer dehors. Là, dans la poche de mon pantalon, le tournevis est raide et froid contre ma cuisse.Je dis : "Bonsoir, la compagnie."Pour dire ça seulement il a fallu que je racle ma gorge; ça s'embourbe là-dedans à n'y rien faire. Ni Clarius, ni Saturnin, ni maman Philomène qui, là-bas place les assiettes sous l'évier - elle n'a peut-être pas entendu - ne répondent.Je redis :- Bonsoir.Rien.Je sors.(...)
Jean Giono - Un de Baumugnes - Le Livre de Poche n° 235 -
Cette lecture est mon premier contact avec un roman de Jean Giono... Je ne sais pourquoi je redoutais un peu cet auteur, et c'est la raison pour laquelle j'ai tardé à le découvrir. Je retiens de cette lecture un style particulier, ou le narrateur m'aura au début un peu déconcertée à cause de son langage rattaché à la terre, au monde agricole. Je relirai avec plaisir d'autres livres de Jean Giono, cette littérature régionaliste au parfum délicieusement désuet ne manquant pas de charme.