Presque insensible à la crise, le patrimoine des ménages français, dopé par la flambée de l'immobilier, a fortement progressé en 2010, un motif de plus selon certains économistes proches de la gauche pour contester la récente baisse de l'impôt sur la fortune.
Selon une étude publiée vendredi par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), le patrimoine des ménages, qui représente près de 80% du patrimoine économique national, a bondi de 9,1% l'an dernier après un léger trou d'air de deux ans.
A 10.203 milliards d'euros fin 2010, il dépasse son niveau de 2007, avant la crise économique.
C'est essentiellement la flambée du prix de l'immobilier qui explique cette embellie. Ainsi, "le patrimoine non financier des ménages, composé essentiellement d'actifs immobiliers, se redresse sensiblement", de 10,5% après un recul de 2,5% en 2009, explique l'institut. A la fin 2010, il était de 7.463 milliards d'euros.
La croissance du patrimoine financier des ménages, elle, "fléchit mais demeure soutenue", avec une hausse de 5,5% après un bond de 10,1% en 2009. Il atteint 2.740 milliards fin 2010, avec l'assurance-vie qui reste le placement préféré des Français.
"Le bond du patrimoine est un peu fictif, car il est dû au logement qui a mieux tenu en France qu'ailleurs", souligne Christian Saint-Etienne, professeur d'économie à Paris-Dauphine. Il relève aussi qu'il s'agit de chiffres de 2010, lorsque la Bourse de Paris avait repris des couleurs après la crise financière, qui ne prennent donc pas en compte "le choc de cet été".
- "bel immobilier, belles terres" -
"Mais globalement, cela confirme que la France reste un pays riche, avec un bel immobilier et de belles terres", dit-il.
"Au-delà de la crise, on vit dans une période historique de très grande prospérité patrimoniale", renchérit Thomas Piketty, de l'Ecole d'économie de Paris. Ce spécialiste des hauts revenus, proche du Parti socialiste, estime même qu'"il faut remonter un siècle en arrière, à la Belle époque, pour trouver un tel rapport entre les revenus et le patrimoine".
Selon les calculs de l'Insee, le patrimoine des ménages correspondait en
2010 à huit années de leur revenu disponible net.
Pour Thomas Piketty, cette explosion ne peut s'expliquer seulement par la hausse du prix de la pierre. "Encore faut-il qu'il y ait des gens qui ont les moyens de soutenir les cours de l'immobilier! Les détenteurs de patrimoine se portent bien", insiste-t-il.
Du coup, ce pourfendeur de la baisse de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) y voit une raison de plus de la critiquer. "Il ne faut pas massacrer les patrimoines, mais ce n'est pas non plus le moment d'alléger les impôts sur la fortune", tonne Thomas Piketty.
L'économiste fait valoir que l'ISF rapportait, avant la réforme menée cette année par le gouvernement et dénoncée par la gauche, quelque 4 milliards d'euros par an, sur un patrimoine des ménages de plus de 10.000 milliards.
"C'était déjà tout petit, et le gouvernement a quand même décidé de le diviser par deux alors qu'on traverse une crise des finances publiques et qu'il se retrouve à augmenter la TVA qui frappe tout le monde", proteste-t-il.
Christian Saint-Etienne relativise toutefois la baisse de l'ISF. "Tous les autres impôts sur le capital et sur les plus-values ont été fortement alourdis", dit-il.
Par Francesco FONTEMAGGI