
Un dimanche peut ressembler à çà.
Faire peu. Attendre beaucoup.
Chucha n’a pourtant qu’une parole.
Sábado por la noche. Como a las siete.
Ce qu’il veut dire: il ne jettera pas un coup d’oeil au vélo avant dimanche midi. Et il ne le touchera pas avant l’après-midi. Alors, en arrivant à midi et demi, forcément, c’est un bide. Même après vingt minutes en duo sur un vieux VTT qui n’est absolument pas prévu pour çà. Le cul sur le cadre, le cul sur le guidon. D’expérience, chaque méthode a ses avantages et ses inconvénients. La douleur qui se manifeste au niveau du popotin du passager vient souvent mettre un terme à l’expérience.
Prévoir coussin pour duo confortable.
Chucha. Bide.
Pas bien grave.
Détour par un centre commercial. Direction une grosse papeterie. Dégoter un carnet de croquis, un crayon à papier et quelques feutres fins. Ne rien prendre au hasard. Contrôler chaque prix. Le budget est très serré. Chaque bolivar en trop provoque un soupir.
Mais l’envie de crobarder est trop forte pour ne pas s’équiper.
Retour chez Chucha, le bedonnant qui n’a qu’une parole. Le réparateur de vélos au nord du Libertador. Et pour l’instant, la vieille bicyclette de U-Lee n’a pas bougé.
Mi ingeniero no llegó todavía.
C’est le nom qu’il donne au vieux mécano qui bosse avec lui. Ingeniero. Un vieux quinqua grisonnant qui carbure à la roteuse quand il bosse.
Salle d’attente. Par terre, le dos contre un rideau de fer, à quelques mètres des dizaines de vélos entassés devant l’échoppe de Chucha. U-Lee déballe son sac plastique, récupère son matos et attaque. Crayon à papier, carnet.
Des grandes courbes. Amples. Qui sont des jambes. Celles, trop grandes, d’un trèèès grand bonhomme. Qui pince, non, qui tient quelque chose. Un fil qui retient un ballon de baudruche.
Il ne sourit pas. N’est pas triste non plus. Il est là. C’est déjà énorme, semble-t-il.
Aux pieds du bonhomme, un être apparaît. Lentement. Une touuute petite choupette. En jupette. Souriante. Qui tend les bras. Haut. Pas vers le ciel. Vers le ballon retenu par le trèèès grand bonhomme.
Ça sent le cadeau.
Quelques contours au feutre plus tard, la vieille monture de U-Lee est prête. Ingeniero s’est éclatée trois canettes dont une a fini par terre, Chucha a râlé quatre fois, quelques gueules connues sont passées par là, bavarder une minute. Et l’engin est opérationnel.
Paiement, merci, plaisanterie, poignée de main.
U-Lee remballe tout, grimpe sur son vélo, sourit et décolle. Pleine balle. Mais alors vraiment pleine balle. Du genre: la gueule dans le guidon de son vieux vélo de ville. Du genre: à forcer sur ses mollets comme une victime de l’E.P.O. Avenida del Libertador: à fond. Descente jusqu’à Chacaito, au pied du Country Club: à fond. Virage gauche à Chacaito, pour poursuivre jusqu’à Chacao: le genou par terre, presque. Donc à fond. Sur le chemin vers Chacao, elle se redresse, tire la langue, ralentit, rit, s’étouffe, tousse, rit mais continue à pédaler. À la cool, cette fois. Et en souriant.
Trois semaines sans vélo. Cause problème technique. Et un compte en banque qui a une gueule de courant d’air entre deux portes. Tout le monde sait que c’est là mais personne ne voit rien. Parce qu’il n’y a rien à voir.
Puis la paie, minable, tombe enfin. Alors carnet, crayon, feutres. Et vélo.
Et sourire.