Couscous Miraculé.

Publié le 13 mars 2008 par Mélina Loupia
Quand les beaux jours font du lard de l'autre côté de la planète et sont pas pressés de migrer vers chez nous, on tente d'amener un peu de soleil et d'ambiance chaleureuse par tous les moyens de nos bords. C'est dans cet esprit que je suis partie à la chasse à la nourriture morte hier après-midi. Déjà décalée du matin, la sortie promettait d'être prise à reculons. "Mais allez, ça te fait ta petite sortie bimensuelle, rechigne pas va, une fois dans les rayons, derrière ton  Caddie®, tu seras la plus heureuse des femmes actives, puis tu verras les anciennes collègues et tu vas me rentrer sans le sou, à pas d'heure, remontée comme une pendule parce que j'aurais rien foutu de l'aprèm et tout le monde attendra que tu passes tes nerfs en vidant le lave-vaisselle, allez file." Et j'ai filé, avec Arnaud et ses baskets trouées. Avec Troicencette et son coffre  dégagé. Avec ma carte bancaire lestée. "Maman, je dis bonjour à tout le monde que je croise et on me répond pas, je comprends pas. Mais tant pis, moi, j'ai dit bonjour, je suis pas sourd de politesse moi. Bonjour madame, je vous dirai au revoir parce que vous m'avez dit bonjour." En vingt minutes, essayage et payage compris, Arnaud n'attend pas son reste pour jeter dans le coffre ses grolles décédées et chausser délicatement les nouvelles nées. Il me dit qu'il va voler tellement elles lui vont bien et décide de rester bien accroché à mon blouson quand on sera dans le grand magasin des courses. C'est exactement ce qu'il a fait, ralentissant mon évolution en crabe dans les rayons secs, frais, ultra-frais et électroménagers. J'ai craqué pour un fer à lisser chaudement recommandé par Benjamine et son expérience toute neuve d'apprentie coiffeuse, deux maryses en plastique souple, un chinois et un cul de poule. Le reste, j'aurais bien aimé ne prendre que les premiers prix, malheureusement, mon pantalon trop grand sans ceinture m'empêchait de me baisser en toute décontraction pour les atteindre. J'ai donc pleuré quelques larmes de mon corps en me délestant de plus de deux cents Euros pour à peu près neuf jours de stock alimentaire. D'autant plus qu'en ces temps durs où la solidarité prime dans la France d'en bas du Sud, ma maladresse a bien failli me coûter plus cher que ça lorsque je me suis aperçue que j'accusais Arnaud d'avoir mal fermé sa fenêtre à tort puisque c'est le coffre que j'avais mal verrouillé et que j'avais parcouru vingt kilomètres les courses à l'air libre. "Maman, tu vérifieras sur la note qu'on a rien perdu sur la route et si on a pas tué les voitures de derrière." A l'arrivée, j'ai trouvé plein d'enfants dans ma maison, Copilote en parfait moniteur de centre non aéré, entouré de cette marmaille en quête de nouvelles terres électroniques, après que la bataille du goûter a fait rage sur la table de la salle à manger et que toutes les chaussures des occupants du foyer ont jonché l'entrée dans laquelle j'ai failli m'étaler de tout mon long avec bien-sûr le pack de trente œufs. "On mange quoi? -Ce soir, visiblement, c'est mal engagé pour bouffer quoi que ce soit avant minuit, je vais tenter un couscous, mais je vous garantis pas la danse du ventre ni le youyou à la fin." Je m'embarque donc dans un résumé rapide de recette. Carottes épluchées plus ou moins professionnellement, pois chiches renversés à même la boite, courgettes en filet, agneau sous cellophane moyennement doré, sauce tomate en brique, sel, poivre et semoule juste réhydratée abandonnée dans la sauteuse au moment où le pain suppliait que je le sortis du four tant la séance d'U.V avait été prolongée. Les trois ados et leurs deux cadets ont pris un bain d'efficacité relative pendant que Copilote mettait la table à la volée, alors que son personnage était probablement en train de se faire donner une pâtée par des elfes vindicatifs. C'est à l'approche des premières fourchettes dans les assiettes que j'ai réalisé que j'avais probablement effectué pour la première fois de ma vie un repas sans me rappeler l'avoir fait. Entre l'arrivée des courses et le moment présent, c'était le noir absolu ou le blanc total, le néant de la mémoire. "Tain maman, ton couscous, il déchire. -Même à la cantine, c'est pas aussi bon. -J'ai même envie de manger les courgettes. -Et moi, j'ai même pas peur de péter avec les pois chiches. -Tu savais que les carottes c'était bon pour la vue? -Et aussi pour la bonne humeur, regardez tous le visage radieux de votre pauvre mère qui a survécu à un après-midi à la ville dans les grands magasins."