Allongée sur son lit d’hôpital, ma maman dit : “Fatiguée.”
Presque une heure. Presque une heure que nous nous parlons. Elle lance un mot. Parfois à l’envers. Alors je le rattrape. J’essaie de le remettre à l’endroit. Elle approuve de la tête. Elle lance un autre mot. Un bout de phrase en suspension. Je ne suis pas sûr de comprendre. Alors, elle recommence. Mot après mot, elle tricote une phrase et je reprends le tricot lorsqu’une maille a filé.
Nous parlons.
J’apprends qu’elle a mangé. Du pain. Des spaghettis. Que c’était bon. Très bon. Après des jours de purées et de soupes. Elle a mangé une glace à la fraise et à la vanille. Ça aussi, c’était très bon.
J’apprends que la dernière fois, elle avait passé une mauvaise nuit. Fait de mauvais rêves. Et qu’elle était contente que je sois arrivé. Elle était contente d’avoir pu m’expliquer. Un mauvais rêve. Elle ferme les yeux. Elle dit : “J’ai vu le diable.”
- Le diable, maman ?
- Oui. Le diable.
Elle referme les yeux et son front se plisse. Elle regarde l’intérieur de sa tête. Les images qui se forment devant ses yeux fermés. Sa main se referme, serre la mienne de toutes ses forces. J’attends, ma main dans la sienne. J’attends qu’elle revienne, sa main serrée dans la mienne. Elle ouvre les yeux sans me voir. Elle est en plongée, à dix-mille mètres au-dessous du niveau de la mer.
J’attends.
J’attends qu’elle revienne. Qu’elle remonte à la surface. Petit à petit, son visage se détend. Dans ma main, la pression se relâche. Son regard s’anime. Ses yeux retrouvent le goût de la lumière.
Au bout de son poignet, sa main droite décrit un arc de cercle et vient se poser bien à plat sur son cœur. Elle refait le geste. Encore. Encore.
Sa main droite qui se soulève et vient se reposer.
Bien à plat sur son cœur.