Image du film "Les Vikings" de Richard Fleischer ( Bryna productions, USA 1958).
L'une des surprises des élections européennes est venue de Scandinavie. Avec 7,1% des suffrages, le Parti pirate fait son entrée au Parlement. Son objectif : légaliser le partage des fichiers sur Internet, tout en se positionnant comme le défenseur de tous les droits des citoyens.
En Suède, la question du partage de fichiers était à l'ordre du jour depuis 2005, et sur le Web les voix se sont élevées toujours plus nombreuses pour réclamer un parti capable de la porter sur la scène politique. Pour Rick Falkvinge [président et fondateur du Parti pirate], il était évident que le partage de fichiers devait être autorisé – une activité à laquelle lui-même s'adonnait depuis plus de vingt ans. Par ailleurs, en tant qu'entrepreneur, il voyait dans la politisation de la question une occasion historique de placer la Suède à l'avant-garde. Mais les hommes politiques ne le comprenaient pas. Il allait donc les obliger à écouter.
"On ne peut rien faire comprendre aux politiques si on ne les touche pas personnellement. Il faut viser directement la base de leur pouvoir et donc menacer leur emploi". Le soir du 1er janvier 2006, il bricole à la hâte le site Internet du parti, le cite une fois sur un chat et se rend le lendemain à son travail de chef de service dans un institut de recherche. Le Parti pirate était né.
"Le fait que ce soit moi qui ai lancé le Parti pirate relève du pur hasard. Le moment était venu. Si cela n'avait pas été moi, quelqu'un d'autre l'aurait fait". Il a toujours du mal à comprendre ce qui s'est passé ensuite. Dès le premier jour, la création du parti fait sensation dans le pays. Le deuxième jour, la nouvelle est relayée par les médias européens. Le troisième, Rick Falkvinge se découvre en photo dans un journal pakistanais. Entre-temps, trois millions d'internautes du monde entier se sont rendus sur le site. Le programme du parti a bien changé depuis que Rick Falkvinge a gribouillé la première version sur une serviette en papier chez McDonald. D'un côté, le processus s'est déroulé en toute transparence sur Internet, et tout le monde pouvait participer. De l'autre, le parti souffrait d'un manque de structures et certains membres ont accusé Rick Falkvinge d'autocratisme.
Le nouveau programme ne réclame plus la suppression des droits d'auteur, mais propose à la place un compromis : la durée de protection des œuvres artistiques réduite à 5 ans et le libre partage des fichiers non commerciaux. Le plus important à leurs yeux demeure la critique de la société "policière". Il est préférable d'avoir quelques contrevenants en liberté que de piétiner la vie privée des gens, estime Rick Falkvinge. Les pirates entendent jouer un rôle de parti charnière au Parlement européen et négocier avec les groupes verts ou libéraux s'ils sont élus. Le groupe qui satisfera au mieux leurs exigences obtiendra leurs voix pour tous les autres sujets sur lesquels le Parti pirate n'a pas pris position.
À droite, on accuse le Parti pirate d'être de gauche. À gauche, on leur reproche d'être de droite. Rick Falkvinge ne fait pas mystère de ses antécédents chez les jeunes Modérés [Parti du rassemblement modéré, centre droit, formation du Premier ministre Fredrick Reinfeldt] même s'il affirme qu'il y était davantage pour faire la fête que pour la politique. "Les Modérés ne sont pas assez capitalistes à mon goût. Ce sont des sociaux-libéraux un peu boîteux", lance Rick Falkvinge. "Je me définis comme ultracapitaliste et c'est comme ça que je suis arrivé à m'intéresser à ces questions". Mais le Parti pirate n'est en aucune façon un parti de droite, assure-t-il. D'une certaine manière, le Parti pirate lutte même pour une forme de "communisme numérique", selon lequel tous les internautes participeraient en fonction de leurs capacités et dont les fruits serait répartis selon les besoins. Le parti se fonde sur l'idée que le clivage gauche-droite est obsolète. La priorité absolue pour le Parti pirate aujourd'hui, c'est de lutter pour les droits des citoyens. "C'est plus important que le système de santé, l'éducation, la protection sociale, le nucléaire, la politique de défense et toutes ces foutaises dont ils nous bassinent depuis 40 ans", assène Rick Falkvinge.
Et l'homme pense ce qu'il dit. L'historien et blogueur Rasmus Fleischer, cofondateur du Piratbyrån [le bureau des pirates, une association de hackers et de militants], en est persuadé. "Il voit vraiment le Parti pirate comme un mouvement historique comparable au mouvement ouvrier ou au mouvement écologique ou homosexuel. Ce n'est pas seulement des paroles, je pense qu'il y croit vraiment". D'ores et déjà, on connaît la première conséquence de "l'effet pirate" sur les Européennes 2009 en Suède : le parti a attiré sur lui l'attention généralement accordée au parti nationaliste des Démocrates suédois [extrême droite]. Manifestement, la loi des médias veut qu'il n'y ait de place que pour un seul parti perturbateur.
"Personnellement, je trouve cela très agréable", confie Rick Falkvinge. "Nous sommes l'antithèse politique d'un parti qui a une conception effrayante de l'homme. Les mots 'diversité' et 'ouverture' figurent dans la première phrase de notre programme, ce qui n'est évidemment pas le cas des Démocrates suédois". Pour Rick Falkvinge, il s'agit de sauver la Suède. Et d'une vendetta personnelle contre ces politiques qui ne veulent pas comprendre.