Érotiques de E. E. CUMMINGS, traduction de J. Demarcq

Publié le 13 avril 2012 par Lauravanelcoytte

L'éditeur a été bien inspiré de s'adresser à Jacques Demarcq, non seulement parce que c'est sans doute le meilleur traducteur de Cummings dans notre langue (ce qui se constate déjà visuellement en feuilletant cette édition bilingue) mais aussi parce que c'est un poète ; du coup, on a une édition supérieure à l'originale US, grâce à la remise en ordre et au référencement des textes, ainsi qu'à la postface de l'auteur des ZOZIOS, dont nous donnons ci-dessous quelques extraits. Elle remet en perspective les choix de cette anthologie par l'évocation vive et brillante du contexte biographique, éthique, esthétique et éditorial des poèmes.
Souhaitons que ce florilège aguichant, par ailleurs profond et non dénué d'humour, contribue à drainer un public plus large vers les livres composés par Cummings que sont 95 poems, font 5 et No Thanks


Extraits de la postface de Jacques Demarcq


Il n’a pas toujours été facile de publier des poèmes comme la plupart de ceux réunis ici. En 1922 aux États-Unis, The Little Review est censurée pour avoir publié les premiers chapitres jugés obscènes de l’Ulysses de Joyce. Leur écriture est radicalement novatrice et certains abordent la sexualité avec une crudité qu’on ne trouve à l’époque, partout dans le monde, que sous le manteau – les romans d’Apollinaire par exemple.
Il y a une part de rébellion dans ces poèmes. Né en 1894, élevé dans une confortable famille intellectuelle du Massachusetts, Cummings écrit depuis son enfance et a lu le meilleur de la poésie anglaise. Son père, professeur de sciences politiques à Harvard, puis pasteur unitarien – un christianisme associant Dieu à la nature –, est sensible à la misère sociale et pacifiste, mais d’une morale stricte. En 1915, étudiant à Harvard, Cummings « goûte pour la première fois à l’indépendance » et fréquente les bals mal famés, cafés-concerts louches et boxons de Boston. Ses poèmes, bien qu’encore redevables à la tradition, associent le corps féminin à la sensualité de la nature, et il adopte une morale du carpe diem qui ne le quittera plus.
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Une des clés de l’érotisme, pas seulement cummingsien, est qu’un ratage se mêle au partage, qu’une distance noue la jouissance : « quand ou si / le toi et le moi / […] de nous s’unissent pour un particulièrement / momentané / partenariat ».
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En mai 1918 à New York, il entame une liaison avec Elaine Orr, d’une beauté sublime : « la Damoiselle Élue, le beau, l’adorable Lys d’Astelot », écrira Dos Passos. Riche héritière, elle mène une vie mondaine quand le poète préfère la bohème. De sentir ou espérer un désir partagé dans ce qui les sépare, il tombe amoureux.
La séduction d’Elaine tient à la « totale stupéfaction » de découvrir sous la dame raffinée une femme « entièrement faite pour l’amour », « sous moi complètement nouvelle ».
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L’art, feint de suggérer Cummings en un sonnet très libre, ne peut rendre la jouissance que procure l’être aimé : « toute peinture se sent honteuse / devant cette musique,et la poésie n’arrive / à s’en approcher tant elle est craintive ». Mais c’est dire qu’elle ne doit pas craindre de heurter les conventions, tant morales que formelles. Et la syntaxe de se contorsionner dans une luxuriance d’adjectifs et d’adverbes, les mots de se fendre ou s’étreindre, les rimes d’adopter des (dis)positions acrobatiques, les parenthèses d’ouvrir le corps de la phrase, la ponctuation de frémir au gré du et des sens. Tout l’art de Cummings est mouvement dans l’autonomie préservée des éléments : « quand chaque partie reste immobile:et tout remue » conclura en 1935 un sonnet sur l’amour qui « produit de l’inconnu » (No Thanks, 61).
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Les amours avec Elaine s’achèveront en 1924 par un divorce, après un rapide mariage. Cummings trouvera plus de sérénité avec le splendide mannequin de mode Marion Morehouse, avec qui il vivra de 1933 à sa mort en 1962. Pour elle, il écrira de nombreux poèmes empreints d’une mystique charnelle qui, moins explicite, reste grandement suggestive

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