Pythagore : "Dès l'aurore porter son regard vers le ciel".
Voilà une forte parole, un bon précepte - et un excellent antidote contre la morosité. Ce ciel, si souvent lumineux, clair, diaphane, c'est un bonheur de le contempler, à ce moment, comme suspendu dans le temps, où l'aurore point. Ce n'est déjà plus la nuit mais pas encore le jour. Mystère de ce point : l'aurore point. L'aurore : cette apparition disparaissante qui évoque ce je ne sais quoi d'opaque et de diaphane tout ensemble. Mystère de l'entre-deux. Un monde s'efface un autre s'ouvre. Entre mémoire et futur ce fragile éveil, cet appareillage au vent du matin.
Comme un navire qui s'éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain
[Baudelaire, Les Fleurs du mal]
Ce ciel, parfois aussi obscur, mais à ce moment de l'aurore, il a une qualité particulière, il ne plombe pas, simplement il tarde à découvrir le voile qu'a jeté la nuit - le jour ne semble pas se lever vraiment, il prend son temps, il garde souvenance d'autres rythmes, plus lents, plus graves ; peut-être aussi d'heures plus tristes. Mais ce n'est pas la vie qui est triste.
- Comme la vie est triste !
- Non, la vie n'est pas triste. Elle a des heures tristes.
[Romain Rolland, Jean-Christophe]
Dès l'aurore porter son regard vers le ciel : une saine hygiène de vie. Se redresser, porter haut le regard. Sur le ciel, sur les choses de la vie, sur les hommes, cet homme énigmatique...
- Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? Ton père, ta mère, ta soeur ou ton frère ?
- Je n'ai ni père, ni mère, ni soeur, ni frère.
- Tes amis ?
- Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.
- Ta patrie ?
- J'ignore sous quelle latitude elle est située.
- La beauté ?
- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.
- L'or ?
- Je le hais comme vous haïssez Dieu.
- Eh ! Qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages !
[Baudelaire, Le spleen de Paris, L'étranger]