J'avais l'impression de m'être formée en réaction (ou devrais-je dire opposition). J'avais l'impression d'être autre, une autre, sortie d'une sphère familiale, nomade intellectuelle, désincarnée de certaines attentes.
Et pourtant. Au fur et à mesure, je me découvre miroir, déformé mais pourtant bien présent, de mes parents. Je me découvre aussi lien, échelon, chainon entre mon fils et ceux d'avant.J'avais pensé ne pas ressembler à ma mère: seules nos ombres et nos silhouettes le prouvent. Et pourtant je suis bien avec ses quelques tendances nomades, sauvages et un peu autarciques... et sa voix.
J'avais pensé ne plus avoir besoin de savoir qui Il était, lui, le manquant, l'absent. J'avais l'impression que les informations données au compte goutte sur sa vie, surtout sa scolarité d'ailleurs et, paradoxalement sur sa mort et ses derniers mois, véritable autopsie psychologique et diagnostic médical, m'avaient suffit. C'est vrai qu'être la fille d'un homme qui n'a jamais vieilli, qui n'a même jamais eu de vie active ou presque de parentalité, mort avant 30 ans, n'est pas forcément propice au partage de ce qu'était l'homme.Au final, j'ai vécu pendant toutes mes vacances scolaires, enfant, dans un mausolée de ce qu'il était.
Et c'est en recherchant pour mon fils, filiation que l'absent n'a pas connu, que certaines similitudes sont frappantes. Je cherche à récupérer les objets que j'avais à la vue et au toucher, là-bas...C'est en parlant de ce que je partage avec mon fils que le miroir est complet, dans mes curiosités scientifiques, dans le matériel ou les ressources que je cherche à retrouver (une balance Roberval et ses poids, un microscope, un modèle de système solaire).Mais aussi en regardant mon fils évoluer que je retrouve le garçon que devait être mon père. Est-ce moi qui ai transmis tous les éléments? Sûrement une touche de ceci et une autre de cela... mais il est récepteur et demandeur...
Pourtant, j'ai attrapé volontairement les étoiles dans les yeux de mon fils pour les monstres légendaires.
J'ai vécu enfant avec cette histoire: mon arrière-grand mère paternelle, devenue aveugle dans son grand âge, racontait à son petit-fils, mon père, les méandres de la mythologie grecque. Une légende familiale court même sur le fait que vers 5 ans, le petit garçon connaissait la plupart des cycles épiques.Alors oui, je reprends cette transmission, j'axe sur les duels, je commence les héros, je perpétue par la lecture cf là (parce que j'ai tout oublié de ce qui m'avait moi aussi passionnée plus tard, sans même me rappeler de la passion paternelle)... tant que le petit d'homme est enthousiaste.
Le lutin adore les fleurs, utilise toutes les occasions pour en offrir, choisir son bouquet ou encore mieux le créer. Il m'a même demandé de lui en offrir. Et là, souvenir: mon père mettait tout jeune une rose dans un minuscule vase sur sa table de travail.
Alors oui: quelque chose de mon père dans mon fils... peut-être. En fait, je n'en sais rien je n'ai pas connu le premier. Mais il y a quelque chose de lui en moi c'est sûr... des éléments de cabinet de curiosités dans la maison (des roches, des éléments anatomiques, de pharmacie, des fossiles, des ustensiles de dessin, des livres d'art, des livres scientifiques, de philosophie)... et quand me prend l'envie de me procurer des reproductions de statuettes de Vénus paléolithiques, je me rappelle les avoir vues sur son étagère reconstituée.
Alors je me construis, je me découvre aussi être bien la fille de ma mère et la fille de mon père. Il m'a fallu un enfant pour le découvrir.J'ai tout de même cette aptitude nouvelle à succomber aux instants magiques, aux minuscules moments de bonheur, à cette éphémère sérénité que ni l'une par précipitation, ni l'autre par existentialisme non-sevré n'ont réussi à laisser épanouir en eux. Comme aussi un humour jaillissant, prenant fleurs et pétales...