L’écriture sur le mur

Publié le 25 avril 2012 par Corboland78

La soirée battait son plein. Balthasar, le marchand d’étoffes de la place du marché, avait invité quelques amis commerçants comme lui, à fêter le juteux contrat qu’il venait de signer avec la maison du roi, lui assurant l’exclusivité de la fourniture des tissus et toiles entrant au palais.

Depuis plusieurs mois il avait lentement créé un réseau d’amis influents, de contacts bien placés au palais, un lobby chantant ses mérites et la qualité de ses produits. Mais pour mieux conforter son avantage, il n’avait pas hésité à convaincre quelques margoulins sans le sou à compromettre ses plus dangereux concurrents. Tout cela avait pris du temps et de l’argent, mais aujourd’hui sa ténacité cupide en était récompensée. Toute victoire doit être célébrée, c’est pourquoi il avait organisé ce petit banquet entre intimes auxquels se mêlaient quelques hétaïres de haut vol choisies par son principal banquier, grand pourvoyeur et amateur de soirées libertines.

Balthasar rayonnait littéralement de bonheur, en cet instant il savourait son triomphe à sa juste valeur, car au-delà du gain évident qu’il retirerait de ce marché, sa notoriété s’en trouverait grandie. Enfin il allait parvenir aux plus hauts sommets, côtoyer les notables et les ministres et avec ces nouvelles relations, son avenir s’annonçait sous les meilleurs auspices. Une lueur d’avidité illumina son regard durant un court instant.

Les viandes grasses et les vins épais commençaient à produire leurs effets. Déjà un ou deux convives s’étaient éclipsés entraînant dans leur sillage leurs voisines de table, sous les quolibets et les lourdes blagues des autres invités. Lui-même, ayant porté de nombreux toasts en l’honneur de tel ou tel envers qui il était redevable, sentait la tête lui tourner. Il était plus que temps de freiner les libations car il tenait à rester digne, sa position désormais l’imposait.

Les desserts étaient servis, gâteaux sucrés au miel et corbeilles de fruits s’offraient à la tentation gourmande des uns et des autres. Autour de Balthasar, assis à la table ne restaient plus que ses amis proches Melchior et Gaspard, ainsi que deux ou trois courtisanes attendant patiemment leur heure.

Les domestiques commençaient à ranger la salle et le patron de l’établissement rôdait mielleusement près de ce dernier groupe de clients, espérant les voir déguerpir au plus vite car la nuit tendait déjà vers le jour.

C’est alors que l’attention de Balthasar fût attirée par l’écran mural suspendu derrière lui. Le dernier bulletin d’informations de la nuit venait d’annoncer la nouvelle, un roi venait de naître en Judée et des foules se mettaient en marche pour venir le saluer. Frappé de stupeur, Balthasar se retenait à la table pour ne pas tomber, les yeux fixés sur l’écran il lisait avec une sorte de terreur enjouée, le texte qui défilait. Immédiatement et inconsciemment, il avait compris que son destin était tout tracé. Déjà il avait tout oublié, le contrat juteux, le banquet, Jézabel et Ruth qui s’agitaient à ses côtés, ses pensées étaient tournées vers l’avenir. Il croyait en sa bonne étoile et il était décidé à la suivre sans rechigner. 

    

Rembrandt Balthasar apercevant l’écriture sur le mur (1635) – Huile sur toile 167 x 209 cm – Londres, The National Gallery.