Il y a des sensations inutiles. Qui n’enseignent rien. N’apportent rien.
Des détails insignifiants que le corps mémorise malgré tout.
Se prendre une douche climatique sur la poire fait partie de ces choses-là.
Vendredi soir. Traîner dans les rues, gratter une bière dans un bar, sentir le corps desserrer les dents après la semaine de turbin. Alors la météo s’en mêle. Et une putain de saucée vient gifler la ville. Rincer la gueule des rues. Faire reluire les pavés. Auréoler l’éclairage public.
En moins de vingt minutes, les mecs qui vendaient des DVD pirates plient leur matos et vendent des parapluies chinois à deux balles.
Le Bulevar, l’immense zone piétonne entre Chacaito et Plaza Venezuela se vide d’un coup. Tout le monde s’abrite sous la première excroissance architecturale dégotée. Ou dans les halls des centres commerciaux. À l’entrée des panaderias. Quoi que ce soit qui protège.
Dans les rues, les torrents d’eau ralentissent la circulation au point, parfois, de l’immobiliser. Tous les deux roues se calent sous les ponts. Les bus roulent au pas. Les stations de métro dégueulent de monde aux entrées.
Une ville entière sur pause.
Pour celles et ceux qui déambulent, une seule contrainte: envisager la suite du programme. Boisson, nourriture, spot cool pour squat nocturne. Mais la vie continue. Bière à la main.
Il y a les gens qui ont des parapluies. Qui en achètent en dernière minute. Qui ont des coupe-vents, des vêtements imperméables, des capuches, des chapeaux.
Puis il y a celles et ceux qui n’ont rien. Qui se laissent rincer. Qui laissent la flotte tremper la peau et les os. Jus de ciel qui transforme les pompes en éponges, les sapes en serpillères, les cheveux en jungle et la peau en voie lactée.
Ces corps-là mémorisent une inutile et délicieuse sensation.
Se sentir sans défense mais vivant.