Mon papa me conseillait depuis des années ce roman de Goliarda Sapienza. Et j'ai suivi son avis. Et j'ai bien fait. Moralité : il faut toujours écouter son papa. Enfin, sauf quand il vous conseille un Benzoni, mais c'est une autre histoire...
J'ai rencontré Modesta, pauvre fillette sicilienne, encombrée d'une mère et d'une soeur handicapée. J'ai suivi son parcours, chez les soeurs, puis chez les princes. J'ai rencontré sa famille, ses amis, ses amours. J'ai noté ses influences : Tuzzu, l'oncle Jacopo, Carlo... autant de voix qui l'accompagnent et l'aident à se construire. Avec les livres, qu'elle dévore également.
Modesta, après un drame familial, échoue donc chez les soeurs où Leonora la prend sous son aile. Là aussi, ça ne se passe pas très bien. Elle se retrouve, par ses calculs et sa malveillance (dictée par la soif de liberté mais tout de même), chez les Bandiforti, famille aisée dirigée par une aïeule tyrannique. Par sa finesse et son comportement (très calculé là encore), elle parvient à s'y faire une place, adorée par Béatrice, son amie de jeux et plus encore, par le prince monstrueux, par l’aînée, qui l'imagine son digne successeur...
Dès qu'elle devient la gérante exclusive des richesses des Brandiforti, Modesta n'aura qu'une envie, vivre libre. Et si étonnant que cela paraisse, elle s'y tient toute sa vie.
On la voit se passionner pour la politique socialiste ou féministe, on observe ses amants et ses maîtresses se succéder dans un lit accueillant, où elle tombe parfois endormie des jours entiers, on constate la difficulté de la liberté et de sa transmission aux enfants, ...
De 1900 à 1960, Modesta n'est pas épargnée par les tourments de la guerre, la montée du fascisme, les crises économiques, les maladies... Elle nous fait parcourir librement le siècle, peu soucieuse de la morale et du regard extérieur. Cette joie du titre lui va extraordinairement bien, elle incarne la joie et la soif de vivre.
L'ensemble est porté par un style riche et foisonnant, oscillant entre première et troisième personne, intégrant sauvagement des dialogues sans locuteur, portant le lecteur toujours plus avant, sans lassitude, sans épuisement du système.
Un livre prenant, toujours plus lumineux (et pas uniquement grâce au soleil de Sicile) avec une héroïne attachante.
Comme Papa, je m'étonne que ce ne soit pas déjà un classique. Attendons encore un peu, il en a l'étoffe !