source journaldemontreal
Lundi dernier, j’assistais à l’événement Quand les Y se
livrent, à la librairie Raffin, rue Saint-Hubert. Les auteurs Laurence
Gough, Geneviève Janelle, Fannie Loiselle, Marie-Christine
Lemieux-Couture et Alexandre Soublière ont lu des textes ou des extraits
de roman et il y a eu une table ronde animée par Maxime-Olivier
Moutier.
Alors, maintenant je sais tout des Y ? Ce que je peux vous dire en tout cas : les Y disent « dude » et « chix ».
Se définir
Elle est toujours pressante, notre envie d’appartenir… Appartenir à
une famille, à quelqu’un, appartenir à un groupe, appartenir à quelque
chose de plus grand que soi, qui nous enrobe et nous définit. Nous
protège et, parfois, nous limite.
On ne pensait pas en ces termes avant l’arrivée massive des
baby-boomers. Nés dans les quinze années qui ont suivi la fin de la
Seconde Guerre mondiale, ils étaient si nombreux, ces bébés, qu’ils ont
vite été remarqués par les corporations. « Que voilà un segment de
marché juteux ! », se sont-ils dit.
Alors, ils ont créé des produits pour eux, des vêtements, des
boissons, des jeux, des modes… En fait, ils ont créé cette génération en
la qualifiant et en la traitant aux petits oignons. Car le client a
toujours raison, n’est-ce pas ?
Depuis, tout a changé, et les X et les Y qui ont suivi sont, je
dirais, des générations par défaut. Des générations qui ne se
définissent pas par elles-mêmes, mais plutôt par rapport aux
bébé-boumeurs.
Ainsi les X, dont je suis, sont arrivés à l’âge adulte quand le party
était fini. Fini les partouzes, les hippies, le sexe libre, la
contestation. Tout ce qu’il me restait à faire, quand je suis devenu
adulte, c’était de ramasser les bouteilles vides et de vider les
cendriers laissés par mes aînés qui avaient décidé qu’il était temps de
faire de l’argent.
Quand je suis parvenu à l’âge adulte, des jobs, il n’y en avait plus.
Tous les postes étaient occupés par les boumeurs. Si on voulait
travailler, il fallait s’inventer un travail.
Un monde en faillite
La situation est différente pour les Y. Des jobs, il y en aura. Les
boumeurs partent à la retraite. Mais ce seront des emplois sans grande
sécurité, avec des pensions de misère comme cadeau de départ.
Car le monde dont les Y ont hérité est pratiquement en faillite et on
a mis sur leurs épaules la lourde charge de le faire rouler tandis que
des millions de boumeurs vieillissants se paieront une retraite et des
soins de santé comme plus personne après eux n’en verra jamais.
Mais l’argent n’est pas tout, surtout pour les Y. Car à quoi bon
travailler comme un fou si c’est pour le confort d’une génération qui a
verrouillé derrière elle la porte du palais des plaisirs ?
Et puis il y a eu l’arrivée d’Internet, la planète à la portée d’un
clic. Toute cette information qui tourne et roule à vitesse folle,
instantanée.
À la table ronde, l’autre soir, les auteurs se définissaient comme appartenant à une génération cynique,
distanciée. Difficile, en effet, de croire aux discours, n’importe
quel discours, quand son contraire existe tout aussi bien, mais sur une
autre page Facebook.
Cela dit, ce sont les Y qui ont enfanté cet incroyable mouvement
étudiant. Pour une génération qu’on disait apathique et apolitique, on
repassera !
Car ce qui reste aux Y, c’est la capacité de dire non. Non à ce
fardeau que vous voulez faire reposer sur nos épaules. Nos à vos tas de
merde que vous voulez pelleter dans notre cour. Non aux « clauses
orphelines » qui scindent en deux le monde du travail, ceux qui ont eu
la chance de naître dans les bonnes années et les autres.
Non à la poursuite effrénée du profit pour le profit, car regardez à qui tout ça a profité !
Les Y se lèvent. Ils tournent autour de la trentaine, maintenant. Et
ils savent tout ce qui les attend, tout ce qu’on a planifié pour eux. Et
ils n’en veulent pas.
Ceux qui écrivent
Quant aux auteurs présents l’autre soir à la librairie Raffin, je
sais pas trop. Ce sont des Y, mais ils peinaient un peu à se définir
eux-mêmes. Ils semblaient embêtés, parfois, et bien des questions sont
restées les quatre fers en l’air.
J’avais envie de leur souffler cette réponse : peut-être est-ce parce que vous n’êtes pas tout à fait des Y ?
Peut-être est-ce parce que vous êtes, surtout, des auteurs ?
Et de livre en livre, par-delà les années et les générations, les
auteurs forment une chaîne humaine dont les œuvres se parlent et se
répondent parfois en murmure, parfois en cri.
X, Y ou Z, pour les auteurs, au bout du compte, ne sont que des lettres.