Magazine Journal intime

# 33 — sancho panzer

Publié le 30 avril 2012 par Didier T.

 Époque porc-épic, nous voilà coincés entre deux Fronts. L’un recueille beaucoup d’écho populaire croissant dont 'les milieux qui s'autorisent des trucs' ne veulent entendre parler, l’autre se croit en 1945, au “bon vieux temps des colonies” qui finançaient les “acquis de la Résistance”. Baratin dans les deux cas, tout le monde le sait. Mais je perds mon temps. Quand on n’est ouaille ni de l’un ni de l’autre de ces Fronts, c’est fatigant d'une fatigue qui incite à penser des choses, pour plus tard. Alors pour illustrer l’ambiance de cet “entre deux tours” au fumet un peu national, un peu socialiste... je vous colle Sancho Panzer, ça me semble approprié. Ça date d’il y a cinq ans mais ça pourrait être aujourd’hui, et peut-être pire demain. Weimar puissance mille, peut-être, peut-être pas... oui, c’est fatigant le “bon sens près de chez vous”, penser aux gens, à leurs enfants, sans slogans, pour le présent et l’avenir, la gamelle ET les valeurs, ces trucs pas audibles dans le barnum verbeux, on préfère les banderolles, les invectives, on vote pour des marchands d’illusions. Dont acte. Je peux juste vous donner ce que je sais faire, “guignol connaît pas de sot métier” et chacun pense ce qu'il veut. Époque porc-épic. “Mais nous n’avons plus rien d’épique”, comme disait l’autre.  Portez-vous bien.********************************* Le ‘terminus des prétentieux’... voilà un endroit que l’on imagine saturé comme un quai de gare le jour du-dit ‘chassé/croisé’ des-dits ‘juilletistes-aoûtiens’. Et parmi les citoyens qui y pointent, à ce terminus, quelques uns y sont arrivés sur ma recommandation. D’après les échos, je possède ce petit talent de renvoyer certaines baudruches à leurs gonfleurs —je n’y suis pour rien, c’est comme ça, depuis toujours je le prends comme tel, un cadeau de la vie qui a ensoleillé mon enfance. Oh, ça commence à faire un sacré paquet d’années que je n’en n’abuse plus, du moins je ne crois pas. Faut vraiment me chercher pour me trouver —la plupart du temps les casse-couilles sont bénins et inconséquents alors je laisse glisser, quitte à devoir lancer un petit croche-pied en regardant ailleurs, pour marquer le coup en toute innocence désengagée. Et puis, depuis que je suis devenu un vrai adulte responsable, quand le lance-flammes s’avère un peu trop de sortie sonnent des alarmes pour m’arrêter, la principale étant la Patronne, “ça suffit, tu vas le tuer”. Je m’y plie et sans me forcer, Aristote est passé par là pour m’expliquer que tout le monde a le droit de vivre tant qu’on n’attente pas à la vie des autres. Certains braves gens l’ignorent mais même s’ils n’auront jamais l’idée de le faire, ils peuvent dire merci à la Patronne.  Alain travaille depuis cinq ans à mon nouveau boulot de sortie de labyrinthe —une entreprise de transport, stockage et logistique. Magasinier comme moi, il exerce la semaine en équipe, je turbine le viquinde en solo. Sauf le samedi matin où on brasse trop de volume pour un gars tout seul, du moins si on veut tenir les délais (rapport à tous les camions qui reviennent à la base dans la nuit de vendredi, dont il faut gérer le contenu et préparer le rechargement pour lundi matin, quand le chauffeur doit juste avoir à souffler dans l’antipicole et mettre le contact pour rouler peinard vers Paris, Barcelone ou Prague). Et comme notre activité première c’est d’alimenter en composants une usine qui marche 7 jours sur 7 avec presque zéro stock, hé bien, les délais, pour ne pas arrêter les lignes de production on a intérêt à les tenir féroce comme il faut que ce soit en théorie —“les stocks sont dans les camions”, qu’il dit le Boss, un genre de funambuliste du spectacle interdit de la moindre intermittence. Donc le samedi matin je ‘bénéficie’ d’un binôme qui se pointe à trois heures, moi je commence à deux heures (des horaires à la manque, sûr, mais c’est de la logistique, on est tributaire du fonctionnement du client, ça fait partie du jeu, celui qui n’est pas d’accord avec cette logique va faire autre chose, ou rien). Et le gars qui vient quelques heures en doublon avec moi le samedi pour assurer le flux, c’est Alain, alias...# 33 — SANCHO PANZER D’emblée, pendant ma semaine de formation initiale, les collègues m’avaient prévenu: “méfie-toi, Alain c’est une vraie râclure, y’a pas plus pourri sur Terre, arrange-toi pour l’avoir toujours en face”. Bon... son de cloche que j’ai entendu d’un peu tout le monde malgré les désaccords qu’ils nourrissaient par ailleurs sur d’autres questions, ça commence à faire beaucoup question ‘présomption d’innocence’ du Alain. Alors oké, en tant que nouvel arrivant fions-nous à l’avis de la majorité silencieuse, restons prudent. Le premier jour que je le vois, Alain, je comprends pourquoi on le surnomme ‘Francis Heaulme’. Mais bon, personne n’est coupable de sa gueule, alors ‘Francis Heaulme’ ou pas mes compteurs restent à zéro le concernant. Il a 43 ans, Alain, crâne rasé, petite bedaine, et oui... indéniable, une bouille de Thierry Frémont dans le téléfilm sur Heaulme. Ça n’a pas dû lui faciliter la vie sentimentale, certes. Ce premier jour je vois bien, Alain, ma tronche ne lui revient pas. Les bouclettes étalées sur les omoplates, sans doute, avec ma barbe de huit jours dans mon bloudjine ‘Bob Dylan 1966’, ticheurte noir sur mes 1 m 65 pour 55 kilos —drogué, gauchiste, pédé, ennemi de l’intérieur vendu aux Ben Laden, on imagine les pensées... ah là là, moi qui vote centriste de chez Maastricht, ah là là. Bon. Et puis je ne porte pas l’uniforme de la boîte, j’ai mes propres fringues civils. Ça ne va pas dans sa tête, je ne circule pas auréolé de la grisâtre tenue officielle avec le logo de l’entreprise, c’est pas ‘famille’, je sens bien, à ses yeux je suis une merde, une branche pourrie, un branleur, une source de problèmes à venir. Des choses comme ça, du tacite très bien compris de part et d’autre... Mais dès mon premier quart je ne vais quand même pas commencer à lui expliquer que “’cross the green mountain”, si —le sort m’en garde— un jour je devais enfiler un uniforme pour la première fois de ma pas si triste vie, ce ne serait malheureusement pas pour livrer des palettes de composants, n’est-ce pas. Cette première journée, Alain passe un bon moment à me pourrir tous les autres magasiniers, des ‘suce-boules’. J’écoute. Je réponds “oui, oui” à l’italienne. Que faire d’autre à part prendre la température de l’eau glacée? Je ne suis pas venu pour sympathiser avec des inconnus, on me paye pour fournir un résultat. Alors Alain et moi on assure le job, un peu de larsen dans les regards à la machine à café mais ça ne se passe pas trop mal sur un plan pratique, je n’en demande pas plus et je l’obtiens, dans ce nouveau contexte j’ai mes preuves à faire et c’est tout ce qui m’importe, “problème / solution”, mon collègue pourrait être islamiste ou communiste, ce serait pareil. Après il rentre chez lui l’Alain, comme de juste. Me reste quelques heures de taff en solo avant de passer le relais au suivant. Bon, pour mon premier samedi je n’ai rien cassé, rien planté, et le matos est fourni, les consignes respectées... ça me va, je mérite mon salaire, cahier de mes charges rempli, personne ne viendra me tanner, on peut rentrer siester l’esprit en paix. Et je n’ai rien de personnel à lui reprocher à l’Alain, du moins dans son attitude envers moi. Évidemment, au café il m’avait exposé sa vision géopolitique:  — “J’aime pas les bougnoules. J’aime pas les bamboulas. Toute cette racaille de singes faut y arrêter, renvoyer tout ça dans son pays, ça sera moins le bordel ici.” Au moins, c’était clair. Après tout, on a le droit de penser comme ça, je ne conteste pas le droit à l’opinion, on peut même argumenter dans ce sens, j’ai entendu des raisonnements fachos qui sur un plan intellectuel se tenaient, ça se défend au moins autant que le fantasmé ‘pouvoir du prolétariat’ à l’autre extrême de l’arc, qui lui aussi est argumentable sur un plan intellectuel pour peu qu’on ait ingurgité le laïus ad hoc —des frontistes de bonne foi, en milieu ouvrier c’est banal, j’en croise tous les jours, et la liberté d’opinion et d’expression que l’on exige pour soi je ne vois pas en quoi je serais qualifié pour l’interdire chez les autres quand bien même sa formulation sonne salement vaseuse à mon entendement socedème. Ce genre de gros discours frontiste ‘j’aime pas les bougnoules’, à mes oreilles ça sonne comme son excès inverse gauchiste ‘faut ouvrir toutes les frontières’, c’est rien dans le réel, des fumigènes de mecs qui perdent leur énergie dans des rêveries sans issue —en régime démocratique, ces âneries contradictoires sont sans conséquence, on sait canaliser ces délires de préchi-précha protestataire intraduisibles en actes. Tiens, un jour faudra que je vous raconte l’histoire d’un gars que j’ai pas mal pratiqué et que j’ai poussé dans ses retranchements jusqu’à en extraire le suc, un sosie de Benoît Poelvoorde, c’est instructif. Enfin bref, mon Alain est frontiste militant, du genre à penser que Jean-Marie devient un peu mou en vieillissant. Le camarade a choisi son camp, et ne s’en cache pas —au moins, on ne peut pas l’accuser de manquer de bolloques dans l’expression et la défense de ses convictions. Et je discute avec tout le monde tant que ça reste du verbe, no blémo j’écoute les mots —ça aide à comprendre, se faire une idée sur certains pans de réel dont on est exclu dans sa vie quotidienne. Le viquinde suivant je suis en contre-équipe, je bosse soli-solo l’après-midi, donc je ne vois pas Alain —et j’avoue que ça ne me manque pas trop.  Le samedi d’après, à nouveau en matin, ça ne se passe pas trop mal avec lui, sauf qu’il commence à me prendre le chou rapport à ce que je n’avance pas assez vite à son goût, que je mets beaucoup trop de temps à préparer la commande du client. Je lui explique gentiment que je tiens mes délais dans un honnête rapport vitesse/efficacité, qu’au bout d’un mois je peux aller plus vite, et même beaucoup plus vite, mais que dans ce cas on déplorera sûrement pas mal d’erreurs de préparation, que ça prendra plus de temps à les réparer que de temps gagné dans la vitesse d’exécution première, sans compter les démérites envoyés par la boîte qu’on alimente en composants —démérites facturés. Il me répond “faut aller vite et bien, sinon c’est pas la peine de venir”. Je laisse tomber. Et la semaine suivante je reçois un coup de fil du Boss comme quoi il faut que j’avance plus vite dans la préparation des commandes. Okééééé. Au fil du temps je prends des automatismes, des raccourcis, je fais progressivement sauter certaines sécurités de contre-vérifications qui n’ont plus lieu d’être à l’usage, mais le samedi matin, délibérément, quand Alain est là, je continue à ne pas aller trop vite, et quand il n’est pas là j’augmente crescendo mon ratio vitesse/efficacité. Je me doute bien qu’un jour sans doute pas trop lointain j’aurai besoin de tout ça, avec cette nécessité que dans son esprit je sois lent. Ça fait plus de vingt ans que je joue aux échecs, quand même. Ce jour du besoin ne traîna pas, hélàs, même pas trois mois après mon arrivée dans cette entreprise. Un mois plus tôt, un samedi matin de début septembre, je me pointe au boulot à deux heures moins dix, je coupe l’alarme, je mets les ordis en route et je vois que contrairement à d’ordinaire... nulle commande de composants n’est tombée pour alimenter les lignes à flux tendus. Ah. Tout seul là-dedans avec mes deux mois d’ancienneté, je fais ‘agloups’ comme une bonne buse numérique que je suis. La livraison c’est pour 5h et trois heures de prépa y’a rien de trop. Bon... J’appelle le client, je lui explique la situation... et de l’autre côté le gars me répond:  — “C’est bizarre, on a tout envoyé comme d’habitude. Doit y’avoir une merde dans le système.” Agloups (trois fois). Je fais quoi? Hé bien, je demande au gars:  — “C’est déjà arrivé, ça?” Il me dit que oui, c’est rare mais c’est arrivé que le système plante et dans ce cas on est obligé de procéder en manuel comme au XXè siècle. Bon ben, je me dis, l’heure tourne, livraison 5h, je suis autant informaticien que paléontologue alors inutile de se lamenter sur le ‘système’, autant me demander de restaurer la Joconde avec de la peinture à l’eau, alors va pour le manuel, soyons lucide. Mais c’est quoi, le ‘manuel’? Il fait ‘hum hum’ et il répond:  — “Ça fait combien de temps que t’es là?”  — “Heu... deux mois.”  — “Deux mois! Et y’a pas de chef?”  — “Je suis le chef et le seconde pompe, je m’obéis plutôt bien. Explique-moi...”  — “On t’a laissé tout seul au bout de deux mois?!!! Hé bééééé, en manuel, heu... je te faxe les commandes, tu les tapes sur ton ordi, références, fournisseurs, quantités, numéros d’ordre d’achat, tu sors les listings qui t’indiqueront tes zones de picking et tu prépares ta commande... bon courage!”  — “J’attends les fax, merci.” 2h15. Je reçois les fax, belle liasse. Et je m’y colle sans différer d’un quart de pet, c’est pas le moment d’aller goudronner mes poumons à la machine à café. Quinze minute plus tard j’ai tapé cinq pages... je rappelle le client et je lui dis:  — “Heu... j’suis désolé mais ça le fera pas, du moins pas dans les délais. À vue de nez, la livraison de 5h ce sera pour 8h. Tu peux faire un inventaire de ce qui va planter chez toi avant 8h, tu me faxes ça et je te fais une petite commande en urgence pour éviter le tsunami.” Ça le gavait d’avance, je sentais bien. Mais que faire d’autre? Si les lignes de prod’ s’arrêtent, ça chiera au moins autant pour sa pomme que pour la mienne, vu que c’est leur informatique qui merde. Alors il dit ‘oké, je fais un inventaire du brûlant’. Je continue à taper mes commandes et dix minutes plus tard je reçois un fax agréablement maigrichon avec une petite liste de composants vitaux avant 8h. Je rappelle et je lui dis:  — “Viens chercher la camelote dans une demi-heure, ce sera prêt.” Juste avant de taper la ‘commande urgente de secours express et ultime avant caca froc généralisé’, je me suis quand même posé vingt secondes pour me brosser en interne un petit panorama mental de la situation globale —ce n’est pas tous les jours que m’arrive une pareille calamité professionnelle, ça méritait d’être imprimé dans un coin de cheutron. Et j’ai décidé de prendre ça comme quand j’étais môme, que je me fixais une ‘mission’, un ‘défi’. Voilà. Mollets d’adulte mature mais 1o ans dans la tête, je devenais un guerrier du composant à livrer, que si j’échouais la Princesse allait finir sa vie dans le château du méchant. Ce qui n’est pas acceptable. Alors, action!!! Je tape la commande vite fait et je vais fissa préparer le matos pour ne pas planter les lignes avant 8h. À o3h, mon gars arrive avec le fourgon de sa boîte, je lui charge la commande et on va se téter un petit café vu qu’au point où ça en est on n’en n’est plus à cinq minutes près pour la suite. 3h1o, il repart, je reprends ma saisie de commande en manuel en me disant “mais qu’est-ce qu’il fout, Alain?”. Car oui, le Alain commence à 3h, il est 3h15. Pour sauver la Princesse, Don Quichotte a besoin d’un Sancho Pança, même du Front National. Bon ben, je me dis, Sancho Panzer il n’a dû pas se réveiller. On a un classeur avec les téléphones de tout le monde, alors je le chope et je cherche le numéro du Sancho. Et au moment où j’allais l’appeler, je pense à jeter un œil sur le planigne. Eh bien le Alain, il n’était pas marqué au planigne, il n’y avait que moi de prévu ce samedi matin. Meuhdeuh, il a dû prendre sa journée le Sancho et on a oublié de le remplacer... Wow, la panade en vue... Je laisse tomber Alain, je ne vais pas réveiller à 3h du matin un mec qui n’est pas inscrit au planigne, même Alain, ce n’est pas humain, bien que j’avoue j’y ai pensé juste pour rigoler mais je n’avais pas le temps de finaliser et pas trop l’esprit à la déconne. Résultat, Don Quichotte se retrouve dans la caque tout seul sur sa Rossinante de chez Fenwick avec une tripotée de composants à préparer et de moins en moins de temps pour l’accomplir. On se sent un peu seul au monde dans cet énorme entrepôt. Même sans le plantage informatique, tout seul un samedi matin ce n’est pas jouable dans les délais, alors là... ‘c’est le mi-mi, c’est le ra-ra, c’est la mé-merde’. Bon... ben... me reste plus qu’à faire au mieux avec ce que j’ai, en bon petit social-traître vendu au grand capital. Un seul objectif: que les lignes de prod’ ne s’arrêtent pas de la journée, quitte à devoir refaire une seconde ‘commande urgente’ après 8h pour tenir jusqu’à 11h et ensuite appeler mon binôme de contre-équipe pour lui demander de venir plus tôt —issue de secours ultime, pire des extrêmes, mais au moins on s’en tire dans tous les cas de figure, alors sachons zénitude conserver dans ce mic-mac qui se lézarde de partout. Je finis de taper ma commande officielle, et le chauffeur arrive à 4h3o pour charger la livraison 5h. Je n’ai toujours rien préparé à part taper les ref des fax et torcher ma commande urgente pour tenir jusqu’à 8h. Le chauffeur, je lui explique... ‘plantage info, pas d’Alain, Don Quichotte à la rue sans même une quechua d’alterneuneu pour se poser sur les bords de Seine en attendant les caméras de TF1’. Il me répond:  — “Mais ça va tout s’arrêter là-bas, ça va coûter la peau du zob, on n’a jamais vu ça.” Alors je lui dis:  — “Ça va le faire. Viens, j’te paye un café et je t’explique. C’est comment, ton prénom?” Une fois qu’il a capté que question ‘arrêt de ligne’ je me suis démerdé pour me bidouiller une marge de sécurité jusqu’à huit heures, ça va mieux. Il me demande:  — “C’est la première fois que je te vois. Ça fait combien de temps que t’es là, toi?”  — “Deux mois.” Lui a dix ans d’ancienneté. Là je sens dans son regard qu’il m’apprécie, ça remonte le moral. Je retourne finir ma saisie informatique manuelle du temps jadis. Il était 5h quand j’ai démarré la prépa proprement dite, et 5h c’est donc le moment où normalement le camion devait livrer ce que je n’avais pas encore commencé à empiler sur le quai... J’ai enclenché le turbo, ça... Les semaines précédentes j’avais établi des procédures de recoupement pour éviter les erreurs de quantités ou de références mais là, je les ai toutes court-circuitées, tant pis, à la réception on subirait sans doute de plus ou moins petites anomalies de livraison avec des fax de démérite à la clef mais au moins le plus gros du matos serait à poste et ça continuerait à tourner sans ombrage dans le ‘flux tendu’ productiviste pour lequel on me paye. Concerto pour Fenwick & palettes, ça, j’ai transpiré dans mon ticheurte. Le chauffeur m’a proposé son aide mais bon, il ne connaissait rien à l’entrepôt ni à la logique de préparation de commande alors il a juste fait de la manute, du filmage et du chargement —ce qui n’est déjà pas rien, il n’était pas obligé, il aurait pu aller pioncer dans son camion et me laisser suffoquer dans ma bouse géante. Brave homme, merci. Et à 6h3o, alors que j’avais plié à l’arrache les deux-tiers de ma commande pour 5h, qui je vois arriver? Mon Sancho Panzer pas inscrit au planigne. Il débarque avec sa tronche de Francis Heaulme tombé de son pieu, et en plus il commence par me gueuler dessus, l’Alain.  — “Putain, j’me suis pas réveillé! Fallait m’appeler, bordel! Ils z’embauchent vraiment n’importe qui, ici! Et puis je l’avais bien dit, c’est n’importe quoi de mettre un nouveau tout seul le samedi!” Je coupe le contact du chariot, je descends et je marche vers lui. Et là il se rend compte de ce que je transporte au bout des fourches de mon Fen, et il gueule:  — “Me dis pas que c’est la commande de 5h?!” Je croise les bras et je lui réponds:  — “Ben non, quand même... c’est la commande de 11h. Je prends de l’avance.”  — “T’as déjà reçu la commande de 11h? Ah...” On va laisser tomber l’ironie, que je me dis. Cause perdue. Pourtant, quand t’es dans la deurme ça aide, l’ironie.  — “C’est la 5h, Alain, y’a eu plein de problèmes.” Il regarde sa montre et commence à pigner:  — “Bon dieu, c’est tout arrêté là-bas... Oh putain, ça va chier...”  — “Ben c’est normal que ce soit tout arrêté, Alain, tu sais bien qu’on embauche n’importe qui ici.” Ouais, vu comment ça partait, je n’avais aucune envie de lui expliquer pour la ‘commande urgente’ bricolée pour tenir jusqu’à 8h. Et là il couine:  — “Mais putain t’es idiot ou quoi? Mais pourquoi tu m’as pas appelé? Ah ça, planter toutes les lignes, ça s’est jamais vu! Jamais!!! Ça va faire un bordel monstre! T’es viré, mon pote! Tu peux rentrer tout de suite chez toi!” Je ne réponds rien. Je le chope par la manche de son uniforme et je l’emmène au bureau où je lui plaque le planigne sous le nez. Il dit: — “Ah ouais, y’a encore une erreur au planigne. Mais fallait m’appeler quand même, merde, t’es vraiment trop nul! T’imagines pas la suite...” Là, je m’asseois, je le prends bien en face et je lui dis sur le ton le plus calme possible: — “Écoute Alain... avec tes raisonnements à la noix, dans cinq minutes ça va être de ma faute si t’es resté vautré dans ton pieu comme un gros sac. Alors à partir de maintenant, écoute-moi bien passque je le redirai pas: on a deux possibilités. Pas trois, deux. 1, tu fermes ta grande gueule qui comprend rien et tu mets au boulot comme ça fait 3 heures que tu devrais y être. 2, tu m’insultes encore une fois et je rentre chez moi, oui, je me casse, tu te démerdes avec ce cirque et tu expliqueras tout ça au Boss lundi. C’est compris, pignouf?” Il m’a rien répondu. Il a peur du Boss, je le sais. Il est arrivé avec 3h3o de retard et moi j’ai deux mois d’ancienneté, même un busard de son genre a conscience que si un truc tombe d’en haut c’est sur sa gueule que ça s’écrase. Il pense que les lignes sont plantées, ça le tétanise. Il fait dans son froc rien qu’à l’idée d’être convoqué au bureau lundi, c’est terrible. 43 ans, 25 ans de vie d’adulte et toujours la hantise de se faire tirer l’oreille comme un garnement chopé en train de piquer ces cerises dans le jardin du voisin. Cas désespéré, je n’allais pas me gêner, j’ai fait durer au maximum avant de le mettre au parfum pour la marge de sécu que je m’étais bricolée jusqu’à 8h, avec si nécessité prolongement possible jusqu’à 11h —j’ai horreur d’être pris au dépourvu, je supporte très mal, une répulsion physiologique... depuis que je suis grand, le nombre de fois où je l’ai été, pris au dépourvu pour des trucs conséquents, se compte sur les doigts de la main d’un type qui a sa piaule chez Raoul Follereau. Là, les lignes de prod’ étaient sécurisées jusqu’à 8h, voire 11h en cas de deuxième couche... on allait en baver pour redresser mais on ne risquait rien, à part que Sancho trempe son calbuth. Le chauffeur, lui, qui regardait ça, a dit:  — “Bon ben j’vous laisse, hein, les gars, vous entretuez pas... Je repasse dans une heure.”  — “Dans une heure ce sera prêt”, que je réponds au chauffeur. Puis je dis à l’Alain: “On va prendre un café, fumer une clope, je t’explique où ça en est et on s’y colle en silence. Oké? En silence.” Au kawa je lui explique rapport au plantage info, la ‘commande urgente’ pour éviter l’arrêt de lignes, tout ça. Il respire mieux, ça se voit qu’il oublie tout —il ne sera pas convoqué par le Boss lundi, pour l’heure ça lui suffit. Et ensuite on s’y lance en silence, et on s’y met à donf. En silence. Tout est déjà tapé manuel et les deux-tiers de la commande sont déjà chargées dans le camion, il ne reste plus qu’à préparer le dernier tiers, charger la fin, sortir les papiers, c’est limite mais à deux on peut tenir les délais avant la rupture de la ‘commande urgente’. On peut donc on fera —point. À 8h c’était livré, sans arrêt de ligne. Le camion est parti pile au moment où la commande suivante tombait sans plantage informatique, livraison 11h. Normalement, Alain devait finir mais comme il était arrivé à la bourre, il est resté jusqu’à la fin de la prépa suivante. On a attaqué la commande illico, même pas le temps de bouffer un morceau, et elle était balèze la commande, une semi complète. On a livré à l’heure, sans démérite. J’ai fini la journée à quatre pattes, Alain ne valait pas mieux. Pour ce qui me concernait, l’incident était clos. On s’en était pas mal tirés, je trouvais. Pas grand’chose ne s’était déroulé sur le ‘mode régulier’ dans les procédures, on en sortait tous deux séchés comme des harengs mais le résultat était là: le job assuré, à peu près, pas de plainte en vue, sur les lignes de montage rien n’avait dû se voir, pffff. Vu les circonstances on ne pouvait vraiment rien nous reprocher. Le comportement d’Alain, bon... évidemment, à son endroit mes compteurs n’étaient plus à zéro, ça... mais... je ne vivais pas avec lui, je me le cognais juste quelques heures tous les 15 jours, c’était une foutue tête de naze mais sans mon Sancho Panzer arrivé à la bourre je n’aurais jamais tenu les délais même plombés, je n’allais pas rester québlo là-dessus, j’ai autre chose à faire de mon existence temporaire. Au fond, quelques heures de vie commune tous les 15 jours en relative bonne intelligence avec un bel enfoiré, comme nuisance principale ça ne fait pas cher payée l’existence avec vue sur mer. Le viquinde suivant j’étais de l’après-midi. J’arrive avec un peu d’avance pour prendre les consignes auprès de mon binôme de contre-équipe, un type excellent qui m’a presque tout appris sur le taff, avec méthode et bon sens. Et là il m’explique que toute la semaine le Alain m’a pourri ma race auprès du Boss, renversant tout, précisant qu’heureusement qu’il était là pour sauver la situation du naufrage total, etc., avec en conclusion: “le nouveau, faut le virer”. Wow. Je l’aime vraiment beaucoup, ce travail. Rien que pour le job, ça le fait. Les conditions, et surtout le boulevard de temps libre que ça me laisse pour bricoler ce que j’ai à bricoler sans être emmerdé par des considérations matérielles du genre qui te contraignent à édulcorer en suivant tous les ‘bons conseils’ qui mènent au robinet d’eau tiède. Je suis à l’aise dans ce taff, il me convient total. En plus je n’ai jamais été aussi bien payé sauf quand je turbinais au blaque, du temps heureusement révolu où je devais éviter au maximum qu’on puisse retrouver mon nom sur les fichiers officiels. Si la boîte tient je me vois bien y rester jusqu’à la retraite, à 75 ans, d’après ce qu’on lit sur les tracts. Et cet espèce de gros salopard, Francis Heaulme qui n’arrive pas à sortir de son lit, fait tout son possible pour qu’on me lourde à cause de ses propres conneries, et il agit en sournois évidemment. Bon...  En preum’s, je téléphone au Boss —la première fois que je l’appelais depuis mon arrivée. Il rigole et me dit de ne pas me tracasser, qu’il a regardé l’historique de ce samedi sur les ordinateurs, qu’il a discuté avec le client et que c’est très clair dans sa tête. Il me remercie pour avoir réussi à ne pas planter les lignes de prod’, le fric économisé, l’image de cette entreprise qui est presque toute sa vie. L’Alain, il le connaît trop bien, son baratin ça ne pèse rien. Bien.  En deuz’, la punition à préparer. Cette vermine a tenté de torpiller un des principaux piliers de l’organisation de mes années à venir, ça mérite une réprimande. Le viquinde suivant je suis du matin, je recroise mon Alain qui arrive à l’heure. Il sait que je sais ce qu’il a commis auprès du Boss me concernant, “le nouveau, faut le virer”, et l’infructeux de sa manipulation. Il n’était pas fier. Je l’accueille en souriant, “un p’tit café, Alain?”. Il ne comprend pas, il dit oui. Et ensuite on remplit le job. Journée normale. Je le sens perplexe. Et les semaines suivantes, rien à signaler. Il croit que j’ai passé l’éponge en bonne couille molle démocrate, carpette capitularde qui se fait enfiler par la Terre entière des révolutionnaires engagés, selon ses critères. Très bien. Un mois plus tard, j’ai tout mis en place pour l’estocade du Sancho Panzer. J’ai choisi un viquinde où c’était le même chauffeur que le jour de la cata première. En un mois, j’ai eu le temps d’affiner mes techniques de boulot, rationnaliser au maxi, gains de temps à tous les étages, petites ruses pour valider une commande sans erreur en trente secondes là où d’autres y grillent un quart d’heure, etc. Mon Alain arrive. On se partage le boulot, livraison 5h. Et à partir de là, je deviens un Terminator de la préparation de commande. Je rogne chaque dixième de seconde possible, je suis mes procédures comme un barjot avec ce petit plus pas anodin: sur le Fen je pousse au taquet mais dès que je pose le pied au sol je traîne les godasses façon Gaston Lagaffe... alors l’Alain qui me matte de loin, visuellement il a l’impression que je n’avance pas... mais pourtant les palettes s’empilent sur le quai... et à 4h j’ai tout fini ma livraison 5h, y compris la saisie informatique qui lui pose tant de soucis à lui, que je me suis arrangé pour torcher quand il n’était pas au bureau. Je suis épuisé mais j’ai bouclé mon volume, ça m’eut été physiquement impossible de finir une minute plus tôt. Et je suis certain de n’avoir aucune erreur dans ma séquence. J’ai trois quarts d’heure devant moi. Alors je me promène dans l’entrepôt en sifflant du Higelin, “vague à l’âme”. Il ne comprend pas, Alain.   — “T’as fini?”  — “Ben oui, mais tu dois pas être loin de la fin non plus.” Il ne répond rien. J’avais regardé ses feuilles, il lui en restait bien pour trois quarts d’heure de prépa, sans compter la saisie. Pourtant, on avait le même volume de départ. Alors il a dit:  — “Mais faut qu’tu fais ta saisie.”  — “Les papiers sont sur le bureau. T’es sûr que tu veux pas un p’tit coup de main?” Il se barre sans répondre... et là j’entends au Fen et au bruit des bacs qu’il carbure plus vite. Parfait. Et plus ça va plus il me voit circuler à pied dans les allées, “poire william à 4o°, mes doigts se rétament aux touches du clavier...”, les mains dans les poches, les godasses de sécu comme des espadrilles à Palavas les flots. Ça l’exaspère pire que tout, il prend ses bacs sans trop regarder ce qu’il fait, et quand je vois qu’il hésite un peu je lui dis “un p’tit café, Alain?”  — “J’ai pas l’temps!”  — “Tu veux vraiment pas un p’tit coup d’main pour finir?”  — “J’me débrouille mieux tout seul.”  — “Bon ben, j’vais prendre un café.” 4h3o, je suis posé à la machinakawa, le chauffeur arrive. On prend un jus. Je lui dis “Alain est en train de finir sa prépa, je sais pas si tu livreras pile à 5h”. Beau pas avoir vu le déroulé des deux dernières heures, le chauffeur comprend tout, tout de suite. Ça le fait rigoler. On fume notre clope tranquille jusqu’au moment où je n’entends plus le Fenwick de mon Sancho. Il a fini sa prépa, je ne l’ai pas vu depuis 2o minutes. Il est 5h moins 1o. Bon, c’est le moment d’aller au bureau. Le chauffeur part charger le camion. Au bureau, Alain était assis devant son écran, ses feuilles posées à sa droite. Mais alors de vraies serpillières, ses pauvres feuilles, pleines de ratures, de pattes de mouches, d’emplacements modifiés ‘pour gagner du temps’. Pile-poil comme j’espérais que ce serait. Il commençait à valider son truc, emplacement par emplacement (quand même vous préciser: le système propose une prépa —emplacement, ref, quantité, nombre de bacs— et quand tu prends exactement ce que le système propose à l’endroit proposé, tu retrouves le truc à la validation sans rien avoir à toucher, alors quand tel est le cas je ne marque sur ma feuille qu’une petite croix en face la ligne et je sais qu’à la validation je n’aurai pas à y revenir, ce qui fait que sur mettons 2oo lignes de prépa j’ai en général une vingtaine de modifs à effectuer avant de valider, soit cinq minutes et aucune possibilité d’erreur, tandis qu’Alain lui vérifie chaque ligne, bidouille plein de trucs, donc ça lui prend une demi heure avec plein de risques d’erreurs, mais c’est sa technique à lui alors je respecte vu que ce n’est pas le dernier arrivé dans la boîte qui va lui expliquer son boulot, quand même). Donc Alain se lance dans la validation. J’attends qu’il ait validé dix lignes et devant lui, je contacte le client.  — “Oui, salut! J’appelle pour dire qu’on aura un peu de retard. Désolé mais on a traîné à la prépa, j’espère que ça plantera aucune ligne. Heu... Alain, t’auras fini dans combien de temps?”  — “Cinq minutes, bordel!”  — “Bon ben le chauffeur part dans cinq minutes. Ça ira?... Bon ben merci, c’est sympa. Si y’a un souci, tu appelles, on trouvera une solution.” Et je me pose sur une chaise à roulettes du bureau, dans le dos de mon Alain qui validait ligne par ligne. De temps en temps il se redressait et posait sa main sur son menton, on aurait dit Kasparov face à Karpov. C’est les moments que je choisissais pour m’exprimer, genre:  — “T’es sûr que t’auras fini dans cinq minutes? J’vais les rappeler, faudrait quand même pas planter les lignes...” Des fois il tournait ses pages, il revenait en arrière, modifiait un truc, tout ça. Cinq ans d’expérience, c’est pas rien. À 5h15, alors qu’il était à dix lignes de la fin, en présence d’Alain qui validait j’ai rappelé le client:  — “Vous avez de quoi tenir jusqu’à 6h?” Alain s’est mis à brailler: “j’ai fini!”. J’avais alors bien vu que les dix dernières lignes il venait de valider ce qu’on lui proposait sans regarder... Pour un nouveau dans la boîte c’était étonnant à observer mais vu que lui, cinq ans d’ancienneté, bon... il savait ce qu’il faisait. Si y’en a un à virer, c’est le nouveau. Normal. Le camion est parti. Livraison théorique 5h, arrivée à 5h4o —ce serait marqué quelque part, si besoin devait Alain expliquerait pourquoi.  — “Bah, y’a eu pire, hein?”, que j’ai dit à Alain. Il se traînait un sale état d’abattement, quand même, le pauvre. Et moi j’étais épuisé par mes efforts surhumains de prépa-express mais je faisais comme si que non. On est allé boire un café, en silence. Et on a attaqué un autre taff, des palettes de composants à rentrer en magasin.  À 6h3o, un fax tombe. Vu que je m’étais posé exprès à côté du fax, c’est moi qui l’ai lu en premier.  — “Tiens, Alain, j’crois que c’est pour toi.”  — “Ah merde! J’ai pas livré le bon composant... Bon c’est pas grave, j’vais les appeler.” Deux minutes plus tard, un autre fax.  — “Tiens, Alain, j’crois que c’est encore pour toi.” Neuf fax en vingt minutes, on a reçu. Tous pour Alain (à la direction, avant de remonter les bretelles de l’intéressé on tolère deux fax par mois et par magasinier). Neuf fax en vingt minutes, et tous pour le même bonhomme, ça, pour sûr, c’était de l’inédit. Et évidemment, un double de chaque fax atterrissait direct sur le burelingue du Boss sans que personne n’y puisse rien. Mappleburke: o — Alain: 9 (joli score, sauf que c’était 9 contre son camp, avec facturation du client et petite invitation à l’étage en vue).  — “Putain, 9 démérites d’un coup! Lundi, Alain, ça va être dur à expliquer au Boss, hein? On se prend un p’tit café pour fêter ça?” D’aussi loin que je me souvienne posséder une mémoire, peu d’êtres humains m’ont regardé comme il m’a alors regardé, l’Alain. Je n’ai rien dit à personne au boulot, c’est entre Alain et moi. Ses neuf fax à cul, je ne sais pas comment il s’en est dépatouillé avec le Boss —c’est pas mes oignons. Mais depuis il me mange dans la main, Alain. N’empêche, si un jour je lui tourne le dos, je sais que je me prends un coup de fourche à hauteur du thorax, comme dans “le Visiteur” —regrettable accident qu’on tentera d’éviter. Surtout que vu le personnage, possible qu’un jour il ait besoin d’une piqûre de rappel. C’est prévu, établi, planifié.... ne reste plus qu’à appuyer sur ‘play’, et c’est lui qui décide du moment éventuel. Mais si ça devait se produire, je serais nettement moins gentil que la dernière fois. Ce gars a essayé de me faire lourder du travail qui me permet de faire ce que je veux de ma vie avec insouciance. Espérons qu’il a compris.* Suite à la petite punition qu’en rétorsion à ses malfaisances inefficaces je m’étais vu contraint d’infliger à ce triste Francis Heaulme du pauvre, bien évident que notre cohabitation ultérieure fut placée sous le signe de la surveillance du lait sur le feu (avec Sancho Panzer dans le rôle du lait). Quand je l’ai revu, mon Sancho, quinze jours après l’estocade, j’ai très attentivement zieuté sa pupille pour tenter d’évaluer dans quelles dispositions mentales se trouvait le vieux maverique fraîchement marqué au fer rouge —ces quelques heures de vie en commun toutes les deux semaines avec un tel cancrelat humilié, ça mérite quand même d’observer un minimum de précautions... chacun pourra comprendre, car moi aussi comme tout le monde j’aimerais bien ne pas mourir dans la force de l’âge, j’aimerais bien un jour devenir un patriarche plein de sagesse antique qui somnole toute la journée face à la mer, habillé comme un p’tit vieux que je serai, la bouteille de muscadet posée au pied du banc, la Patronne à l’affût de l’état de ma démarche à l’heure du retour au bercail, enfin débarrassé de tout souci du genre qu’on laisse les jeunes s’occuper de ça avec les théories à la mode de leur époque à venir, dont on sera juste témoins. Donc, prudence. Surtout qu’entre temps le Sancho j’avais entendu pas mal de confidences sur son compte, ses agissements, ses lettres anonymes à la police, ses tentatives d’intimidations diverses, ses minables escroqueries de petites vieilles dont il s’occupait soi-disant du jardin, ses mensonges énormes avec un aplomb éhonté, tout un tas de misérables sales coups foireux dont il était soupçonné... un parfait mode de vie de petite frappe vieillissante —des échos qui m’incitaient à ne pas tout miser sur la voie diplomatique. Sancho Panzer, de sacrés rumeurs circulent quand même à son sujet. Je ne sais trop qu’en penser. Sa passion pour les animaux, par exemple. La zoophilie est un domaine que je connais assez peu, j’avoue, où mes expériences personnelles se limitent à une série de branlages de chiens quand j’avais 1o ans —des chiens que jamais j’ai branlés, m’sieur l’Président, n’oubliez pas mon ‘non-lieu’— et quelques carabistouilles ‘3o millions d’amis’ oubliées depuis si longtemps et somme toute assez bénignes au vu des drames tous plus abominables les uns que les autres que l’on se subit tous les jours au journal télé en même temps qu’on s’enfile sa soupe à l’issue d’une plus ou moins dure journée de plus ou moins labeur. Car oui, même en cherchant à fond la polyvalence on ne peut maîtriser l’ensemble des activités humaines, obligés nous sommes tous de faire des choix parfois cruels, je ne suis donc que peu compétent en zoophilologie. Vu que le Sancho se traîne cette solide réputation d’ami des bêtes, j’ai cherché de quoi il en retourne exactement. Me suis donc un peu renseigné, sur tinternette. Ah bon sang, on est loin des branlages de chiens que je n’ai jamais branlés, ça... en matière de ‘rapprochement des espèces’ ce qu’on trouve à télécharger c’est souvent du sportif du haut niveau. Et ce qui m’a vraiment scié c’est de voir que dans l’ensemble les bestioles ont l’air d’adorer l’activité, les chienchiens qui défoncent leurs mémères, tout ça, ça laisse rêveur, ça fait voir les chihouahouas sous un autre œil. Ah oui, un vrai choc étho-ontologique, jusqu’ici et à mes yeux de profane je m’imaginais que les animaux étaient les victimes des zoophiles, pas leurs complices. Diantre... Certes, l’attitude réjouie des chiens de mon enfance aurait dû me mettre leurs puces à l’oreille, mais non, à l’époque je n’avais pas pensé, je devais être trop innocent. M’a donc fallu 3o ans de plus pour comprendre la symbiose interespèces qu’il existe parfois ici-bas, ou là-haut —allez savoir. C’est très perturbant. Pas que je sois récemment devenu un mormon sur le plan des mœurs mais quand même, un énorme Idéal du Gazeau qui grimpe une petite jeunette j’ai du mal à n’y voir que de la joie de vivre... et pourtant, tant le canasson que la gisquette ont l’air de trouver l’expérience plus captivante que le tiercé. Tiens, on devrait organiser des partouzes entre taureaux et toreros, “make love, not war”, on pourrait même y inclure les zaficionadosses qui descendraient dans l’arène effeuiller l’habit de mièrelu des gominés, et Joselito pourrait ensuite se sabrer le ruminant pendant que les picadors tiendraient les pattes de l’animal qui a sa chance... car depuis le temps qu’ils se cavalent derrière, les taureaux, les toreros, pour leur équilibre mental ce serait une bonne chose qu’ils arrivent à conclure, histoire d’enfin concilier traditions et modernité dans un pèzetaque qui péterait l’audimat, ¡ole! Oh misère... comment des gens peuvent s’adonner à ça? un gros poilu qui enfile une labrador en levrette... Et mon Sancho ferait partie de la confrérie? Il faut reconnaître que quand on pratique le personnage dans toute sa diversité haute en couleurs, la zoophilie du Panzer ça devient crédible, ça se visualise même beaucoup trop bien. À celà s’ajoute un élément comme qui dirait interpellant, voire aggravant, à savoir que pendant quinze ans le Sancho a bossé dans une porcherie —où donc, selon les mauvaises langues, non content de nourrir les cochons il leur prodiguait en sus un peu de chaleur humaine dans cet enfer d’élevage industriel qui vous met la chipolata ultralibérale à 5o centimes au supermarquette le plus proche de votre domicile. Zoophilie porcine c’est vrai que c’est ignoble comme accusation sans preuves. Mais ça existe... puisque tout ce qui peut exister existe, en ce bas-monde dépourvu de Justice. C’est toutefois plus parlant en images (des mecs qui se chibrent des cochons, bondieu, sans compter la bande-son qui est presque pire que le film lui-même, un truc totalement incompréhensible pour un centriste bon teint, le genre de téléchargement à absolument mettre à la corbeille avant que la Patronne rallume le micro sous peine de suspicions que je n’ose même pas imaginer, “mais puisque je te dis que c’est pas mes goûts, c’était juste pour voir si c’était vrai...”, oh la galère... six mois de clic-clac minimum, voire la valoche sur le paillasson et vu les circonstances je pourrais toujours me brosser pour obtenir la garde de Tatouze, un cauchemar intégral... alors la ‘zoophilie porcine numérique’, je procède pareil que pour les immondices pédophiles qu’il m’est arrivé de voir pour ne pas oublier jusqu’où certains peuvent descendre dans l’abjection, non seulement je gicle direct à la corbeille après visionnage mais ensuite je clique sur ‘vider la corbeille en mode sécurisé’ et ‘effacer l’historique’, ouh là, ouh là là, je ne vais quand même pas prendre le risque de me retrouver lourdé de ma propre baraque à cause des penchants affectifs du Sancho). Certains vont jusqu’à affirmer que dans ses rapports avec les cochons, Sancho préfère tenir le rôle de la truie avec une bonne volonté de première envergure que je serais curieux de voir de mes yeux vu, Nikon en bandoulière, histoire d’augmenter un chouïa ma connaissance de la nature humaine dans ses œuvres parallèles bien que perpendiculaires. Malheureusement pour lui, Sancho en truie aussi ça se visualise trop bien. Il nie, évidemment, avec une énergie si impressionnante qu’elle en atteint le but inverse de l’intention première. Mais sont-ce là les sincères dénégations maladroites d’une innocence outragée en bute à la malveillance de ses semblables? Serait-ce plutôt une stratégie éructante de vaine tentative de noyage de poisson, comme un gédéon le dos au mur avec ses doigts encore pleins de confiture? Ne sais... Alors le doute plane, comme on dit, et en l’occurrence force est de reconnaître qu’il ne bénéficie pas vraiment à l’accusé. Peut-être bien que... mmmhhhh... peut-être qu’un jour vous avez mangé du pâté Hénaff qui dans une autre vie a enculé Sancho Panzer le nez dans la paille, avec son p’tit robinet qui tressaute par en-dessous pendant que Porky Pig se soulage sans trop de préliminaires, grouiiiiiiiiiik —vu sous cet angle, bienheureux les juifs et les musulmans à l’heure du sandouiche, n’est-ce pas? Tout cela n’est peut-être que rumeurs, bruits de couloirs, ragots et calomnies, mais bon, ça se dit, je vous le rapporte en bonne petite concierge que je sais parfois être comme tout un chacun, n’oubliez pas de mettre les patins. D’autres bruits circulent, comme quoi il serait castré (ce qui certes renforcerait l’hypothèse de ‘Sancho la truie’). Une version softe parle simplement d’impuissance totale et définitive, ce qui nous conduit également au ‘plan truie’ donc). Concernant la réalité clinique de l’appareil uro-génital au Sancho, je ne sais pas... je n’ai pas été vérifier, même les plus motivés épistémologues reculent parfois devant certaines épreuves cognitives. Mais bon, qui sait? peut-être un jour, si ma queue de cheval l’inspire et qu’il fait correctement sa cour... J’exclue peu de choses a-priori. Neuf fois sur dix, la situation en elle-même m’intéresse moins que les conditions qui l’entourent. Y’a les idées, y’a la vie... et dans les situations sans conséquences la souplesse comportementale est conseillée par le bon sens près de chez vous. Alors, vu qu’on n’a qu’une vie... m’expérimenter une p’tite sodomie du Panzer, hein... après tout, éthiquement ce serait à mon sens moins avilissant que de m’arsouiller la tronche avec un anti-européen, ce qui m’arrive parfois —en temps de paix je suis un homme d’ouverture, comme on dit de nos jours. “Faut voir...”, telle est l’une de mes multiples devises.  — “À la réflexion, je pense qu’il est castré.”, que j’ai un jour dit aux collègues alors que ça discutait de ça autour de la machine à café.  — “Qu’est-ce qui te permet d’affirmer?”, qu’on m’a demandé.  — “Ben... c’est évident. S’il était juste impuissant, Alain, il ne serait pas d’extrême-droite, il serait d’extrême-gauche.” Diagnostic qui a bien fait marrer tout le monde autour de son gobelet, on se distrait comme on peut sur le dos des ‘collectifs unitaires’, ces lutteurs finauds qui baladent leur nouille flottante dans un calfouète made in China en attendant que leur dynamique dynamise dans le populaire, ma poule, le jour où les lendemains auront des chants, quand les révolutionnaires aux allocs ultralibérales auront des dents. Côt’ côt’ codêêêêk, comme dit l’homme au Flamby entre les dents. Les rumeurs sont les rumeurs, c’est toujours rigolo de s’y vautrer un peu mais c’est pas sérieux. Restons-z-en donc t’aux faits, amigosses, et si possible t’au fait principal. Le fait principal est que depuis quelques mois, Sancho Panzer évolue. Si si, c’est possible. Ça m’a surpris de sa part, j’étais convaincu qu’il allait rester enferré à vie dans son intenable attitude de vieux ‘bad boy’ qu’a pas les moyens. Mais non, il progresse tout doucement sur la voie de la sagesse. Il devient plus coule dans la vie. La rouste qu’il a reçue n’y est vraisemblablement pas pour rien, ainsi que la crainte de la seconde couche au premier orteil qui ne bouge pas dans la bonne direction œcuménique, mais je crois qu’il n’y a pas que ça —et c’est là que ça devient intéressant. Le tournant, je crois, s’est opéré quand il a réalisé que je n’avais rien raconté à quiconque de sa navrante mésaventure aux 9 démérites. Ça, ça l’a troublé. Vu que personne ne peut le blairer, si j’avais tout balancé il s’en serait pris plein sa sale goule avec tout le monde, et il le sait. Dans le même temps, en racontant toute l’histoire de son estocade je tenais là une occasion impériale de devenir une gloire locale à peu de frais, “l’homme qui a vaporisé ce gros cafard puant”. L’effet papillon eut assurément pas mal submergé le Panzer, et sans doute durablement affecté son moral jusqu’à peut-être l’inciter à envisager une reconversion professionnelle, voire un comebaque dans sa porcherie d’antan pour y retrouver ses bonnes vieilles habitudes sentimentales supposées, grouiiiiiiiiiiik. Tout cracher aux collègues j’y ai pensé, j’avoue, c’eut été plutôt agréable comme entreprise. Je l’ai envisagé sérieusement, assis dans mon fauteuil préféré, le pack de Leffe à portée de main sans avoir à se relever, pesant le pour et le contre. 1, on calcine. 2, on disperse les cendres. 3, on récolte les fruits. Le 1 c’était fait mais le 2 et le 3 j’ai renoncé, pour deux raisons. La première je la remets dans ma guitare, hors de question que mon talon d’Achille apparaisse sur la place publique. La deuxième c’est que j’avais d’autres projets pour mon Sancho —des projets dont j’escomptais bien que le résultat s’avèrerait plus intéressant qu’un peu de vanité facile sur fond de concassage collectif d’un piteux bouc émissaire expiatoire qui ne l’aurait pas volé. Alors je n’ai rien dit à personne concernant notre petite explication illustrée par l’exemple, et le spectacle put continuer sur la ligne que je lui voulais voir conserver. La fois d’après qu’on s’est vus c’est flagrant qu’il pataugeait, le Sancho. Mon attitude ouverte, mon absence de moquerie, ça le dépassait. Il s’était préparé à la guerre, je lui souriais. Il ne comprenait rien. Hé oui, si les rôles avaient été inversés, lui, sûr, il serait allé claironner toute l’histoire un peu partout (en en rajoutant sans doute un maximum) et m’aurait ensuite massacré jusqu’au dernier nonosse. Attendu que c’est moi qui étais positionné du bon côté du flingue prêt à lâcher sa sauce il ne captait pas que ça puisse en rester là, vu que ce brave homme est incapable d’imaginer autre chose que ce qu’il pense pour lui, englaisé depuis des décennies dans sa vision du monde en noir et blanc. D’où la drôle de situation quand je l’ai revu, que je lui ai tendu une main qu’il a regardée comme si c’était un fouet prêt à claquer sur son dos.  — “Salut Alain. Je t’offre un p’tit café?” Il était donc o3h du mat’, un samedi. On était juste nous deux, il pouvait arriver n’importe quoi sans témoins. Il m’a serré la main, de loin, mollement, avec un regard de ‘décroissant’ en train de faire la queue derrière son chariot rempli raz-la-gueule à la caisse de SuperU. Bon... Et puis on s’est avalé un petit jus, comme deux collègues de n’importe quel boulot. Accoudé silencieux au mur près de la machine à café, bien calé dans son uniforme, crâne rasé luisant sous les loupiottes, il tétait son p’tit noir en me mattant assez fixe. Dans ma veste en djine pas mal râpée je m’efforçais de rester neutre, accoudé à un autre pan de mur, la crinière d’Erik le Rouge sur les épaules et les yeux en observation, visage impassible, claquements de Zippo en osmose avec la situation. Silence, lenteur, expectative... deux inconciliables manières d’être au monde qui se regardaient bien en face. Du Sergio Leone prolétarien, ne manquait que l’harmonica en fond sonore. Ah ça, il gambergeait sec. Sûr, il était convaincu que j’allais chercher à l’achever mais il ne voyait pas comment, et pour cause. Le trou noir. Très pénible psychologiquement, j’imagine. Juste pour la beauté de l’art j’étais tenté de lui sortir une sentence genre: “Amigo, le monde se divise en deux catégories: ceux qui savent ce qu’il va se passer, et ceux qui savent pas. Alors toi, tu t’écrases et tu pries.”, mais je me retenais, une telle remarque pourtant trop réjouissante n’allait pas dans le sens de l’histoire. Dommage, ça aurait valu le coup d’œil, rien que pour savourer sa gueule de Francis Heaulme qui vient de se faire passer les bracelets par le shériff, en attendant le goudron et les plumes. À son tour il a payé son café, toujours dans la même ambiance bisounours hardecore. Et puis ensuite on est allé chagriner, vu qu’on était quand même venus un peu là pour ça. Tout s’est très bien passé sur le strict plan du taff à accomplir, chacun à sa place.... et quand on se croisait au café ou au bureau je tenais mon rôle de Blondin, il restait dans le registre Tuco. Rien à y redire. Et puis quelques heures plus tard il est rentré chez lui en me disant:  — “Bon ben... à dans quinze jours alors.”  — “À dans quinze jours, Alain.” Musique d’Ennio Morricone. Quinze jours plus tard, même topo. Quinze jours après, encore pareil. Et voilà, rapports tacitement normalisés. Les semaines suivantes, nous poursuivâmes nos pérégrinations sur cette pente légèrement ascendante. Oh, je continuais à me méfier à mort de sa sale tronche sournoise, sûr, le degré de malveillance de ce mec est inestimable sur l’échelle de Achtung, mais il me fallait bien reconnaître que son comportement était correct et s’améliorait tout doucement. Et les échos que je recevais des collègues confirmaient tout ça, vu qu’en gros c’était des remarques genre “ben dis donc, Alain, il est devenu presque supportable... il est tombé malade ou quoi? tu lui fais quoi au juste?”. Je répondais genre “ah ben j’sais pas, moi j’ai pas de reproches à lui faire, ça se passe bien”. M’enfin, le changement d’attitude du Sancho avait à peu près coïncidé avec notre relation... et les gens ne sont pas idiots, ils se doutaient bien qu’il s’était passé un culbutage assez conséquent. Mais lequel? Je ne pouvais quand même pas leur expliquer ce que j’avais en tête, c’eut été méthodologiquement contreproductif sur mon barème du moment —pour ne pas détériorer le matériel il faut savoir laisser le poisson se fatiguer au bout de l’hameçon, en toute innocence. Alors je jouais l’innocent, comme aux plus belles heures de mon enfance regrettée. Je jouais le ‘nouveau qui connaît pas bien’. Et les autres faisaient comme si ça leur convenait, vu que ça leur convenait. Au fond, tout le monde y trouvait son compte —y compris le Sancho. Une fois qu’il a compris que je ne souhaitais pas la mort du pêcheur, un samedi sur deux on a un peu recommencé à discuter, Sancho Panzer et moi, sans toutefois jamais aborder le sujet de sa déculottée quelques mois plus tôt. Cet ‘épisode fondateur’ des fois il y pensait en me regardant, ça se voyait dans la fixité de ses yeux, le serrement de la mâchoire, l’ambiance Sergio Leone qui revenait pour quelques minutes... il n’avait pas digéré mais il avait peur, et il avait la pudeur de souffrir en silence, côte à côte avec son bourreau qui lui manifestait de la bienveillance. Ambiance particulière. Je laissais faire —j’étais en roue libre, c’est lui qui usait sa gomme. Indéniable toutefois que sous toute cette cendre nauséabonde il restait de la braise qui attendait que le mistral se lève. Donc je continuais à m’arranger pour ne jamais me retrouver coincé entre deux palettes quand il bouinait dans le coin, Sancho —personne n’est à l’abri d’un regrettable accident du travail, c’est prouvé par les statitistiques. Mais bon, peu à peu ça s’éloignait, mes craintes d’un gros tour de pute de sa part —ce qui n’empêche pas de conserver en mode dormant un service minimum de balayage du périmètre immédiat, à titre préventif. Au café, passés les quelques premiers samedis assez silencieux il avait recommencé à me parler politique, ce qui est signe d’une vitalité retrouvée. Son obsession du moment c’était les centres de rétention des clandestins. Ça le travaillait. En gros, son opinion c’est que les clandestins, “quand on les chope, faut les traiter comme ils seraient traités dans leur pays d’origine, comme ça ils n’auront plus envie de revenir foutre le boxon dans les pays civilisés”.  — “Ben oui, faut pas s’étonner. Ici, au centre de rétention ils sont à l’hôtel 4 étoiles comparé à leur brousse.” Et puis il détaille:  — “On attrape un bamboula, c’est vingt coups de fouet et mon pied au cul. On attrape un niaquoué, c’est cinq ans de camp de travail à fabriquer des poèles à frire pour un bol de riz et une lampée de thé. On attrape un bougnoule, c’est direct au trou avec une bonne raclée et un coup de gégène dans les roustons. Ça leur rappellera le bled natal à tous ces singes. Et ensuite, l’ADN dans le fichier et dehors. Chacun chez soi. Comme ça, tu vois, en six mois on résoud définitivement le problème de l’immigration. On pourra juste aller chercher ceux qu’on a besoin sans qu’ils viennent avec toute leur tribu, et en plus ils fileront droit, pas comme les racailles de banlieue qui s’imaginent tout permis sous prétexte de démocratie, qu’il va bien falloir s’en occuper un jour et pas à moitié de ces branleurs assistés qui passent leur temps à foutre la merde dans le système.” Sancho Panzer est radical et engagé, certes, mais d’après ce que j’entends il y a de plus en plus de ‘vraies gens de la vraie vie’ qui pensent un peu comme ça, ou alors peut-être qu’ils en causent plus ouvertement qu’avant, les-dites “couches populaires”. Ça sent le gros retour de bâton, quand même, vu que les gens sont ce qu’ils sont et tout le monde sait que les clandestins il y en aura de plus en plus tant qu’on n’aura pas réussi à s’organiser mondialement pour que chacun puisse vivre dans une sorte d’États-Unis du monde. Car sur un plan pratique et concernant la stricte réalité d’aujourd’hui, “traiter les clandestins comme ils seraient traités par les autorités de leur bled” c’est un raisonnement qui se tient, qui parle à plein de gens, faut bien reconnaître. Ça marcherait. C’est terrible. De là à ce que, faute de politique commune claire sur la base d’institutions fédérales, cette opinion finisse par un jour trouver un débouché dans nos démocraties avancées qui patinent dans le nationalisme plus ou moins avoué... Je m’efforce toujours d’écouter ce genre de discours, ça me permet de conserver en tête des modes de fonctionnement auxquels je ne penserais pas tout seul mais qui font bel et bien partie du monde dans lequel de gré ou de force on est tous obligés de vivre, des opinions qu’il faut bien accepter de prendre en compte si l’on veut ne pas se retrouver à brasser le mou dans l’excès inverse. Et justement, question ‘excès inverse’, sur les réseaux de soutien français des clandestins il a une théorie plutôt précise, Sancho, que je vous livre telle quelle. Il dit que c’est “des minables qui ne veulent rien comprendre, des bourgeois qui jouent au rebelle, des imbéciles heureux qui se donnent bonne conscience parce qu’ils ont honte de leurs petites vies tranquilles à l’abri de tout ça, qu’il faudrait tous les déporter au Darfour à crever la dalle dans une case surpeuplée pendant un mois ou deux pour qu’ils réalisent la chance qu’ils ont d’avoir leurs 1oo mètres carré pour quatre personnes avec l’eau courante et l’electricité sans presque rien branler de leurs dix doigts, qu’ensuite ils fermeraient un peu leur claque-merde au lieu de passer leurs loisirs à scier leur branche et la nôtre par la même occasion”. C’est son avis. Il veut que “la France quitte l’Europe pour redevenir un pays libre, maître de ses frontières, avec une vraie armée nationale, et qu’on envoit chier les américains”. Il place beaucoup d’espoir en “la p’tite”, Marine Le Pen, “la Jean-Marie du XXIè siècle” qu’il dit. Il attend “le casse-gueule économique pour que tout ça fermente dans la tête des gens, que la ‘CEE’ explose, qu’on revienne au franc qu’on aurait jamais abandonné sans tous ces youpins au pouvoir”. Inutile de vous préciser ce qu’il a voté le 29 mai 2oo5, “on nous a volé notre victoire, mais ça durera pas, tout ça c’est en train de pourrir”. Hors tout jugement moral, il faut bien reconnaître au Sancho un discours cohérent et potentiellement applicable si les conditions se réunissent. De là à imaginer que, vu les durcissements auxquels on doit s’attendre dans les années à venir, sur certains points le Sancho serait juste un peu en avance sur son temps... En tout cas, il se pense à l’avant-garde de la politique du futur, “la seule solution pour ne pas se faire coloniser par nos anciennes colonies”. Des fois il fait de l’humour (enfin, c’est de l’humour facho). Genre “qu’est-ce qui est noir et qui pue sur la plage?”. Un clandestin noyé. Ah oui, monsieur est poète à ses heures. Et il s’exprime complètement librement avec moi, aucune retenue —il a bien vu que même si on n’a pas du tout les mêmes idées, je ne lui fais pas la morale bienpensante. Ça doit le défouler de pouvoir causer sans frein, et moi ça m’instruit, ça m’aide à un peu mieux capter tout un pan du monde hors de ma vie. C’est pas très ragoûtant mais je mets un point d’honneur à toujours faire mon maxi pour tenter de percevoir les gens tels qu’ils sont, c’est parfois gluant mais... pour qui aspire à ne pas voir les choses que par ses propres yeux, comment en faire l’économie? De ce point de vue-là, pour moi, écouter ce que dit le Sancho c’est tout bénef question angle de vision de ce qui se pense ailleurs —du ‘gagnant-gagnant’, comme on dit aujourd’hui. Même si dans son cas ça pue féroce, le gagnant. Donc au fil du temps, avec moi niveau comportement le Sancho s’est autant adouci que son discours sociétal s’est total libéré. Faut croire qu’il a compris la nécessité de cohabiter, et j’en suis bien content vu qu’on est liés sur le résultat. Sur un plan pratique on s’organise pas mal, il bosse à un bout de l’entrepôt et moi à l’autre. Et il bosse, faut avouer, il est un peu bordélique mais il croche dedans sans rechigner, il a le sens du travail fini. On se voit juste au bureau ou à la machine à café, où il m’expose ses dernières visions géopolitiques. Des fois même, il est presque sympa avec moi. J’ai l’impression qu’il commence à bien m’aimer, c’est perturbant. Sa première gentillesse, vraiment, j’ai cherché d’où allait tomber la grosse enfoirade qui suivrait. Hé bien non, nul tour de pute. Juste de la gentillesse. C’était un jour où j’étais emmerdé pour faire un chargement, un gros groupe électrogène à caler sur le côté dans une semi. Il fallait débâcher le camion, rajouter une longueur de fourches au Fen, tout ça. Et charger ce monstre de deux tonnes qui coûte 15oooo €. Et il y avait déjà de chargé un groupe du même genre de l’autre côté de la semi, avec très peu de marge pour poser le second... Ahoups, 3ooooo € en face de moi et aucun droit à la fantaisie. Je ne voyais rien, évidemment, le gros groupe devant mes yeux. Dans un tel cas on procède au jugé, pianisssssimo. 15oooo € qui ballotent au jugé, autant dire que la petite goutte coule sur les tempes et la pomme d’adam se prend pour un yoyo, ah oui, je me cauchemardais déjà en train d’appeler le Boss, “Houston, we’ve got a problem”. Jamais encore au boulot je n’avais été directement responsable d’autant de pognon qui remuait à 1 mètre 5o d’un sol pas franchement plan, ferraille sur ferraille. Pfffffou. Oui parce que tu exploses une palette de soupe c’est enquiquinant, m’enfin, c’est que de la soupe, ça pèse juste quelques milliers d’euros, tout le monde se fout de ta gueule mais ça passe aux pertes et profits, on se fait traiter de ‘Joe la Soupe’ pendant une semaine, tandis qu’un groupe électrogène conçu et fabriqué sur mesures pour aller dans je ne sais quelle centrale électrique en Arabie Saoudite, c’est un autre niveau. D’où ma légère tension nerveuse à regarder ce truc brinqueballer un peu trop au bout de mes fourches rallongées —un croyant aurait levé les yeux vers le ciel, je me suis contenté de fredonner ‘desolation row’. Je n’osais pas trop avancer au jugé, “to her death is quite romantic”, pourtant il allait bien falloir solder le dossier dans les délais, “right now I can’t read too good, don’t send me no more letters now, not unless you mail them from desolation row”, j’y allais centimètre par centimètre, “they’re selling postcards of the hanging”, un temps fou, “then they’ll kill him with selfconfidence after poisoning him with words”, en essayant de ne pas penser à tout ce que j’avais à faire d’autre, “you wouldn’t think to look at him but he was famous long ago for playing electric violin on desolation row”, manquerait plus qu’il se mette à flotter, “and the phantom’s shouting to skinny girls: get out if you don’t know!”. Et voilà que mon Sancho est venu me filer un coup de main pour la manœuvre, dis donc. Spontanément. Je n’avais même pas envisagé de lui demander son assistance, tellement ça me semblait hors de propos. Eh bien il arrivait de lui-même, proposant ses services, m’engueulant presque de ne pas le lui avoir demandé. Au début je me suis dit, “cet enflé va volontairement tout me faire cabaner par terre, 15oooo € en vrac sur le bitume et mon billet de sortie en poche pour la desolation row”... mais comme on était désormais ensemble sur le coup, si le groupe tombait suite à de mauvaises indications du copilote il partait s’inscrire au chômedu en même temps que moi, “the circus is in town”, vérifier son employabilité chez Pôle-Pote. Il est mauvais mais pas débile, quand même, et tout comme moi il tient à son boulot. Alors il m’a guidé, une manipe genre qu’on avait quelques centimètres de mou à droite et à gauche pour caser un comaque volume hors de prix, pfff... tout seul ça m’aurait pris une éternité pour un résultat aléatoire, “Shakespeare is in the alley, with his pointed shoes and his bells”, tout contemplatif que je puisse parfois être je n’arrivais pas à m’abstraire de ce paquet de pognon en suspension au bout de mes fourches, “speaking to some french girl who says she knows me well”, quelque chose comme 1o ans de salaire à la merci d’une erreur de manipulation, aglop... c’est arrivé il y a quelques années qu’un chauffeur cabane un volume de ce genre en jouant un peu trop les Alain Prost dans un rond-point, hé bien, il a reçu son solde de tout compte... mais “nobody has to think too much about desolation row”. Donc Sancho et moi on a joué la partie à la papa qui place ses éconocroques en bons du Trésor. Et une fois posé le gros groupe, sans pépin, on a clouté et sanglé et reclouté tout ça, rebâché le gros cul et puis voilà, deux-trois gobelets de flotte cul-sec puis un petit café avec une bonne cigarette. Sancho Panzer m’avait aidé, hé oui. Gratuitement. De son plein gré. Sans que je le lui demande. Et de manière très efficace, indéniable ou alors il fallait se cogner la pire mauvaise foi engagée dans le camp adverse. Je n’aurais pas cru ça de lui, je l’aurais plus imaginé planqué dans un coin en train de me regarder mouiller ma liquette, dans l’espoir du “chblingue!!!” sur le goudron, “and the only sound that left after the ambulance has gone is Cinderella sleeping up on desolation row”. Hé bien non, il était venu m’assister, le Panzer. Ça marqua un tournant dans notre relation, forcément. Partant de là, tout devint plus rilasque entre-nous. C’est parfois drôle, la vie. Ce tournant que l’on pourait qualifier d’affectif a quelques temps plus tard induit une situation à laquelle je ne m’étais absolument pas préparé, qui m’est donc tombée sans préavis sur le coin de la bobinette. Ah oui, total manque de prospective de ma part. Ça... beau essayer de quadriller le réel à venir on ne peut pas toujours anticiper l’inanticipable, surtout quand ça relève de l’inimaginable. Il faut donc alors réagir sur le pouce et je n’aime pas trop ça, ça ne laisse aucune marge —trop d’inconnues qu’on se retrouve d’un coup contraint de focaliser sur une simple intuition, genre ‘coup de dés’. Mais bon... Ce fut donc un samedi matin de printemps, juste avant que Sancho rentre chez lui. Matinée normale, ambiance méfiantement détendue. Et puis, alors qu’on se sifflait un dernier petit café avant qu’il réintègre son clapier, il me dit:  — “Attends, j’ai un truc à prendre à la voiture.” Bon. Et puis je le vois qui revient avec un sac plastique, et il me dit avec son si beau sourire francisheaulmien:  — “C’est du far breton, je l’ai fait moi-même.” Heu... Alors du sac en plastique il sort un petit paquet emballé dans du papier aluminium. Et, hop! deux magnifiques parts de far breton, n’est-il pas. Héééééééééééééééééé, wow.  — “Il est très bon, tu verras”, avec son putain de petit regard fixe qui ne cligne pas souvent des paupières, bondieu. Il me donne une part. J’aurais préféré échanger avec celle qu’il avait gardée pour lui mais il avait déjà croqué dedans, un peu trop vite à mon goût.  — “Merci, Alain. Fallait pas...”  — “Ah mais c’est rien. Des fois, le soir j’aime bien me faire des gâteries. Vas-y, goûte...” Allez savoir pourquoi, dans sa bouche le mot ‘gâterie’ me fit visualiser une basse-cour en folie. Certes, nos relations s’étaient très nettement améliorées, voui. M’enfin... je lui trouvais une drôle de couleur à son ‘far breton’, et puis il suintait un peu inquiétant. C’était sûrement très gentil de sa part, sûr, mais... rien qu’à l’idée de croquer là-dedans, mon estomac... ayaya. En même temps je me raisonnais, me disant “si c’est empoisonné il va se faire choper illico, c’est débile”... oui mais “et s’il est vraiment dingue? les dingues s’en foutent de se faire choper...”. Et c’était possible que je l’ai rendu complètement barge. Hé oui, voilà des mois que je m’étais donné pour mission de rendre Francis Heaulme sinon honnête homme du moins fréquentable. Et je suis bien conscient que vouloir bonifier un sale type qui ne fonctionne que sur l’hostilité, au bout d’un moment ça peut le faire tourner total branque. Et de branque à meurtrier, n’est-ce pas... il n’y a qu’un pas à la portée du premier cul-de-jatte venu. Je regardais ma part de far breton, je la trouvais de plus en plus louche... le suintant dessus, c’était peut-être de la mort aux rats. J’essayais de mieux voir sa part à lui, si ça suintait pareil. J’étais très mal. Et il me mattait tellement fixe, et ce crénom de sourire de malade. Putain, avaler ça, agoniser pendant des heures avec tout l’appareil digestif qui suit l’exemple de la calotte glacière... Comment faire? M’avait cueilli bien comme il fallait, le bougre.  — “Vas-y, goûte!” Ahhhrrrg. Physiquement, je ne pouvais pas. Je revoyais trop bien ses yeux sur moi le jour de sa punition, toute cette haine. Ce pauvre morceau de far ne tenait pas la comparaison. Tant pis, le Sancho j’allais devoir le vexer. Ce type avait souhaité ma mort quelques mois plus tôt, quand même, il avait beau semblé être revenu à des comportements plus humanistes je ne pouvais pas avaler son ‘far maison’ sans le faire analyser au préalable par deux laboratoires concurrents. Impossible.  — “Ben oui mais je viens de manger, là. C’est très sympa de ta part, je te remercie. Je le garde pour plus tard.” Il a accusé un petit recul général. Ses yeux se sont un peu agrandis. Il avait compris. J’étais très peiné pour lui. Évidemment que son ‘far breton’ n’était pas empoisonné. Mais voilà, c’est Sancho Panzer. Alors on se méfie. On connaît le specimen, sa mentalité. Le pauvre... en toute amitié il t’offre un cadeau préparé la veille avec ses petites mains devenues amicales, et... le premier truc à quoi on pense c’est au taupicide saupoudré sur une des deux parts. C’est pire qu’affreux, d’un point de vue chrétien. Là, j’ai vraiment vu dans ses yeux comme de la tristesse, de la déception. Hé bien oui... le Sancho, jadis ça avait été un petit garçon. Il avait une mère. Des sentiments, sûrement. Vu son attitude de salopard ça faisait des années, des décennies qu’il subissait des tirs de barrage de tous les côtés, c’est normal, un tel enfoiré qui ne pense qu’à sa gueule et pour qui autrui n’est qu’un moyen à utiliser pour arriver à ses petites fins de minus qui s’y croit. Mais tout au fond de lui, il devait encore rester des fragments de l’enfant qu’il avait autrefois été. Et c’est cet enfant enfoui qui avait préparé un far breton, qui avait pensé à en amener un morceau pour son collègue parce que finalement, tout panzer qu’il est il possède un petit cœur qui ne bat pas uniquement pour les animaux de la ferme. Et voilà qu’il se faisait bouler sécos, renvoyer sa gentillesse en plein visage. Dur. Il est parti sans me dire au-revoir. J’ai collé son far au fond d’une poubelle à l’extérieur et je suis allé me savonner les mains comme rarement. Puis je me suis mouché le nez, essuyé les yeux, nettoyé l’intérieur des oreilles et rincé la bouche... ignorant que j’étais du potentiel degré de volatilité du suintant. Oui, c’est triste... mais c’est ainsi. Les semaines suivantes il se montra un peu chagrin mon Sancho, je voyais bien. Comme si l’histoire du far lui avait occasionné plus de mal que la rouste de l’année précédente. Il m’attendrissait, au fond. Toujours facho, toujours bourrin, ça... toujours crédible dans le rôle de la truie, mais... beaucoup plus conciliant, comme rentré dans une logique d’acceptation de l’altérité autre que porcine. Peut-être que rendu à plus de 4o ans il en avait enfin marre de tout le temps vivre à cran avec tout le monde, peut-être fatiguait-il de toute cette agressivité qui ne débouchait jamais sur rien de bon pour lui, peut-être avait-il enfin envie de rapports un peu plus détendus avec ses semblables, sans entourloupe ni sales manigances. Peut-être finissait-il enfin par tirer des conclusions de son attitude qui l’avait mené au rang de paria seul contre tous, pour des nèfles. Avec moi il tenait une occasion de rachat vu que je le tolérais comme il était, dans la mesure où il ne venait pas me les râper —il avait bien compris.` Alors la fois d’après qu’il a ramené un bout de far breton au boulot, je l’ai mangé devant lui. J’estimais que je pouvais. Je respire encore. Hé oui, Francis Heaulme est devenu gentil. Mais je peux vous certifier qu’il n’a aucun avenir dans la pâtiSSerie.***Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu

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