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Socialisme ou individualisme ?

Publié le 29 avril 2012 par Sebastienjunca

À une période, celle de l’entre-deux tours, où la France est divisée en deux, on peut néanmoins s’entendre sur le fait que la gestion d’une nation peut se comparer à celle d’une famille. Dans tous les cas, la première fait immanquablement appel au bon sens des chefs d’état et de ceux qui les élisent quand la seconde requiert le bon sens des parents.

Or, nous vivons une époque où le bon sens est une denrée rare. La surconsommation, l’endettement des ménages, le gaspillage ; le tout joint à une éternelle soif de biens de consommation « indispensables » au bien-être de tout un chacun font que le non-sens prend un peu partout la place du bon sens. Car l’on conçoit bien que la période soit difficile pour tous, crise oblige. Mais on admet beaucoup moins que pour faire face à la dite crise, il nous faille tout simplement changer notre façon de consommer.

Nous vivons une époque merveilleuse où l’individu est véritablement parvenu au sommet de la pyramide sociale. On a tellement mis en avant la liberté individuelle qu’on a finit par en faire le but ultime de toute forme de politique sociale. Chacun désormais n’attend plus de l’État que des retombées positives au niveau de sa vie personnelle. Chacun pour soi et l’État pour tous, ou plutôt pour chacun. Tel est aujourd’hui le seul credo à même de fédérer les masses. Tout citoyen attend désormais de la Nation qu’elle soit à même de subvenir à l’essentiel de ses besoins dans les différents domaines du travail, de la santé, de la culture, des loisirs, des transports, de la sécurité...

Certains politiciens ne s’y sont pas trompés en promettant, là aux cheminots, ici aux infirmières et au personnel de santé, puis aux agriculteurs, aux enseignants, aux artistes, aux ouvriers, à la jeunesse, à la police, aux retraités, aux homosexuels, aux mères de famille, aux familles monoparentales, aux handicapés, aux immigrés... bref, à tous ceux qui ont un droit individuel à revendiquer.

Telle est la traduction d’une philosophie de l’immédiateté. Carpe diem ! Profitez du jour présent ! Tel est le message d’une politique on ne peut plus pernicieuse de la facilité (j’allais écrire de la fatalité) ; celle qui consiste à flatter l’égo de chacun ; à satisfaire nos instincts les plus primitifs, les désirs les plus ataviques, les réflexes les plus pavloviens de la personne humaine. L’invitation à jouir ici et maintenant, le plaisir, l’ambition, la réussite, la possession, le pouvoir doivent sans exception aucune faire l’objet d’une proposition. Tout ce qui flatte et nourri la part affective de chacun doit faire partie de la liste des promesses électorales.

Si le changement c’est maintenant ! les méthodes en matière de ratissage électoral et de communication n’ont guère changées depuis 1981. On flatte, on promet, on caresse, on cajole, on encense, on enfume... en « bon père de famille » du XXIème siècle, on promet à tous ses enfants que Noël sera toujours Noël et que 60 millions de Français n’auront plus à souffrir de la crise et ne seront pas contraint de renoncer à leur petit cadeau personnel.

Malheureusement, la gestion d’un pays comme celle d’une famille ne se fait pas, loin s’en faut, en octroyant à chacun ses petits avantages particuliers. Elle se fait sur une gestion globale axée sur la pérennité d’un groupe, même étendu à l’échelle d’une nation. Au sein de ce groupe - et c’est toute la faiblesse en même temps que la force de la communauté – chaque individu doit pouvoir faire abstraction d’une partie de son individualité pour faire vivre l’organisme social. Cela sous-entend une certaine forme de renoncement, de sacrifice, au mieux de concession faite à la société. Car celle-ci, en tant qu’entité, tire sa force, son énergie, sa subsistance d’une partie de chacune des « cellules » qui la composent.

Rousseau l’avait déjà compris, lui qui écrivait déjà dans son Contrat social : « Tant que plusieurs hommes réunis se considèrent comme un seul corps, ils n’ont qu’une seule volonté, qui se rapporte à la commune conservation, et au bien-être général. Alors tous les ressorts de l’État sont vigoureux et simples, ses maximes sont claires et lumineuses, il n’a point d’intérêts embrouillés, contradictoires, le bien commun se montre partout avec évidence, et ne demande que du bon sens pour être aperçu [1]. »

Depuis des temps immémoriaux, il n’est pas de clan, de tribu, d’ethnie, de société traditionnelle qui ait jamais renoncé à cette règle de base : on ne peut s’unir à l’autre sans perdre un peu de sa mobilité, de son autonomie, de sa liberté. Or, nos sociétés dites « civilisées » n’ont de cesse de revendiquer chaque jour davantage les droits inaliénables de l’individu. Droits qui d’une certaine manière, vont, s’ils sont portés à leur paroxysme, à l’encontre de l’idée même de société et sinon peut-être, jusqu’à y instiller un poison dont celle-ci ne se remettra pas.

L’État pourvoyeur et garant de toutes les formes de droits, de libertés, de services, de ressources physiques ou intellectuelles... est un état qui paradoxalement et en dépit de toute apparence, détruit le lien social que seule une forme de nécessité et de dépendance sont à même de maintenir.

En « respectant » tout le monde, ces politiciens ne respectent en vérité personne. Mais d’une certaines manière, n’a-t-on pas les dirigeants que nous méritons ? Si aujourd’hui, un Français sur deux est sur le point d’opter pour un état chantre de l’individualisme, c’est que peut-être il doit en être ainsi. Sans doute est-il nécessaire d’aller jusqu’au bout d’un processus qui devra, à terme, finir de disloquer complètement un modèle économique et social en fin de vie. Avec l’espoir qu’un véritable changement, celui-là plus biologique que politique, s’opère réellement et de manière durable.

Certaines crises ont besoin d’être menées jusqu’à leur terme. Elles ont de tous temps été les ferments de mondes nouveaux et de sociétés métamorphosées. Mais pour ce faire, il faut que le processus puisse se développer jusqu’au bout. Toutes les révolutions, Dieu merci, ne se font pas dans le sang. Ceux qui se revendiquent aujourd’hui de 1789 ignorent à quel point la nature est pleine de ressources chaque fois nouvelles et adaptées à la situation du moment. Le monde, la France d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec ceux de la Révolution. On peut dès lors supposer qu’une fois de plus, notre Nation, et plus particulièrement le peuple qui la fait, surgira là où on l’attend le moins. Mais cela ne se fera sans doute pas le 6 mai prochain. Il est des gestations lentes, silencieuses, sourdes, que nul ne soupçonne. Ce sont souvent les plus décisives.

« Enfin quand l’État près de sa ruine ne subsiste plus que par une forme illusoire et vaine, que le lien social est rompu dans tous les cœurs, que le plus vil intérêt se pare effrontément du nom sacré du bien public ; alors la volonté générale devient muette, tous guidés par des motifs secrets n’opinent pas plus comme Citoyens que si l’État n’eût jamais existé, et l’on fait passer faussement sous le nom de Lois des décrets iniques qui n’ont pour but que l’intérêt particulier [2]. »

Sébastien Junca.



[1]    Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, Éditions Garnier-Flammarion, Paris, 2001, p. 143.

[2]   Ibid., p. 144.


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